Art. 566. — 648. Cette Section complète et sanctionne les dispositions de la loi sur les conditions de validité des conventions (voy. art. 331 à 341).
Le texte du présent article rappelle indirectement les cas où la convention n'est pas valable et où, par conséquent, elle est annulable ou rescindable; on peut les ramener à trois causes: l'incapacité d'une partie, les vices de consentement, la lésion.
Les incapacités sont déterminées au Livre F”, Des Personnes, maintenant promulgué; quoiqu'on n'y ait adopté qu'avec d'assez sérieuses modifications la théorie des Codes français et italien, nous continuons à présenter ici six classes d'incapables: 1° les mineurs, avec des nuances entre les émancipés et les non émancipés, 2° les femmes mariées, 30 les interdits judiciairement, pour démence, 4° les prodigues et les faibles d'esprit pourvus seulement d'un conseil judiciaire, pour les actes les plus graves; 5° les fous, non interdits, dont la guérison plus ou moins prochaine est espérée, mais placés dans une maison d'aliénés ou, au Japon, sous la garde de leur famille, 6° les condamnés à des peines criminelles, interdits par la loi (voy. n° 48) (1).
Les vices de consentement ne sont, dans le Projet, qu'au nombre de deux: l'erreur et la violence; quant au dol, on l'a considéré seulement comme un fait dommageable et volontaire, comme un délit civil (art. 33:3); mais, la réparation la plus simple et la plus naturelle de ce dommage étant la rescision de l'obligation obtenue par fraude, l'action en rescision est assimilée ici à celle qui résulte des vices du consentement, sauf qu'elle ne peut nuire aux tiers (même art., 4° al.; v. nOS 79 à 82).
La lésion, n'étant qu'une insuffisance de la valeur reçue comparée à la valeur fournie, ne peut être qualifiée de vice du consentement (voy. art. 326, 3e al. et n° 49); tout au plus, pourrait-on dire (et c'est l'explication ordinaire) que, dans les cas assez rares où elle autorise la rescision de la convention en faveur des majeurs, elle fait présumer une erreur sur les qualités principales de la chose, ou une contrainte résultant de la pénurie. Mais, il vaudrait mieux voir dans les cas de rescision pour lésion une application particulière du principe que ” nul ne doit s'enrichir sans cause légitime du bien d'autrui." Cette idée sera reprise, dans l'Appendice, au sujet des obligations naturelles (v. n° 720); dans tous les cas, le mieux est de séparer la lésion de l'incapacité et des vices du consentement, et d'en faire une cause particulière de rescision; sauf le cas où elle atteint des mineurs (v. art. 570).
649. La nécessité d'agir en justice pour obtenir la rescision, dans ses divers cas d'application, n'est pas absolue: rien ne s'opposerait à ce que les parties, d'un commun accord, annulassent leur convention; il ne serait même pas nécessaire pour cela que la convention eût un vice originaire dans sa formation; quand la loi présente l'action en justice comme la voie à suivre, elle entend seulement dire que la nullité n'a pas lieu de plein droit, comme dans le cas où manquerait une des conditions d'existence de la convention. Mais une annulation volontaire n'aura pas autant d'effet que l'annulation judiciaire: elle ne sera pas opposable aux tiers intéressés qui n'y auront pas consenti (voy. art. 373); tandis que, si l'annulation est demandée en justice, il suffira de mettre en cause les tiers intéressés pour que le jugement leur soit opposable: il est nécessaire qu'ils puissent contredire à l'action, mais non qu'ils v adhèrent.
Il faut encore remarquer que la loi admet deux voies judiciaires pour arriver à l'annulation de la convention: la demande directe ou l'action principale et l'exception ou fin de non-recevoir opposée par le contractant auquel est demandée l'exécution; cette exception a le caractère d'une demande incidente (a).
650. Le présent article, en soumettant au même délai l'action et l'exception, tranche, dans le sens le plus rigoureux, une question très débattue en France.
Beaucoup d'auteurs soutiennent, avec une théorie romaine (aujourd'hui sans application, comme on va le voir), que, tandis que l'action en nullité est temporaire, l'exception est perpétuelle (b) et que si le débiteur n'est actionné pour l'exécution qu'après le délai pendant lequel il aurait pu agir en rescision, il peut encore se défendre par l'exception de nullité.
Le Code italien, qui ne pouvait pas négliger de trancher une question pratique si grave, a adopté ce système (art. 1302, 29 al.).
Le Projet adopte la solution inverse, pour trois raisons principales:
1° L'argument tiré du droit romain a perdu toute sa force dans les législations modernes; si l'exception de nullité, pour dol ou violence, par exemple, était perpé'1 tuelle, à Rome, quand l'action était temporaire, c'était parce que le débiteur dont le consentement avait été vicié ne pouvait pas intenter d'action en nullité tant qu'il n'avait pas exécuté la convention ou l'obligation vicieuse: il ne pouvait que se défendre par une exception contre l'action née du contrat, laquelle était toujours très longue et souvent perpétuelle; l'action en nullité, très courte elle-même (un an), ne lui était ouverte que lorsqu'il avait fait une aliénation ou exécuté une obligation entachées d'un vice; dans ces cas seulement, il pouvait prendre l'offensive; il eût été, dès lors, illogique et injuste que le délai de l'exception courût contre quelqu'un qui n'était pas maître de l'opposer si on ne le poursuivait pas.
Mais, depuis longtemps, on admet que le débiteur dont le consentement a été vicié peut, même sans avoir exécuté son obligation, prendre l'initiative d'une action en nullité; il était nécessaire de lui reconnaître ce droit, car, même avec l'exception perpétuelle, il courrait toujours le danger, si l'action du contrat était tardivement intentée contre Iiii, de ne plus avoir les preuves du vice de son consentement. Avec le droit de prendre l'offensive d'une action en nullité du contrat, il n'y a donc pas de raison de prolonger pour lui le délai de l'exception. C'est à tort qu'on dit, dans l'opinion contraire, que, n'ayant pas exécuté l'obligation, il n'en souffre pas et n'a pas d'intérêt à agir en nullité: il y a pour lui, au contraire, un grand intérêt à ne pas laisser subsister un engagement dont les vices pourront plus tard être très difficiles à démontrer.
2° Le système qui perpétue l'exception a un grand inconvénient pratique, c'est de laisser, pendant un temps indéfini, la voie ouverte à des réclamations très difficiles à juger, 'à des allégations de faits plus ou moins illégaux ou irréguliers dont la vérification devient souvent impossible après un long temps écoulé: cette difficulté de preuve est la cause principale qui fait limiter l'action à un délai plus court que celui des autres actions; or, la difficulté ne sera pas moins sérieuse lorsque le moyen de nullité sera proposé par voie d'exception que lorsqu'il le sera par voie d'action.
3° Une ancienne Ordonnance française, sur la procédure civile (de l'an 1539), avait formellement limité à dix ans l'action et l'exception -le nullité; or, rien ne permet de croire que le Code civil français ait entendu abroger l'Ordonnance et revenir à la théorie romàine.
Telle est l'opinion qu'on peut soutenir sous le Code français et qu'adopte formellement le Projet japonais.
Nous ajouterons une dernière considération qui a un grand intérêt pratique: si l'exception était perpétuelle, il arriverait, et cela se voit souvent en France, que celui qui aurait dû agir par voie d'action et aurait laissé expirer le délai, chercherait, par des artifices de procédure, à prendre le rôle de défendeur pour faire valoir tardivement la nullité et il ne serait pas toujours facile aux tribunaux de déjouer cette fraude.
651. Le délai de l'action et de l'exception de nullité est fixé à dix ans par le Code français (art. 1304); le Code italien l'a réduit à cinq ans (art. 1300). Le Projet adopte ce dernier délai comme étant suffisant et comme se conciliant mieux avec la difficulté de la preuve des faits qui vicient le consentement. Le délai d'ailleurs est suspendu, dans la plupart des cas, conformément à l'article suivant.
La lésion ne rentrant, ni dans l'incapacité, ni dans les vices du consentement, la loi est obligée de dire que l'action à laquelle elle donne lieu est soumise au même délai: autrement, elle durerait autant que les actions ordinaires, trente ans, ce qui serait trop long. Bien au contraire, dans certains cas de lésion des majeurs, le délai pourra être plus court; ainsi il est réduit à deux ans pour l'action en rescision de la vente d'immeuble pour vilité du prix (c. civ. fr., art. 1676; Proj., art. 734) et à un an, pour le cas d'erreur sur la contenance (c. civ. fr., art. 1622; Proj., art. 691), lequel a de l'analogie avec la lésion, bien qu'il ne soit pas d'usage de le considérer comme un cas de lésion. Il ne reste donc, en France, que le cas de lésion dans un partage (art. 887) auquel s'applique la prescription de dix ans. Dans le Projet, le délai est toujours de cinq ans (v. art. 806).
652. On a remarqué que le Projet donne à notre action le nom " d'action en rescision ou en nullité" et, dans ces développements, on lui donnera indifféremment l'un ou l'autre de ces noms; c'est, en effet, la théorie moderne.
Autrefois, en France, les deux actions n'étaient pas identiques: l'action en nullité s'employait dans les cas où il y avait eu violation des règles du droit positif, même du droit coutumier, qui était un droit positif; l'action en rescision, au contraire, s'employait pour faire tomber des conventions où le droit naturel et l'équité seulement avaient été méconnus. Ainsi, les mineurs, les interdits, les femmes mariées, les incapables, en général, avaient l'action en nullité, parce qu'ils trouvaient leur protection dans le droit civil; au contraire, les personnes dont le consentement avait été vicié, ne trouvant pas une protection expresse dans les coutumes ou dans les ordonnances, n'avaient que l'action en rescision fondée sur l'équité et aussi sur le droit romain qu'on appelait souvent "la raison écrite."
Les deux actions différaient beaucoup, quant à la durée: l'action en nullité durait trente ans, tandis que l'action en rescision n'en durait que dix; de plus, l'action en nullité, étant fondée sur un droit positif, appartenait à l'intéressé comme 1£11, droit, elle s'intentait donc d'emblée (de piano), sans formalité préalable, devant les tribunaux compétents; tandis que l'action en rescision était une faveur: elle était, en quelque sorte, accordée, permise au demandeur, lequel devait, à cet égard, se pourvoir extraordinairement devant le Parlement (Cour supérieure de justice) pour obtenir de.':! lettres dites " de rescision," lui permettant de plaider pour faire tomber la'convention.
Ces différences ont été abolies, en France, par le Code civil qui a fusionné les deux actions et emploie indifféremment un nom ou l'autre (c): la seule action qui subsiste est toujours fondée sur le droit positif, en même temps qu'elle est conforme au droit naturel et à l'équité; il n'y a donc plus lieu, dans aucun cas, de présenter de requête préalable à fin d'admission de l'action: c'est le principe de l'ancienne action " en nullité mais le délai est uniformément de dix ans: c'est l'emprunt fait à l'action "en rescision."
----------
(1) On peut s'étonner que, maintenant que le Livre des Personnes est rédigé et promulgué, nous conservions cette partie du Projet telle qu'elle était primitivement. Mais nous rappelons que le but de cette réimpression n'est pas de mettre le Projet en accord avec le Code officiel (voir Préface du Tome Ier). En outre, nous ne pourrions parler ici du Texte officiel, avec une certitude suffisante, car nous n'avons pas collaboré au Livre des Personnes (ni aux Moyens d'acquérir à titre universel) et le Texte japonais sur ces matières n'a encore été traduit ni en français ni en anglais.
(a) On a déjà cité l'axiome que " le défendeur, eu opposant une exception, devient demandeur: " J'eus in excipiendo fit aclor.
(b) On se fonde sur un ancien axiome célèbre: " les moyens qui sont "temporaires pour fonder une action sont perpétuels pour donner une " exception:" Quœ temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum.
(c) On peut remarquer seulement que le Code semble préférer le nom ancien de " rescision ou restitution " au cas de lésion (voy. art. 1305 à 1313, art. 1674 et suiv.); mais il n'y faut voir qu'un souvenir de l'ancien langage, sans intention particulière.