Art. 574. — 682. L'action en rescision ne doit être qu'un secours contre une perte: elle ne peut être l'occasion d'un profit illégitime, ce qui arriverait, si celui qui fait rescinder un acte pouvait, en recouvrant ce qu'il a aliéné ou en se trouvant libéré d'une obligation, conserver la contre-valeur qu'il aurait reçue. La loi l'oblige donc à la restituer. Elle applique ici le principe général que "nul ne doit s'enrichir sans cause légitime aux dépens d'autrui,” principe qui a été établi en son lieu (ci-dessus, Chapitre Ier, Section 11, art. 381 et suiv.) et déjà souvent appliqué, notamment, art. 479.
Mais on trouve ici une nouvelle différence entre les personnes capables (i) et les incapables: les premières doivent, en principe, restituer, soit identiquement, soit par équivalent, tout ce qu'elles ont reçu, lors même qu'elles en auraient perdu tout ou partie par accident; cependant, ce principe se trouve tempéré par un autre, non moins pnissant, qu'il est bon de rappeler: si ces personnes avaient reçu un corps certain qui aurait péri ou se trouverait détérioré sans leur faute et avant qu'elles fussent en demeure, elles se trouveraient li. bérées d'autant (art. 561) (j). Ainsi, un majeur qui aurait aliéné un immeuble par erreur et qui demanderait la rescision de la vente devrait restituer tout le prix qu'il en aurait reçu, lors même qu'il prouverait n'en avoir pas profité; mais s'il avait acquis un immeuble, également par erreur, et que l'immeuble eût péri, en tout ou partie, sans sa faute, il ne serait tenu de restituer que ce qui en resterait et il recouvrerait tout le prix par lui payé.
683. Il en est autrement, si la rescision est demandée par un incapable: il ne doit restituer que l'enrichissement qui lui reste; il ne serait pas compléte. ment secouru par la loi, s'il devait rendre l'équivalent de valeurs qu'il aurait dissipées; celui qui a contracté avec lui doit s'imputer son imprudence. Toutefois, on devrait tempérer la règle au profit du défendeur, en faisant restituer par l'incapable les valeurs qu'il aurait dissipées à dessein, avant la demande, soit en la retardant dans ce but, soit en voulant échapper à l'une des conséquences de la demande préparée par le tuteur: il y aurait alors un dol contre lequel le mineur ne peut être secouru.
La loi a cru devoir indiquer, en terminant, que l'action en restitution dont il s'agit d'est pas soumise au délai de cinq ans, ce qu'on aurait pu croire, à cause de son lien avec l'action en rescision; mais, il est évident qu'elle repose sur un tout autre principe, qu'elle a un tout autre but, que les questions de preuves qu'elle soulève n'ont aucun rapport avec celles qui sont à produire pour la rescision; c'est donc un cas de prescription ordinaire, comme tout autre cas de restitution de ce qui a été reçu indûment ou ne peut être conservé sans cause.
Si la loi n'indique pas le délai de cette prescription, c'est qu'il n'est pas encore fixé: en France, il serait de trente ans (art. 2262).
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(i) C'est dans le sens général de personnes capables que le texte parle du majeur.
(j) Dans la 1re édition on avait cru pouvoir considérer le demandeur en rescision comme étant en demeure de restituer dès l'instant où il a formé sa demande: on disait qu'il serait impossible d'exiger une mise en demeure par le défendeur qui, généralement, conteste la demande: c'eût été un nouveau cas de constitution en demeure de plein droit. Mais il paraît plus juste de ne pas admettre cette rigueur: le demandeur ne doit pas être tenu de restituer l'objet qu'il a reçu, tant qu'il n'a pas lui-même obtenu satisfaction; il doit jouir du droit de rétention, jusqu'à ce qu'il ait obtenu la nullité de son engagement et les satisfactions qui lui sont dues.