Art. 476. — 456. Le payement est, comme l'a défini incidemment l'article 472, “l'exécution de l'obligation, suivant sa forme et teneur.” Cette définition, d'après sa généralité même, s'applique à toutes les ob ligations: à celles de donner, de faire ou de ne pas faire. Le présent article contient une règle particulière pour l'obligation “de donner ou de transférer la propriété;" il en soumet le payement ou exécution à deux conditions de validité chez celui qui paye, à savoir: la qualité de propriétaire des choses données en payement et la capacité de les aliéner.
Il faut se souvenir ici que quand la convention a pour objet de transférer la propriété, son effet est très-différent, suivant que l'objet à transférer est individuellement déterminé, est un corps certain, ou n'est qu'une chose de quantité ou chose fongible: dans le premier cas, la propriété est transférée, immédiatement, par le seul effet de la convention, sans distinguer s'il s'agit d'un meuble ou d'un immeuble: il ne reste plus qu'à faire la tradition ou délivrance, au temps convenu; s'il s'agit, au contraire, de choses déterminées seulement au poids, au nombre ou à la mesure, de choses de quantité, la propriété ne pourra être transférée que par la tradition ou par quelque autre moyen de détermination des objets (voy. art. 351 et 352).
457. Dans le premier cas, il est clair que la double condition de propriété et de capacité chez celui qui aliène ne peut être exigée qu'au moment de la convention: le droit de propriété, surtout, ne peut plus exister chez le promettant au moment où il fait la délivrance, puisque l'aliénation a été consommée par le seul consentement. On a suffisamment expliqué ailleurs (voy. p. 73), comment la convention est radicalement nulle, faute de cause, si le promettant n'est pas propriétaire, et comment elle n'est qu'annulable s'il n'a pas la capacité d'aliéner (voy. art. 326). C'est seulement quand la propriété ne devra être transférée que par le payement (voy. art. 352) que le débiteur devra, à ce moment même, être propriétaire et capable d'aliéner.
Le présent article 476, évitant la trop grande généralité d'expression du Code français (art. 1238), a soin de se placer spécialement dans l'hypothèse d'un payement qui doit opérer dation ou “translation de propriété;" c'est ce qu'a fait aussi le Code italien (art. 1240). Si on prenait le Code français à la lettre, on arriverait à dire que le dépositaire, l'emprunteur à usage, le locataire, qui rendent la chose déposée, prêtée on louée, doivent en être propriétaires, ce qui est absolument impossible et ce que le Code français n'a certainement pas voulu dire.
458. Après avoir posé les deux conditions requises pour la validité du payement qni nous occupe, l'article 476 règle les conséquences de l'inaccomplissement de l'une ou de l'autre. Il ne s'occupe, du reste, que des rapports entre le créancier et le débiteur; quant aux droits du véritable propriétaire contre celui qui a reçu en payement la chose d'autrui et contre celui qui l'a payée, il n'en est pas question ici; les règles de la propriété sont connues et elles auront ici leur application naturelle: le propriétaire pourra revendiquer sa chose contre celui qui l'a reçue, tant que la prescription acqui. sitive ou usucapion ne lui sera pas opposable, sous les distinctions qui seront établies entre les meubles et les immeubles. Si la revendication est devenue impossible, soit par l'effet de l'usucapion, soit par l'effet de la perte fortuite de la chose ou de sa consommation de bonne foi, le propriétaire aura, le plus souvent, une action contre le débiteur qui a payé, soit en vertu d'un contrat qui avait constitué celui-ci détenteur et débiteur de cette chose, soit en vertu d'un délit par lequel il s'en serait indûment saisi, soit en vertu de l'enrichis. sement que ce payement lui aurait procuré à partir du moment où la libération se serait trouvée validée.
Pour ce qui est des rapports nés du payement irré gulier entre celui qui l'a fait et celui qui l'a reçu, la loi distingue le payement fait par un non-propriétaire et le payement fait par un propriétaire incapable d'aliéner.
Au premier cas, chaque partie peut demander la nullité du payement: cela ne peut faire difficulté du côté du créancier dont le droit n'est pas détruit par un payement qui n'a pas atteint son but.
Mais, on pourrait douter et quelques auteurs ont douté, en France, que le débiteur pût demander la nullité du payement. En effet, n'étant pas propriétaire, il ne peut revendiquer; si même, il avait la possession civile avant le payement, il ne peut la recouvrer par une action possessoire, parce qu'il l'a librement abandonnée ou cédée; il ne peut non plus exercer, à cet égard, une action née de la convention, car, lors même qu'elle serait synallagmatique, elle ne lui donnerait pas action pour revenir contre le payement qu'il a fait; enfin, on pourrait encore opposer an débiteur la maxime célèbre “qu'étant garant de l'éviction, il ne peut l'opérer lui-même" (voy. p. 220). Mais il a la répétition de l'indû; car c'est un des cas de payement indû que celui où le débiteur a payé une chose qui ne lui appartenait pas (voy. art. 386 et p. 266). Son intérêt à répéter est d'ailleurs facile à concevoir et il est légitime: c'est de prévenir l'action en dommages-intérêts du véritable propriétaire.
Au second cas, la nullité fondée sur l'incapacité d'aliéner n'est plus absolue, mais seulement relative: l'incapable seul, le débiteur, pourra donc arguer le payement de nullité (comp. art. 340).
Mais, par esprit d'équité, la loi ne permet pas que le débiteur, soit dans le cas où il a donné ce qui ne lui appartenait pas, soit dans celui où il n'était pas capable d'aliéner, réclame contre le payement irrégulier sans offrir immédiatement un payement valable. Il devra donc, au premier cas, offrir une chose qui lui appartienne et, au second cas, se faire dûment assister ou représenter dans un nouveau payement (par son tuteur, père ou mari, suivant la cause d'incapacité), ou attendre, pour faire un nouveau payement, que la cause d'incapacité ait cessé. Jusque-là, le créancier peut retenir la chose indûment payée (comp. p. 266).
Ce droit de rétention donné par la loi au créancier doit lever tous les doutes que ferait naître la maxime précitée (quem de evictione tenet actio eumdem agentem repellit exceptio); car, du moment qu'il ne sera évincé par son débiteur qu'en recevant un payement valable, il n'a aucun sujet de se plaindre.
459. Il arrivera souvent que le créancier, ignorant la nullité du payement, aura consommé la chose reçue ou l'aura aliénée; dans ces cas, la répétition cesse du côté du débiteur, parce qu'elle causerait au créancier un dommage considérable et disproportionné à sa faute. Bien entendu, le créancier lui-même, dans le cas où il aurait reçu la chose d'autrui, cesserait de pouvoir critiquer le payement, du moment qu'il en aurait tiré les avantages que lui aurait procurés un payement régulier (a). Mais si la chose avait péri par cas fortuit, cette circonstance qui enlèverait au débiteur l'action en répétition n'enlèverait pas au créancier son action en nullité.
Dans ce cas de payement indû, la loi n'ajoute pas, comme cause de refus de répétition, de la part du débiteur, la circonstance que le créancier, sur la foi du payement, aurait supprimé son titre de créance (voy. art. 385, 2° al.); c'est qu'en effet cette suppression ne causerait pas le même préjudice au créancier que lorsque le payement a été fait par un autre que le débiteur: dans le cas qui nous occupe, le seul fait par le débiteur de répéter la chose comme indûment payée, faute de lui appartenir, implique suffisamment une reconnaissance de sa dette; elle constitue pour le créan. cier un nouveau titre qui répare la suppression de l'ancien. Le seul cas qui pourrait faire doute est celui où le titre snpprimé aurait porté l'engagement d'une caution ou un gage mobilier; mais ces deux sûretés sont suffisamment compensées par le droit de rétention accordé ici au créancier.
Observons, en terminant, que les règles concernant le payement fait par un incapable ne s'appliquent pas au payement consistant à faire ou à ne pas faire quelque chose, ni au payement d'une obligation annulable ellemême pour incapacité; mais l'exception opère en sens inverse dans chaque cas. S'il y a eu exécution, par un incapable, d'une obligation de faire ou de ne pas faire, valablement contractée à l'origine, le payement ne sera pas nul: il est considéré comme un des actes d'administration que les incapables peuvent faire, en général; il serait d'ailleurs à peu près impossible d'annuler un fait ou une abstention consommés. En sens inverse, s'il y a eu exécution ou payement d'une obligation annulable pour incapacité, dès l'origine, non seulement le payement est annulable, mais la nullité n'est pas couverte par la consommation ou l'aliénation de la chose par le créancier de bonne foi: dans ce cas, on applique les règles de la nullité des obligations qui seront exposées à la Section VII.
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(a) Les Romains avaient, à cet égard, une expression assez heureuse: quand il y avait eu prêt ou payement de choses n'appartenant pas au prêteur ou au débiteur et que le créancier avait consommé ou utilisé les objets, ils disaient: reconciliatur mutuum, reconciliatur solutio, "le prêt, le payement est réconcilié” (est validé).