Art. 492. — 507. La loi suppose maintenant que le débiteur n'a pas fait l'imputation ou en a fait une qui n'est pas valable; le créancier, dès lors, a pu user de son droit de la faire, et sa liberté est plus grande que celle du débiteur, car la loi déclare qu'il peut la faire “librement;" elle ne le soumet qu'à une seule condition, celle de faire l'imputation dans la quittance, comme lorsqu'elle est faite par le débiteur, et elle ne met à sa liberté qu'une limite, laquelle est particulière au cas de société (b). On est cependant habitué à voir la loi réserver ses faveurs au débiteur plutôt qu'au créancier. La raison de cette différence est double: d'abord, le débiteur, ayant pu faire l'imputation et ne l'ayant pas faite, est présumé en avoir donné le pouvoir au créan. cier; ensuite, il peut toujours refuser une quittance qui contiendrait une imputation préjudiciable à ses droits: par exemple, si le créancier avait imputé sur une dette non échue, quand le terme était établi dans l'intérêt du débiteur, ou avait imputé sur une dette contestée ou contestable par le débiteur. Lors donc que le débiteur reçoit la quittance portant imputation par le créancier et ne fait pas, à cet égard, de “protestations ou réserves,” l'imputation vaut plutôt par son consentement que par la volonté du créancier (c).
La loi termine encore par une protection du débiteur: lors même qu'il aurait accepté la quittance sans réclamation, il pourrait encore la critiquer pour deux causes: erreur de sa part, fraude ou surprise de la part du créancier. Le Code français (art. 1255) et le Code italien (art. 1257) n'admettent que le dol et la surprise provenant du créancier; mais il paraît tout aussi naturel de venir au secours du débiteur qui, par exemple, aurait mal compris l'imputation faite par le créancier et prouverait que, s'il l'avait exactement comprise, il l'aurait refusée.
Quant au cas de fraude ou surprise de la part du créancier, les tribunaux ne devront pas l'admettre trop facilement; mais on peut supposer que le créancier, abusant de l'ignorance où était le débiteur qu'une des dettes était attaquable, a fait, à dessein, porter l'imputation sur cette dette, pour qu'elle fût considérée comme ratifiée par le payement. L'erreur du débiteur, la fraude à son égard, ne sont pas invraisemblables, si l'on sup. pose que le débiteur actuel est l'héritier du débiteur originaire. Remarquons enfin que le Projet n'a pas employé le mot "dol,” comme les Codes précités, mais le mot plus large de “fraude," pour qu'il soit bien entendu qu'il n'y a pas besoin que le créancier ait employé, pour tromper le débiteur, des "manæuvres frauduleuses" qui sont l'élément constitutif du dol: c'est d'ailleurs l'interprétation admise en France.
Il va de soi que l'imputation faite par le créancier et acceptée par le débiteur, expressément on tacitement, ne pourrait plus être changée, même par un commun accord des parties, s'il y avait des tiers intéressés à son maintien.
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(b) Le cas particulier d'imputation en matière de société est réglé, en France, par l'article 1848: le Projet indique ici qu'il pourra adopter une pareille disposition.
(c) Le débiteur fera quelquefois sagement de ne pas refuser la quittance, quoiqu'il n'accepte pas l'imputation, parce que la quittance prouvera toujours qu'il a effectué un payement; mais alors, il protestera contre l'imputation, il réservera son droit de la critiquer.