Art. 493. — 508. On arrive à l'imputation faite par la loi, lorsque les parties ne l'ont pas faite ou ne l'ont pas faite valablement; et il faut, tout d'abord, remarquer, à ce sujet, que l'imputation non valable ne peut être désormais corrigée par la partie qui aurait eu le droit de la faire plus exactement: lorsque l'imputation est annulée par le tribunal, le payement subsiste, et, comme il doit avoir eu un effet immédiat d'extinction, du jour où il a été accompli, cet effet, n'étant pas réglé par les parties, se trouve l'avoir été par la loi.
Lorsque la loi fait l'imputation, elle se préoccupe moins de suppléer à l'intention probable des parties que de donner satisfaction à l'intérêt légitime de chacune, comme on va le voir en reprenant les cinq alinéas.
1° S'il y a des dettes échues et des dettes non échues, il n'y a d'imputation légale que sur celles qui sont réellement échues, et il n'y a pas à distinguer ici dans l'intérêt de quelle partie le terme avait été établi; car la loi n'a pas qualité pour suppléer la volonté de cette partie dans le sens de la renonciation au terme.
2° Toutes les dettes étant échues, en capital et intérêts, on retrouve ici la règle que la dette des frais et intérêts doit être éteinte avant celle des capitaux: la Joi qui a astreint le débiteur à cette imputation préalable ne pouvait manquer à la faire elle-même. On remarquera, à ce sujet, qu'il n'y a pas de distinction entre les intérêts moratoires et les intérêts compensatoires (v. p. 328, d), et, d'un autre côté, qu'une dette de dommages-intérêts, même liquidée, ne serait considérée, ni comme dette de frais, ni comme dette d'intérêts: ce serait une dette ordinaire.
3° Toutes les dettes étant échues, ou toutes étant non échues, et les frais et intérêts étant payés, l'extinction portera sur la dette que le débiteur a le plus d'intérêt ou d'avantage à acquitter, autrement dit, sur la plus onéreuse pour lui.
Il y a des cas où l'avantage du débiteur à être libéré d'une dette plutôt que d'une autre est manifeste; d'autres où l'appréciation, étant délicate et variant avec les circonstances du fait, devra être laissée aux tribunaux,
Ainsi, la dette qui porte intérêts est évidemment plus onéreuse que celle qui n'en porte pas; celle dont l'inexécution doit entraîner une forte clause pénale, une déchéance ou une résolution, est plus onéreuse qu'une dette qui p'a que les sanctions civiles ordinaires; celle qui est garantie par une hypothèque est plus onéreuse que la dette simplement chirographaire. Sont également plus onéreuses: celle dont le débiteur est tenu en son nom plutôt que celle dont il est tenu comme caution, celle dont il est tenu seul plutôt que celle dont il est tenu solidairement avec d'autres; celle à l'égard de laquelle il y a titre exécutoire ou poursuites commencées plutôt que celles qui n'ont pas un caractère aussi menaçant.
Mais, il y a plus de difficulté si l'on compare une dette chirographaire portant intérêts avec une dette hypothécaire qui n'en porte pas, ou une dette dont le débiteur n'est tenu que comme caution et pour laquelle il a fourni hypothèque avec celle dont il est tenu en son nom, sans hypothèque: quand les charges respectives des dettes sont de natures différentes, la comparaison et, par suite, le résultat de l'imputation légale doivent être laissés à l'appréciation des tribunaux. On ne devra pas dire cependant qu'il a alors imputation judiciaire, elle sera toujours légale: les tribunaux ne l'auront pas faite en vertu de leur autorité, mais par interprétation et par application de la loi.
4° Si ce caractère plus onéreux au débiteur ne se rencontre dans aucune des dettes, la loi trouve encore une cause préférable d'imputation dans l'échéance. Et ici, elle fait une différence radicale entre les dettes échues et les dettes non échues: si les dettes sont toutes échues, c'est celle qui est la plus ancienne en échéance qui recevra l'imputation; si aucune n'est échue, c'est, au contraire, celle dont l'échéance est la plus prochaine. Cette différence est facile à justifier. La dette la plus anciennement échue est celle à l'égard de laquelle le débiteur est le plus en faute; c'est aussi celle à l'égard de laquelle le créancier court le plus de risque de perdre son droit par la prescription; il est donc juste que le débiteur soit présumé avoir entendu éteindre cette dette, de préférence, et, s'il n'a pas eu cette intention, que la loi y supplée (d). Si, au contraire, aucune dette n'est échue, le débiteur n'a commis aucune faute, il n'a encore aucun devoir de payer; mais, puisqu'il paye avant tous les termes, il est censé renoncer à celui qui est le plus court, le plus près d'échoir; et, si les termes étaient dans l'intérêt du créancier, le fait par lui d'avoir reçu prématurément pourrait le priver du bénéfice de l'un des termes, lequel, raisonnablement, doit encore être le plus court, le plus proche.
5° La loi suppose enfin que “toutes choses sont égales,” c'est-à-dire que les diverses dettes sont semblables en tous points; dès lors, comme il n'y a plus aucune cause d'imputer sur l'une plutôt que sur l'autre, l'imputation est faite par la loi sur toutes en même temps, non par égales portions, mais proportionnellement à leur importance. On arrive alors à des payements partiels; mais le créancier ne peut s'en prendre qu'à lui-même de n'avoir pas fait une imputation particulière.
----------
(d) Le Code français et le Code italien ont parlé seulement de la dette “ la plus ancienne," et l'opinion la plus répandue est que c'est la plus ancienne en date de formation; mais cette opinion qui paraît fondée sur les lois romaines (équivoques d'ailleurs, sur ce point, et quelque peu con tradictoires) ne peut se justifier, ni en raison, ni en équité, et c'est à bon droit que le Projet l'exclut formellement.