Art. 547. — 615. Il n'eût pas été sage à la loi d'empêcher la compensation par le seul motif que les deux dettes ne seraient pas payables, soit dans la même ville, dans la même province ou dans le même pays, soit dans la même monnaie. Cependant, une somme d'argent peut être plus difficile à obtenir dans un lieu que dans un autre; sa rareté ou son abondance, comparée aux besoins momentanés du commerce local, peut constituer un profit pour celui qui doit recevoir et une perte pour celui qui doit payer, ou réciproquement; il y a lieu alors à un compte particulier, qu'on appelle en Europe “compte de change” (voy. p. 532).
Ce n'est pas ici le lieu de rechercher qu'elles causes commerciales ou économiques peuvent produire la rareté ou l'abondance du numéraire dans un lieu et dans un temps donnés, ni ses conséquences sur la valeur comparative des marchandises avec l'argent, sur le taux de l'intérêt ou du loyer de l'argent, sur les moyens que fournissent les banques de faire des payements à distance et, généralement, sur toutes les transactions entre différents lieux. Il suffit de noter que si, dans une ville ou province, le numéraire est devenu rare et insuffisant pour les besoins locaux, comme d'ailleurs la monnaie légale a une valeur nominative que les particuliers ne peuvent changer, c'est alors le prix des autres marchandises qui s'abaisse et le loyer des capitaux qui s'élève; réciproquement, si l'argent abonde, l'intérêt baisse et le prix des marchandises hausse. En attendant que l'équilibre se rétablisse (et il y tend sans cesse, par le libre mouvement du commerce, comme l'eau cherche toujours à reprendre son niveau), celui qui doit payer une somme d'argent dans une ville où l'argent est rare et cher ne ferait pas un acte juste et acceptable pour le créancier, s'il lui offrait le payement dans que ville où l'argent est abondant et déprécié. Ce que le débiteur ne peut faire valablement, la loi ne doit pas non plus le faire pour lui; or, c'est ce qui arriverait, si les sommes dues entre les parties dans deux villes différentes se compensaient purement et simplement, abstraction faite de la rareté ou de l'abondance comparative de l'argent dans ces deux villes.
Quand, par exemple, l'une des parties doit 1000 yens payables à Tokio et que l'autre lui doit 1000 yens payables à Nagasaki et que l'argent est plus abondant à Nagasaki qu'à Tokio, eu égard aux besoins des af. faires, si la compensation a lieu purement et simpleinent, celui qui devait recevoir de l'argent à Tokio éprouvera une perte; car, s'il a lui-même destiné cet argent à faire des payements à Tokio, à y acheter des marchandises, à y souscrire des actions de chemins de fer, etc., il devra ou y faire transporter les 1000 yens, par terre ou par mer, ce qui est coûteux et dangereus, ou verser chez un banquier à Nagasaki la somme nécessaire pour obtenir une lettre de change ou un mandat de 1000 yens payables à Tokio; or, il lui faudra verser plus de 1000 yens, dans l'hypothèse où l'argent est moins rare à Nagasaki qu'à Tokio: la différence qu'il devra payer est "le change de places” (g). Le débiteur qui devait payer à Tokio ne jouira donc de la compensation légale qu'à charge de rembourser au créancier les frais de transport des espèces ou les frais de change. Notons ici qu'il n'y aura lieu à payer les frais de transport réel des espèces que si l'opération s'effectue d'une ville où il n'y a pas de banquiers ou de négociants faisant la banque, ce qui est bien rare, aujourd'hui, au Japon; d'ailleurs, dans le cas où cela serait, il y aurait tonjours la ressource des mandats, postaux.
Ce qui vient d'être dit, au sujet de payements à faire en différentes places dans l'intérieur du Japon, s'appliquerait de même à des payements à faire en différents pays.
615 bis. La loi prévoit aussi le cas où les deux paye. ments ne devraient pas se faire dans la même moppaie; notamment, l'une des dettes pourrait être payable en monnaie étrangère; dans ce cas, la compensation n'aura lieu qu'en tenant compte à la partie intéressée du prix du change de la monnaie étrangère en monnaie japonaise, conformément à l'article 486.
Ainsi, l'un des débiteurs devait 1000 yens payables en satsu, l'autre devait 1000 dollars mexicains; il est clair que la compensation pure et simple serait trèspréjudiciable au créancier des dollars; sa créance sera donc évaluée en yens de papier japonais, au cours du jour où les deux dettes sont devenues exigibles; or, si l'on adopte les chiffres pris pour l'application de l'article 486 (voy. p. 535) (h), on dira que le créancier de 1000 dollars mexicains sera considéré comme créancier de 1400 yens en satsu et la compensation de 1000 yens qu'il doit en satsu le laissera encore créancier de 400 yens japonais ou de 285 dollars, 71 cents.
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(g) Le mot place est employé, en France et, généralement, dans les Deux mondes, pour exprimer une ville commerciale de quelque importance.
(h) Les cours pris pour exemple à la page citée sont ceux du papier japonais comparé au yen d'argent; mais le yeu d'argent japonais a maintenant la même valeur que le dollar mexicain, et il est d'un titre infiui. ment plus sûr.