484. Lorsque la dette est d'une somme d'argent, le débiteur peut se libérer en donnant, à son choix, des monnaies nationales d'or ou d'argent ou des papiers-monnaie ayant cours forcé.
Le débiteur ne doit jamais plus ni moins que la somme numérique promise, quels que soient les changements légaux survenus dans la valeur nominale des monnaies ou dans leur composition intrinsèque.
La convention qui dérogerait à l'une des deux règles précédentes est nulle.
485. On peut convenir que la hausse ou la baisse respective des monnaies ou papiers-monnaie, résultant du cours commercial du change, au moment où le payement est exigible, sera compensée entre les parties par le payement de la valeur moyenne, en telle monnaie qu'il plaira au débiteur.
486. Si la somme due a été stipulée, soit en or, soit en argent, le débiteur peut se libérer en une autre monnaie, en subissant seul la perte ou en obtenant seul le profit du change.
S'il a été convenu que le payement sera fait en monnaie étrangère, le débiteur peut toujours se libérer comme il est dit à la disposition précédente.
487. La monnaie de cuivre ne peut être donnée pour plus de 5 yens, ni les monnaies d'argent de 0,50 sens et au-dessous, pour plus de 50 yens, sauf convention contraire.
488. Les règles particulières au prêt d'argent sont établies au Chapitre relatif à ce contrat.
Le cas où la dette est d'une somme d'argent parait le plus simple et. cependant il présente le plus de difficultés.
Presque tons les pays, anciens et modernes, ont adopté trois métaux pour les monnaies: l'or, l'argent et le cuivre. Le fer, dont les premiers peuples ont aussi fait usage, et qu'on employait de même autrefois an Japon, est aujourd'hui abandonné comme monnaie, à cause de son pen de valeur intrinsèque comparé à son poids, et le cuivre reste d'un usage très-limité pour le même motif. Les deux autres métaux, dits “métaux précieux”, sont employés concurremment, sauf dans quelques pays où la rareté de l'or a fait adopter l'argent seul, comme la Chine et l'Inde, et. quelques autres où l'or a la préférence, comme l'Angleterre, la Hollande et l'Allemagne Mais, dans le plus grand nombre des autres pays, une difficulté grave est née de la concurrence des deux métaux.
On a cru pouvoir adopter et fixer un rapport légal entre la valeur des deux métaux, pour un même poids, et, sur cette base, on a frappé des monnaies d'or et d'argent portant une valeur déterminée en francs, livres dollars, yens (car le Japon a adopté le même système): on nommé bimétallisme ou système du “double étalon”(h) cet emploi simultané de deux monnaies exprimant une même valeur sous la forme de deux métaux différents.
En France, le rapport. légal de l'or à l'argent. fixé depuis le commencement, de ce siècle, est de 1 à 15 1/2, c'est-à-dire qu'un gramme ou un kilogramme d'or monnayé vaut quinze fois et demi un pareil poids d'argent également monnayé(i). Mais ce rapport, exact, sans doute, au moment où il a été établi, n'a pas tardé à être démenti, contredit et contrarié par les faite; l'or et l'argent, en effet, étant des métaux utiles dans les arts et l'industrie, sont de véritables marchandises qui, comme telles, ont un cours dans le commerce; ce cours varie avec leur abondance ou leur rareté comparées aux besoins du temps et du lieu où l'on est; les découvertes assez fréquentes de nouvelles mines d'or et d'argent font laisser le métal le plus abondant; l'épuisement plus ou moins rapide de ces mines relève les cours; la guerre, la paix, les spéculations, le commerce international, modifient également le cours respectif des deux métaux.
Depuis long-temps, on s'est préoccupé de trouver un autre système qui donnât plus de fixité à la valeur respective des monnaies. Beaucoup de mesures ont été proposées; quelques unes ont été appliquées; aucune iusqu' ici n'a réussi. Plusieurs pays ayant des monnaies semblables (la France, l'Italie, la Suisse, la Belgique) ont formé une “Union monétaire” et se sont engagés à ne pas frapper de monnaies d'argent pendant un certain nombre d'années; mais il n'en est résulté aucun relèvement du cours de ce métal. D'autres pays sont allés beaucoup plus loin et ils ont complètement abandonné l'argent comme monnaie légale; ainsi a fait la Hollande; l'Allemagne est entrée dans cette voie et hésite à aller jusqu'au bout. C'est, en effet, une mesure très-grave pour les fortunes privées que celle qui réduirait aux usages industriels et artistiques la masse énorme d'argent monnayé qui se trouve actuellement en circulation dans chaque pays.(j)
Le Japon, ayant adopté le bimétallisme européen, se trouve en présence du même problème et des mêmes embarras; il souffre, comme les autres pays, de l'écart commercial qui est permanent entre l'or et l'argent: aujourd'hui (août 1881), 90 yens d'or sont reçus pour 100 yens d'argent et il faudrait 111 yens, 11 sens d'argent pour payer l'équivalent de 100 yens d'or.
La difficulté s'augmente encore au Japon du cours forcé des Satan (si-hei) ou papier-monnaie de l'Etat qui présentent depuis deux ans un écart considérable avec la monnaie métallique: aujourd'hui, 100 yens d'argent équivalent à 160 yens de papier et 100 yens d'or à 177 yens, 77 sens, ce qui fuit une prime de 37,50 pour 100 en faveur de l'argent et de 43,75 en faveur de l'or(j).
Il est à regretter que, lorsque le Japon a frappé ses nouvelles monnaies d'or et d'argent, il ait suivi l'exemple, déjà reconnu funeste, des autres nations, consistant à établir un rapport légal de valeur entre les deux métaux précieux. Il était bien facile alors d'adopter un système, depuis long-temps proposé en Europe, mais non encore pratiqué, consistant à frap|ter de» monnaies d'or et d'argent d'un poids et d'un titre déterminés(l), sans indication de la valeur en yens, ou en ne donnant cette valeur qu'à l'une des deux monnaies, par exemple à l'argent, La monnaie qui n'aurait été désignée que par son poids et son titre de fin aurait eu une valeur variable commercialement, mais facile à constater périodiquement dans les grands centres commerciaux et aurait été reçue en payement pour cette valeur en yens.(m)
A l'appui de ce système, qui certainement sera adopté un jour en Europe, dans les pays qui auront à refondre leurs monnaies pour d'autres raisons(n), on peut citer un argument frappant d'analogie tiré du Code civil français (art. 1291) et qui n'a pas encore été invoqué dans cette controverse, c'est la faculté de compenser avec les dettes d'argent les créances de denrées “cotées aux mercuriales" c'est-à-dire des valeurs considérées comme équivalentes au jour du payement; or, la compensation n'étant autre chose qu'un payement abrégé, comme on le verra plus loin, il n'y aurait aucun inconvénient à compenser de l'or avec de l'argent, en tenant compte de leur cours respectif au jour du payement.
On voit bien maintenant que la cause première du mal est que le législateur des divers pays ait prétendu établir un rapport fixe et constant entre un poids d'or et un même poids d'argent, ce qui est aussi téméraire que s'il avait prétendu établir un pareil rapport entre deux denrées, même d'un usage nécessaire et journalier, comme le riz et le sucre. Le législateur ne peut pas davantage faire accepter pour la valeur inscrite un billet d'Etat qui n'est qu'une simple promesse de payer une somme d'argent et, ici, sans échéance fixe. En effet, au-dessus des lois positives, sujettes à l'erreur et à l'arbitraire, comme lois humaines, il y a les lois économiques qui, étant des lois naturelles, sont nécessairement exactes et justes. Or. c'est en vertu d'une loi économique que la rareté ou l'abondance d'une matière comparée aux besoins des hommes, avec leurs variations continuelles, d'après les circonstances de temps et de lieu, en font hausser ou baisser la valeur. C'est la même loi économique qui détermine la valeur variable du papier-monnaie, lequel peut se trouver émis en quantité plus ou moins considérable par rapport aux besoins des échanges. Mais, en matière de papier-monnaie, intervient une autre loi économique, le crédit, la confiance qu'inspire l'Etat débiteur, d'après la situation générale de ses finances, de son administration des affaires publiques et de la sécurité intérieure ou extérieure du pays.
Si les législateurs anciens et nouveaux, de l'Occident comme de l'Orient, avaient mieux connu et respecté les limites de leur domaine, ils n'auraient pas pris un grand nombre de mesures prétendues économiques dont le moindre mal a été l'impuissance, mais qni souvent ont été funestes aux intérêts publics et privés.
A l'égard des monnaies et papiers-monnaie, le Japon n'a fait ni mieux ni moins bien que les autres peuples: 1° il a établi un rapport fixe entre l'or et l'argent, 2° il a émis une quantité considérable de papier-monnaie et, en lui donnant cours forcé, il a prétendu lui donner la même force libératoire qu'à l'or et à l'argent.
Le Projet de Code civil, arrivant à la matière du payement, ne peut demander la refonte des monnaies d'après le système indiqué plus haut; il ne peut non plus demander la cessation du cours forcé du papier d'Etat; mais il peut et doit saisir l'occasion qui se présente d'apporter les atténuations possibles à un mal reconnu.
Il doit se prononcer sur ces deux questions considérables: 1° En qu'elles espèces le payement peut-il être fait par le débiteur ou exigé par le créancier? 2° Quelles conventions particulières les parties peuvent-elles faire d'avance à cet égard ?
Tel est l'objet des articles 484 à 488. On va les expliquer successivement.
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(h) mot étalon qui signifie, en France, “un cheval entier ou reproducteur, ” s'emploie, dans les mesures légales, pour “ le type, le modèle" d'après lequel les instruments de mesurage sont fabriqués; ainsi, il y a l'étalon officiel du mètre: il est en platine, métal presque insensible aux variations de la température. En matière de monnaies, l'étalon d'argent est de 5 francs et l'étalon d'or de francs. Les plus petites fractions ne sont pas des étalons parce qu'elles admettent une tolérance sur le poids légal et sur le degré de fin. Au lieu du mot étalon, les Anglais disent, avec le même sens, standard, qui signifie aussi “drapeau.”
(i) Au Japon, 1rs nouvelles monnaies d'or et d'argent présentent le rapport plus exact de 1 d'or à 16, 17 d'argent (le yen d'or pèse, en grains anglais,25, 72; le yen d'argent, 416 grains), mais ce rapport est déjà déliassé dans le commerce des métaux et, par suite, dans le cours des monnaies.
(j) Cette année même, il a été tenu à Paris une “Conférence monétaire internationale", dans le but d'arriver à une solution plus satisfaisante et de nature à pouvoir être adoptée par les divers pays. Il y est venu des délégués des principaux Gouvernements d'Europe et d'Amérique; mais la Conférence s'est bornée. jour celle fois, à déterminer les questions à étudier et elle s'est ajournée à l'année prochaine pour tenter de les résoudre. Peut-être, à cette occasion, cherchera-t-on à faire adopter en même temps le principe d'une monnaie internationale.
Pour ce qui concerne le bimétallisme, le Japon pourra présenter à l'examen de la Conférence le système qui vu être proposé ici et qui est entièrement nouveau.
(k) Quand on veut énoncer, non plus la prime qu'obtient le métal sur le papier, mais la perte que subit le papier contre le métal, on dit, généralement (avec les chiffres donnés ici), que le papier perd 77,77 pour 100 sur l'or et 60 sur l'argent; mais la formule est inexacte et donnerait lieu à do graves mécomptes: le papier ne perd que 77,77 pour 177,77 et l'argent 60 pour 160, et non pour 100, ce qui revient à la même perte que la prime, soit une perte de 43,75 et 37,60 pour 100.
(l) Voici encore un nouveau sens du mot titre, en français: ce n'est pas la désignation du nombre de yens ou sens inscrite sur la monnaie, c'est le degré de. fin ou la proportion de métal par en fait, le titre est 9/l10e de fin, contre 1/1e d'alliage.
(m) Il ne faudrait pas craindre une différence sérieuse de valeur entre une province et une autre; car le commerce aurait intérêt à la combler immédiatement par un envoi du métal le plus demandé; la constatation officielle du cours, par province ou par Ken, ne serait faite que pour la sécurité et la commodité des intéressés.
(n) Quelquefois un changement de forme du Gouvernement ou de dynastie donne lieu à une refonte générale des monnaies. Ainsi, le 2e Empire français a refondu toutes les monnaies et les a mises à l'effigie de Napoléon III.