Art. 480. — 466. La saisie-arrêt qu'on appelle aussi "saisie-opposition ou opposition," crée il. la validité du payement un obstacle qui ressemble à une double incapacité: celle de payer, chez le débiteur, et celle de recevoir, chez le créancier. Avant de se prononcer sur son caractère exact, a ce point de vue. il faut d'abord se rendre compte des circonstances dans lesquelles elle intervient, de son but et de la manière dont la loi en assure les effets.
Lorsqu'un créancier a lui-même des créanciers, ceuxci peuvent craindre que leur débiteur, après avoir reçu ce qui lui est dû des mains de son propre débiteur, n'en détourne ou n'en dissipe le montant à leur préjudice; ils ont donc le droit de faire défense au débiteur de leur débiteur de " payer et vider ses mains" entre les siennes et de lui ordonner d'effectuer le payement entre les leurs. On nomme " saisissants ou opposants" les créanciers qui ont ainsi fait opposition au payement, "saisi ou débiteur-saisi" celui qui ne peut plus recevoir ce qui lui est du et " tiers-saisi " le débiteur du saisi qui ne peut plus payer à son propre créancier ce qu'il lui doit.
La procédure, un peu compliquée, de la saisie-oppositinl1 se trouvera au Code de Procédure civile (comp. e. proc. civ. fr., art. 557 à 582) (gg). On suppose ici qu'elle [l été faite régulièrement et que le tiers-saisi n'en tenant pas compte, a effectué le payement aux mains de son propre créancier; la conséquence naturelle est qu'il peut être contraint de payer de nouveau aux créanciers saisissants, et, comme il se trouvera avoir payé deux fois sa dette et que son créancier a profité du second payement autant que du premier, en se trouvant libéré de ses dettes, il n'est ni moins juste ni moins naturel que le débiteur ait une action en répétition contre son créancier, dans la mesure de ce qu'il a du payer aux saisissants.
Il va sans dire que si les sommes dues aux saisissants, si les " causes de la saisie," sont supérieures à la somme due par le tiers-saisi, celui-ci n'en sera pas moins libéré en payant seulement ce qu'il doit. Observons encore que s'il y a plusieurs saisissants, la priorité de saisie, en date, ne donne aucune priorité de droit: la saisie n'a pas pour effet d'attribuer au saisissant les biens de son débiteur, elle les place seulement sous la main de la justice; tous les saisissants sont donc payés proportionnellement au montant de leur créance, s'il n'y a pas d'ailleurs entre eux de cause de préférence.
467. Cette situation, assez simple au premier abord, peut se trouver compliquée dans des cas particuliers. Supposons d'abord que la saisie ait été faite pour une somme ou valeur inférieure à la dette du tiers-saisi, ce dernier a pu se croire en droit de payer l'excédant à son créancier, mais, ce ne sera pas toujours impunément: d'autres saisies peuvent survenir, tant que La procédure de la première n'est pas terminée; assurément, elles ne frapperont que la somme conservée par le tiers-saisi entre ses mains, et le dividende revenant aux derniers saisissants sera moindre que si la somme était restée entière; mais, ils ne peuvent s'en prendre qu'à euxmêmes d'avoir fait une saisie tardive. D'un autre côté, le concours des nouveaux saisissants réduit la somme revenant ail premier: au lieu de se trouver payé intégralement, il ne recevra plus qu'un dividende, et, comme cette perte ne l'aurait pas atteint ou l'aurait atteint à un moindre degré, si le tiers-saisi n'avait pas versé l'excédant dont il s'agit, ce dernier sera tenu de rembourser au premier saisissant ce dont il se trouve frustre, sauf son recours contre le saisi.
Un exemple peut paraître nécessaire pour l'application de ces divers principes combinés.
La clette était de 1000 yens; Primus, créancier du créancier, fait saisie-opposition sur le débiteur (tierssaisi), pour une somme de 600 yens; celui-ci ignorant qu'il pourra y avoir d'autres saisies, paye les 400 yens qui excèdent les causes de la saisie. Pendant la procédure qui. tend à établir la légitimité de la saisie de Primus, surviennent d'autres saisies, par Sccundus et rrertius, pour (les sommes qui, réunies, font 400 yens. Comme ces dernières saisies ne portent que sur les 600 yens déjà saisis-arrêtés, il y a à payer 1000 yens dus aux trois saisissants avec 600 yens, ce qui. fait ILl1 déficit de 2/588 sur le tout et sur chaque créance séparément. Sccundus et Tertius ne peuvent se plaindre de subir cette réduction, parce que leur saisie a été tardive; mais Primus fera remarquer au tiers-saisi que si, averti, par la saisie, de l'insolvabilité probable de son créancier (du saisi), il ne lui avait rien versé, il se serait trouvé avoir 1000 yens pour payer pareille somme à tous les saisissants, que le versement de 400 yens au saisi est la cause pour laquelle il a, lui, premier saisissant, subi une perte de 2/58" de sa créance, s'oit 240 yens, et il se les fera restituer par le tiers-saisi; enfin, comme celui-ci se trouvera avoir payé deux fois cette somme à son propre créancier, une fois directement et une autre fois en le libérant d'une dette, il aura son recours pour ladite somme.
Dans cet exemple, on a supposé que les diverses causes de saisies égalaient juste la somme qui avait été saisie-arrêtée par le premier créancier, ce qui a permis de dire que si le tiers-saisi n'avait pas eu l'imprudence de verser l'excédant qui lui paraissait libre après la première saisie, tout le monde aurait été paye intégralement. Supposons maintenant, toujours avec une dette principale de 1000 yens, et avec une première saisie pour 600 ycns et 400 yens d'excédant versés au saisi, que les nouvelles saisies soient pour le double de ce qu'elles étaient tout à l'heure, soit pour 800 yens, il se produira un résultat qui paraît singulier au premier abord, mais qui est forcé, c'est que le tiers-saisi souffrira d'autant moins de son imprudence que les autres sommes dues sont plus fortes. En dTet, les 800 yens dus aux derniers saisissants, joints aux G00 yens (lw; a Primus, font n n total de 1,100 yens à payer avec, les 600 frappés de saisie, ce qui donne un déficit de 8/14('s ou 4/7es pour chacun; mais si le tiers-saisi avait conservé les 1000 yens, Primus, n'aurait perdu que 4/14es ou 2/7es; c'est donc cette différence entre 4j7es et 2/7es (soit 171 yens, 40 sens) que le tiers-saisi aura à lui payer.
On voit cependant que le tiers-saisi est toujours imprudent, s'il paye ce qui excède le montant de la créance du premier saisissant; d'un autre côté, il a intérêt à se libérer: spécialement, pour Lire cesser le cours des intérêts de sa dette; il aura alors la ressource de verser à la caisse publique des consignations tout ce qu'il doit. Le saisi peut lui-même avoir intérêt à exiger cette consignation, car le tiers-saisi pourrait devenir insolvable et les saisissants n'étant pas payés conserveraient leur droit de poursuite contre le saisi; en outre, le tiers-saisi pou l' rait, étant embarrasse dans ses affaires, provoquer des saisies fictives et complaisantes dans le seul but de gagner du temps. La consignation remédie à ces divers dangers.
468. On a supposé que la saisie-arrêt avait été pratiquée sur des sommes d'argent; c'est ce qui arrivera le plus souvent; mais, rien n'empêcherait de saisir-arrêter des valeurs mobilières d'une autre nature dues par un tiers, même des immeubles; et cela, soit qu'ils appartinssent encore au tiers-saisi, comme des marchandises déterminées seulement par leur nature et leur quantité, ou des terrains déterminés seulement quanta leur situation régionale et à leur quantité (par ex., 10,000 t.subos de terre dans le lIokkalclô) (h), soit que, s'agissant de corps certains, la propriété eût été déjà transférée au créancier; dans ce dernier cas, il y aurait encore lieu à saisie-arrêt, au moins pour empêcher la délivrance (voy. c. pr. civ. fr., art. 557).
469. On a dit, en commençant, que la saisic-:uTt'l élève, à l'égard du payement, un obstacle qui parait une incapacité, aussi bien de payer, pour le débiteur; que de recevoir, pour le créancier. JI faut se fixer sous ce rapport qui a été complètement négligé dans la doctrine française. La question, n'est pas sans intérêt. D'abord, s'il y a incapacité de payer, la place de notre article 480 doit se trouver plus haut; ensuite, et cela est plus important, s'il y a incapacité de payer, c'est le solcens seul (le tiers-saisi) qui pourra critiquer le payement; si, au contraire, l'incapacité est de recevoir, elle est du côté de Vaccipiens (du saisi).
Mais l'on peut dire qu'il n'y aura jamais, d'aucun côté, demande en nullité du payement, car le solvens, n'étant pas celui que la loi a voulu protéger ici, n'aurait pas d'action pour se faire rendre ce qu'il a ainsi payé, et l'acdpiens n'y aurait aucun intérêt, à moins de supposer que les choses payées eussent péri; mais, certes, personne ne pourrait admettre que l'accipiens pÚt, dans ce cas ni dans aucun autre, demander un second payement, puisque, lorsqu'il y aura lieu pour le tiers-saisi de payer de nouveau aux saisissants, il aura son recours contre le saisi, qui ne doit pas profiter de deux payements.
La vérité est que la prohibition de payer a ici un caractère tout spécial: elle atteint les deux parties, mais dans un intérêt qui n'est pas le leur, dans l'intérêt des saisissants. Il faut reconnaître qu'il y a là une défense de payer et de recevoir dont la sanction est le risque pour le tiers-saisi de faire un nouveau payement; or, les défenses ou prohibitions de la loi ne créent d'incapacité proprement dite que lorsqu'elles ont pour but de protéger celui auquel elles s'adressent (i).
470. Il reste à voir si le tiers-saisi (solcens) qui aurait eu l'imprudence c1e payer son créancier pourrait, au cours d3 la procédure de saisie, se faire restituer par le saisi (accipiens) les sommes qu'il a ainsi payées. Comme il ne pourrait alléguer avoir payé 1 indu, il faut, en principe, lui refuser la répétition; mais, il faudra la lui accorder dès qu'il aura consigné une nouvelle somme destinée à faire face aux saisies; et même, s'il ne consigne pas et qu'il y ait contre lui une instance commencée par les saisissants tendant à un nouveau payement, il pourra y appeler en garantie le débiteursaisi, pour obtenir contre lui condamnation par le même jugement.
La pratique de la saisie-arrêt n'étant pas encore très répandue au Japon, on a dû lui donner ici quelques développements pour l'intelligence de l'article 480.
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(gg) Elle s'y trouve maintenant, en effet: le saisissant y garde le nom de cl'éallC'ie!', le saisi celui de débiteur et le tiers-saisi est appelé f ¡ers-débiteur.
(h) Le tsuho japonais (tsoulo) est HIle nies are de superficie de 1 mètre 80 c. de côté.
(i) L'incapacité même des condamnés a un caractère de protection, car elle est le corollaire nécessaire dn dessaisissement de l'administration de leurs biens dont la loi les frappe pour assurer l'exécution de la peine (voy. n° 94).