Art. 462 et 463.- 431. Toutes les complications qui précèdent disparaissent dans l'obligation indivisible: chaque créancier ou héritier du créancier a droit à la totalité de la créance; chaque débiteur ou héritier du débiteur doit la totalité de l'obligation, et chaque héritier d'un héritier décédé a également droit et obligation pour le tout (c. civ. fr., art. 1222 et 1223); si le lien est, à certains égards, moins fort que celui de la solidarité, il a plus d'étendue quant à son objet. Mais ce que cette matière gagne en simplicité de ce côté, elle le perd d'un autre; car la difficulté des obligations indivisibles est proverbiale et on dit souvent, avec un vieil auteur français, Dumoulin, que c'est un “labyrinthe inextricable” où il est difficile de ne pas s'égarer.
Le Projet va s'efforcer d'y mettre de la clarté et même de la simplicité.
En rapprochant ces neuf articles de pareil nombre consacré aux mêmes obligations dans le Code français (art. 1217 à 1225), on trouvera, au premier abord, que le fond des dispositions des uns et des autres paraît différer assez peu; mais un examen attentif révèlera ici une classification plus rigoureuse des divers cas d'indivisibilité et de leurs effets, quelques suppressions nécessaires et des additions utiles qui seront mises en relief et justifiées sur chaque article. A raison de ces changements, il ne faudra consulter les auteurs français sur cette matière qu'avec grande précaution, lorsqu'on y cherchera des éclaircissements complémentaires.
Le Code italien (art. 1202 à 1208) s'est borné à quelques suppressions, ce qui n'était peut-être pas le meilleur moyen de dissiper les obscurités de cette matière.
Il est reçu, en France, depuis Dumoulin, auteur cólèbre qui vivait il y a trois siècles, suivi, plus tard, par Pothier, auteur du siècle dernier, qu'il y a trois sortes d'indivisibilité; la première est dite “naturelle,” la seconde, "conventionnelle ou intentionnelle," la troi. sième est dite, fort obscurément, “quant au payement ou quant à l'exécution” (c). Une grande partie des difficultés de la matière est venue de cette troisième sorte d'indivisibilité qui a été, par les uns, mise sur la même ligne que les deux premières, avec quelques différences, et, par les autres, considérée comme un cas de divisibilité, mais donnant lieu, par exception, à une exécution intégrale (d).
432. La vérité est qu'il y a deux points de vue différents auxquels on peut se placer pour le classement des cas d'indivisibilité: celui de leurs causes et celui de leurs effets; chaque point de vue donne deux classes, et c'est pour avoir mêlé et confondu ces deux classifications différentes que les auteurs sont arrivés si malheureusement à trois classes d'indivisibilité.
I. Si l'on considère les CAUSES de l'indivisibilité des obligations on n'en trouve que deux: la nature de la chose due qui ne comporte pas de fractions, et la convention ou intention des parties qui ont entendu exclure la division de la dette, quoiqu'elle fût possible naturellement.
Il y a bien aussi un cas d'indivisibilité légale, c'està-dire fondée sur la disposition seule de la loi, c'est celui du gage et de l'hypothèque, et on peut ajouter, par une analogie évidente, celui du privilége sur les meubles et les immeubles (voy. art. 20, 3° al. et T. 1°7, p. 61-62): mais, on a pris, eu France, l'habitude de considérer cette indivisibilité comme naturelle, parce que la loi ellemême dit que “l'hypothèque est, de sa nature, indivisible (c. civ. fr., art. 2114, 2° al. et 2083),” ce qui est inexact: on comprendrait très bien que la poursuite hypothécaire se fractionnat entre les créanciers et contre les divers détenteurs de parties différentes de l'immeuble; si l'on ne veut pas admettre d'indivisibilité légale, il vaut encore mieux rattacher celle de l'hypothèque à l'intention des parties qu'à la nature du droit.
Le Projet a tranché la question dans le sens de l'indivisibilité légale (loc. cit.). On y reviendra, à propos de la matière même des hypothèques et si l'on ne s'y arrête pas ici, c'est qu'il ne s'agit, en ce moment, que d'obligations ou de créances et non de droits réels. On dira seulement ici (ce qui n'aurait pas été hors de propos sous l'article 20) que le Projet ne pouvait prétendre agir arbitrairement: c'eût été plus choquant encore dans un cas où il veut se séparer de la loi française qui a vainement décrété une prétendue nature des choses; le Projet tenait pourtant à ne pas briser une tradition séculaire et peut-être universelle: il a donc déclaré l'hypothèque indivisible, activement et passivement, par interprétation de la volonté probable des parties; aussi, ces dernières pourraient-elles déroger à la loi, tandis qu'elles ne pourraient pas déroger à la nature des choses.
II. Si l'on considère les EFFETS de l'indivisibilité, on en trouve deux également: l'un général ou absolu, affectant l'obligation activement et passivement, c'està-dire à l'égard des créanciers et des débiteurs; l'autre limité et relatif, n'affectant l'obligation que passivement, c'est-à-dire à l'égard des débiteurs seulement. Il n'y a pas d'indivisibilité active seulement, parce que, sans l'indivisibilité passive, elle ne procurerait pas aux créanciers plus d'utilité qu'un mandat ordinaire.
L'indivisibilité qui est naturelle quant à sa cause est nécessairement générale et absolue quant à ses effets: on ne comprendrait pas plus la division active que la division passive, du moment que l'obstacle à la division vient de la nature de la chose due. Au contraire, l'indivisibilité dont la cause est la convention ou l'intention des parties peut être plus ou moins étendue, suivant leur volonté et d'après leur but et leur intérêt: elle peut donc être, soit générale et absolue, soit limitée et relative. C'est dans ce dernier cas et lorsque l'indivisibilité est limitée aux débiteurs que l'on dit, dans l'usage, qu'il y a indivisibilité “quant au payement” (solutione tantum).
Dans le Code français, l'indivisibilité naturelle est prévue par l'article 1217, l'indivisibilité intentionnelle, par l'article 1218 et l'indivisibilité quant au payement, par l'article 1221. Cette dernière est l'objet d'une foule de difficultés qui disparaissent dans le Projet japonais.
433. Le Projet s'écarte d'abord du Code français par la classification: s'attachant moins aux causes de l'indivisibilité qu'à leurs effets, il consacre un premier article à l'indivisibilité générale et absolue ou active et passive (art. 462) et ses deux causes sont seulement indiquées en deux alinéas. Puis vient l'indivisibilité relative, c'est-à-dire limitée, dans ses effets, aux débiteurs, ou passive seulement; ses causes sont les mêmes: la nature de la chose due et la convention ou le testament (le titre constitutif de l'obligation); seulement, la loi ne prévoit qu'un cas pour l'application de chaque cause (art. 463, 1er et 2€ al.), celui où l'indivisibilité ne pèse que sur un seul des débiteurs à l'exclusion des autres. Vient enfin (art. 464) le cas où l'indivisibilité, toujours passive seulement, a été formellement stipulée à la charge de tous les débiteurs indistinctement; c'est là cette véritable sûreté ou garantie de la créance dont on a déjà parlé, sûreté analogue à la solidarité, moins dure à quelques égards pour les débiteurs, mais à d'autres égards, plus dure; ce qui explique qu'elle soit sonvent stipulée conjointement avec elle. Comme sûreté, elle est renvoyée au Livre IV®.
On retrouve donc dans le Projet les mêmes sortes d'indivisibilité que celles que présente le Code français; mais avec des nuances qui, en somme, touchent plus à la méthode qu'au fond.
434. Il faut maintenant éclaircir par quelques exemples et développements les deux articles 462 et 463.
Les choses peuvent se diviser de deux manières: matériellement et intellectuellement ou juridiquement, comme dit l'article 462. La division matérielle ne peut s'appliquer qu'aux choses corporelles; la division intellectuelle ou juridique s'applique tant aux choses corporelles qu'aux choses incorporelles.
Parmi les choses corporelles, il y en a qui se divisent matériellement d'une façon presque illimitée, sans changer de nature et sans perdre leur utilité, comme l'argent et les denrées qui se pèsent, se comptent on se mesurent; d'autres se trouvent plus ou moins dété riorées par la division matérielle, comme les vêtements, les meubles des habitations, les objets d'art, les instruments des métiers; on recherche alors si l'intention des parties n'a pas été d'en exclure cette sorte de division; enfin, il y a des choses corporelles qu'on doit déclarer tout à fait indivisibles matériellement, parce qu'elles changeraient de nature et même seraient, pour ainsi dire, détruites par la division, tels sont les animaux vivants. Mais tous ces objets sont susceptibles de division intellectuelle ou juridique, en ce sens que le droit de propriété dont elles sont susceptibles peut être fractionné entre plusieurs personnes qui auront des droits de même nature, égaux ou inégaux (e). Si le débiteur d'un objet de cette nature meurt laissant plusieurs héritiers, chacun de ceux-ci, devenant co-propriétaire pour une part dans l'objet et se trouvant débiteur de la même part envers le créancier, pourrait, en principe, se libérer en abandonnant, en cédant sa part au créancier. On comprend que cette division, toute juridique, ne change pas la nature de la chose et qu'elle s'appliquerait notamment à un animal vivant.
Les choses incorporelles ne sont évidemment susceptibles que d'une division juridique: ce sont des droits qui peuvent être transférés par partie à diverses personnes ou par un ou plusieurs de ceux auxquels ils appartiennent. Ainsi, si un usufruit est dû à plusieurs stipulants, le débiteur pourrait se libérer en cédant à chacun des créanciers la part d'usufruit qui lui est due, et si, par une cause quelconque, il ne pouvait remplir son obligation envers tous, ceux qui auraient reçu leur part ne pourraient se plaindre. Réciproquement, s'il y a plusieurs promettants d'un usufruit, ou si le promettant unique meurt, laissant plusieurs héritiers, chacun peut constituer l'usufruit pour la part qu'il doit comme héritier, et, si un ou plusieurs d'entre eux manquent à exécuter l'obligation, le créancier ne pourra pas s'en prendre à ceux qui ont exécuté pour leur part.
Il en serait de même s'il s'agissait d'une créance dont la cession aurait été promise à plusieurs ou par plusieurs: l'exécution de la cession par portions indi. vises se comprendrait (f) très-bien et ne serait pas dé. nuée d'utilité.
Ce qui vient d'être dit d'un usufruit qui peut être constitué pour partie, activement et passivement, pourrait, à la rigueur, se comprendre d'un droit de louage et même d'une hypothèque à constituer. Pour le louage, sans doute, une part indivise dans la jouissance d'un bien ne sera pas toujours conforme à l'intention des parties, mais il ne s'agit pas encore de l'indivisibilité intentionnelle; le louage est au moins divisible juridiquement.
Il semble qu'il y ait plus de doute pour l'hypothèque, puisque la loi la déclare “indivisible:" la loi française “par sa nature,” le Projet japonais, par l'intention probable des parties; mais c'est seulement, une fois constituée, que l'hypothèque a ce caractère: alors, chaque partie de l'immeuble, soit matérielle, soit juridique, est affectée au payement de la dette entière, et chaque partie de la créance est garantie par l'immeuble tout entier (cela sera développé en son lieu); mais lorsqu'il s'agit d'une hypothèque promise, d'une hypothèque à constituer, soit par plusieurs, soit en faveur de plusieurs, on comprend très-bien qu'un seul des promettants remplisse sa promesse quand les autres y manquent, ou que le promettant unique exécute son obligation envers un seul de ses créanciers et y manque envers les autres; on conçoit également que l'hypothèque constituée par un seul des co-propriétaires ne grève que sa part in. divise de l'immeuble, quand les autres parts en sont exemptes (comp. c. civ. art. 2205), ce qui prouve bien que cette prétendue indivisibilité de l'hypothèque n'est pas “de sa nature.”
435. Mais il y a des droits réels et des droits personnels indivisibles, même juridiquement, d'après leur nature; tels sont: pour les premiers, les droits de servi. tude dont la nature indivisible est proclamée par l'article 288 et expliquée au Tome Ier pp. 526-528; pour les seconds, la plupart des obligations de ne pas faire et un grand nombre d'obligations de faire (voy. art. 20, 2° al.). Ainsi, quand quelqu'un a promis de ne pas faire un procès, comme demandeur ou défendeur, au sujet d'une réclamation prévue, et meurt laissant plusieurs héritiers, l'obligation est entière à la charge de chacun, et la moindre entreprise ou la moindre résistance litigieuse, par un seul des héritiers, serait une violation entière de l'engagement; de même, si le créancier étant mort, l'un des héritiers avait été engagé dans le procès, le promettant aurait autant manqué à son engagement que s'il avait contesté judiciairement avec tous les héritiers; la conséquence serait, notamment, qu'il devrait des dommages-intérêts à tous et s'il y avait une clause pénale, elle serait encourue en entier.
Les obligations de faire sont moins généralement indivisibles: ainsi, l'obligation de construire un mur ou un chemin, de défricher un terrain, de fabriquer, en assez grand nombre, des objets de même nature ou même de nature diverse, se conçoit exécutée par partie, avec utilité; on peut même dire que, là, il y a divisi. bilité matérielle, et si l'un des débiteurs avait exécuté pour sa part, ou si l'un des créanciers avait obtenu la sienne, il pourrait y avoir libération partielle; pour dé. cider autrement, il faudrait se placer dans l'hypothèse d'nne indivisibilité conventionnelle ou intentionnelle.
Mais certaines obligations de faire sont indivisibles par leur nature; si le débiteur n'a pas fait tout ce qu'il devait, il n'a rien fait d'utile: par exemple, il devait faire une négociation, un arbitrage, contracter et signer pour quelqu'un, faire un acte d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation; s'il n'a pas exécuté son mandat en entier, c'est comme s'il n'avait pas même tenté de l'exécuter.
Notons, en passant, que, comme le mandat cesse par la mort da mandant ou du mandataire, au moins, en général (voy. c. civ. fr., art. 2010), il faudrait supposer ici, non qu'il y a plusieurs héritiers du mandant ou du mandataire, mais que, à l'origine, il y a eu plusieurs mandants ou plusieurs mandataires.
A raison donc de cette indivisibilité du mandat, chaque mandant pourrait demander l'exécution entière du mandat et chaque mandataire pourrait être actionné pour l'accomplir en entier.
On peut encore citer, comme obligation de faire, indivisible par sa nature: celle de produire une pièce, de rendre des comptes de gestion, de garantir un acheteur ou un preneur des troubles ou évictions dont il est menacé, en intervenant en justice avec lui ou en sa place: la garantie ne devient divisible que si elle se résout en dommages-intérêts pour inexécution (v. art. 415, 2° al.).
Tels sont les principaux cas d'indivisibilité dite naturelle, prévus au 1er alinéa de l'article 462.
436. L'indivisibilité intentionnelle (2e al.) résulte de la volonté des parties, laquelle peut être ou exprimée dans la convention, ou manifestée tacitement. La loi, pour ne pas gêner l'interprétation des tribunaux, leur permet de prendre en considération les diverses circonstances du fait, mais c'est généralement le but que se sont proposé les parties en contractant qui ré. vèlera cette intention.
Ainsi, plusieurs personnes ont stipulé un terrain, pour construire une maison d'habitation ou une hôtellerie ou une manufacture; ou bien il y a eu plusieurs promettants de ce terrain; ou, enfin, l'un des contractants originaires est mort laissant plusieurs héritiers: assurément, en pareil cas, la nature de la chose due permet une exécution partielle, mais le but que se proposaient les stipulants, but connu des promettants, ne pouvant être atteint que par la cession entière du terrain, chaque créancier a le droit de demander tout le terrain et chaque débiteur peut être actionné pour le fournir en entier.
Quelques-unes des obligations présentées plus haut comme divisibles par leur nature seront souvent rendues indivisibles par l'intention des contractants: ainsi l'obligation de fournir un objet d'art, un instrument de science ou d'industrie, un animal vivant, laquelle pourrait s'exécuter par parties, au moyen de la cession d'une part juridique de propriété, sera presque toujours indivisible par l'intention des contractants.
Généralement, c'est l'intention des stipulants qui devra être prise en considération pour apprécier si l'obligation a un caractère indivisible, parce que ce sont surtout ces parties qui ont un but déterminé à atteindre, un avantage spécial à réaliser; mais on devra tenir compte aussi de l'intention des promettants qui, en répondant à la stipulation dont le but leur était connu, ont dû considérer qu'ils étaient tenus pour le tout et doivent avoir pris leurs dispositions en conséquence. L'article 470, ci-après, autorise les co-débi. teurs à se prévaloir, de leur côté, du caractère indiri. sible de l'obligation.
On peut encore citer comme cas d'indivisibilité in tentionnelle, et pouvant être autant invoquée par les débiteurs que par les créanciers, les actions qui tendent à la résolution, à la rescision ou à la révocation de conventions.
A la rigueur, et à ne considérer que la nature même de l'action, on comprendrait qu'un contrat fut annulé pour une part et maintenu pour l'autre: par exemple, un vendeur qui n'aurait pas touché la moitié de son prix de vente, pourrait ne rentrer dans la propriété que pour moitié de sa chose; mais ce résultat, contraire, le plus souvent, à son intérêt, le serait aussi à son intention originaire; de même, l'acheteur, quoiqu'il soit en faute, ne doit pas être tenu de garder la moitié de la chose, en co-propriété avec le vendeur. On est bien près de trouver ici une indivisibilité légale; cependant, quand il n'y a pas de disposition formelle de la loi à cet égard, il vaut mieux attribuer cette indivisibilité à l'intention présumée des parties (g). On devra aussi la limiter aux cas où la chose n'est pas susceptible d'une division naturelle qui laisse à toutes les parties une utilité proportionnelle à l'utilité du tout, comme une maison ou un terrain, dont les parties. peuvent n'avoir qu'une utilité très-limitée; mais si l'on suppose une vente de denrées ou de marchandises très-divisibles par leur nature et dont le prix a été fixé proportionnellement au poids, au nombre ou à la mesure, et que l'acheteur ait manqué à payer la moitié ou les trois quarts du prix, le vendeur pourrait se contenter de faire résoudre la vente pour moitié ou pour trois quarts, et l'acheteur ne devrait pas être reçu à s'opposer à cette résolution partielle.
On voit donc que l'intention des parties peut se révéler autrement que par le but qu'elles se proposaient, mais encore par la nature même de la chose objet de la convention et par l'utilité qui subsisterait après sa division matérielle.
437. On a quelquefois prétendu que si, dans un contrat synallagmatique, l'obligation contractée par l'une des parties est indivisible, soit par sa nature, soit par l'intention des parties, l'obligation de l'autre doit être, par cela seul, considérée comme indivisible, au moins par l'intention. Mais c'est là une exagération: par exemple, deux personnes se sont fait promettre par deux autres, une servitude, chose indivisible par sa nature, ou un terrain pour une construction déterminée, un cheval, un tableau, choses indivisibles par l'intention des parties; le prix qu'elles doivent est divisible par sa nature, et on ne voit pas de raison suffisante pour présumer que les parties ont entendu que le payement du prix serait indivisible; pour que cela fût, il faudrait que le prix à payer eût lui-même une destination indivisible de la part de ceux auquel il est dû et que cette destination fût connue de ceux qui le doivent; par exemple, il aurait été destiné à acheter une maison ou un navire.
438. L'article 462 nous a fait connaître les deux cas d'indivisibilité absolue, c'est-à-dire active et passive, tout à la fois. Dans l'article 463, il est traité de l'indivisibilité passive seulement ou relative aux débiteurs seuls. Le texte ne lui donne que deux applications, tandis que l'article 1221 du Code civil français lui en donne cinq; le cinquième de ces cas, rendu plus précis, va être l'objet de l'article 464; mais, il est reconnu que les deux autres cas de l'article 1221, le 1er et le 3o, n'ont été considérés comme cas d'indivisibilité que par méprise et confusion. Ainsi le Code français déclare indivisible "la dette hypothécaire;" mais, dans la dette hypothécaire, il ne faut pas confondre le droit personnel ou de créance et le droit réel d'hypothèque ou la sûreté: si le droit est exercé comme personnel, sur tous les biens du débiteur, il est divisible entre les créanciers et entre les débiteurs; s'il est exercé hypothécairement, c'est-à-dire sur le bien hypothéqué et contre le déten. teur de l'immeuble, il est indivisible; c'est donc l'hypothèque qui est indivisible et non la dette même, et comme cette indivisibilité de l'hypothèque est prétendue fondée sur sa nature, elle est active et passive et non passive seulement, comme le ferait croire l'article 1221-1°.
C'est par une confusion analogue que le même article déclare indivisible “l'obligation alternative portant sur deux choses dont l'une est indivisible au choix du cré. ancier:"il est évident que, si le choix vient à porter sur la chose divisible, l'obligation, jusque-là conditionnelle et incertaine quant à son objet (voy. art. 455), se trouvera avoir été toujours divisible; si, au contraire, le choix est dirigé sur la chose indivisible, l'obligation sera indivisible, non plus comme alternative et en vertu de cette disposition, mais elle le sera par sa nature ou par l'intention des parties, suivant les cas. Ce que le Code français a voulu dire, sans doute, c'est que le choix est indivisible et que le créancier qui a le choix ne peut choisir partie d'une chose et partie de l'autre, ce qui était bien inutile à dire, car il ne pourrait jamais obtenir une partie de la chose indivisible; enfin, on ne voit pas pourquoi le Code limite cette indivisibilité du choix au cas où il appartient "au créancier;" il est bien évident que la division du choix ne serait pas non plus permise au débiteur: l'article 1191 l'a déjà dit, même pour le cas où toutes les choses dues sont divisibles (comp. cidessus, art. 448, 3° al.).
C'est sans doute pour ces raisons que le Code italien a supprimé ces deux cas de son article 1245 qui correspond, du reste, à l'article 1221 du Code français.
439. Voici maintenant les deux cas qui du Code français passent dans le Projet japonais.
1er Cas. Il s'agit, non de la translation de propriété, mais de la délivrance, de la tradition d'un corps certain; peut-être la translation de propriété a-t-elle déjà eu lieu, par le seul consentement, comme dans la vente ou la donation; peut-être s'agit-il d'un usufruit ou d'un droit de louage déjà conférés de même; peut-être, enfin, ne s'agit-il que de la restitution d'un dépôt, d'un prêt à usage, d'un objet dont la location est expirée; dans tous les cas, s'il y a plusieurs débiteurs de cette délivrance, elle sera requise en entier de celui qui détient physiquement la chose; en effet, la poursuite contre les autres débiteurs ne pourrait conduire qu'à des dommages-intérêts pour inexécution et ce ne serait pas, pour le créancier, une satisfaction entière. Cette indivisibilité a pour cause la nature même de la délivrance, qui, à la différence de la cession du droit de propriété sur cette chose, est un par fait matériel qu'on ne pourrait opérer par parties qu'en morcellant la chose, ce qui lui ôterait, le plus souvent, toute utilité; mais elle n'a pas pour cause la nature même du corps certain à délivrer; autrement, elle devrait être considérée comme active et passive, tout à la fois; or, le texte suppose formellement la chose “divisible par sa nature" et il n'attribue l'indivisibilité qu'à l'intention des parties. Ici, c'est spécialement de l'intention des débiteurs qu'il s'agit; car, par un partage ou autrement, ils ont consenti à mettre ou à laisser la chose due aux mains de l'un d'enx, et ils ont entendu, par là, le charger seul le l'exécution; le créancier y trouve, à son tour, l'aIntage de ne pas être tenu d'intenter plusieurs actions qi ne pourraient lui faire obtenir que des dommagesinirêts contre ceux qui ne sont pas détenteurs de la chose due.
Mais il n'y a pas indivisibilité active; si donc il y a plusieurs créanciers originaires ou plusieurs héritiers d'un créancier unique, chacun d'eux ne doit agir que pour sa part dans la créance: les autres n'ont vraisemblablement pas entendu s'exposer au risque de son insolvabilité.
D'un autre côté, comme un corps certain, à la différence d'une chose de quantité, ne peut être délivré par parties, sans détériorations, le débiteur poursuivi par un des créanciers est admis, pour dégager sa responsabilité, à requérir la mise en cause de tous les autres, afin de se libérer simultanément entre leurs mains. Cette disposition, qui manque dans les Codes étrangers, paraît le seul moyen de concilier tous les intérêts.
2e Cas.-Ici, l'intention des contractants est expresse: le titre constitutif de l'obligation contractée par plusieurs a mis le payement à la charge d'un des débiteurs spécialement; ou, en prévision du décès d'un débiteur unique, il a été stipulé que le payement serait fait par un des héritiers désigné; cette désignation pourrait aussi avoir été faite par le testament du débiteur. Bien entendu, dans ces divers cas, le créancier pourrait négliger le droit qui lui a été conféré et intenter une action divisée contre chaque débiteur.
Cette indivisibilité est, comme la précédente, passive seulement; si donc, il y a plusieurs créanciers originaires ou plusieurs héritiers d'un créancier unique, chacun d'eux ne pourra agir que pour sa part contre le débiteur spécialement désigné pour le payement; et, comme la division, tant matérielle que juridique, ne présentera pas ici les mêmes difficultés que dans l'obligation de délivrance, la loi ne donne pas au débiteu assigné la faculté de faire mettre en cause les dives créanciers: il exécutera envers chacun, au fur et à rsure qu'il se présentera.
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(c) Dumoulin n'avait pas tiré sa division tripartite du droit romain qui parait n'avoir admis que l'indivisibilité naturelle; mais il écrivait en latin et il se servit d'expression dont l'obscurité ajouta à celle du sujet; elles ont malheureusement obtenu la consécration de l'usage; il faudra bien se garder de les vulgariser au Japon: ainsi Dumoulin et, après lui, Pothier et les auteurs modernes, appellent la première indivisibilité: naturâ aut contractu, "par la nature ou par le contrat," la seconde: obligatione, “par l'obligation," la troisième: quoad solutionem ou solutione tantum, "quant au payement.” Ces expressions, sauf la première: natura, n'ont aucun sens précis par elles-mêmes; on aurait dû remplacer la seconde par contractu qui répondrait mieux à l'idée d'intention des parties que celle de obligatione; quant à la troisième, il eût été facile de la remplacer par une autre, indiquant clairement que l'indivisibilité n'a lieu que du côté des débiteurs: quoad debitores (voir, ci-après, no 432).
(d) Plusieurs auteurs, en effet, ont cru faire disparaître les difficultés qui naissent de l'article 1221, en insistant sur ce que les obligations prévues par cet article sont divisibles, en principe, et que c'est seulement par exception que la division n'a pas lieu. Mais, si la division n'a pas lieu, comment peut-on dire que l'obligation est divisible? Il faut vrai. ment, une grande complaisance pour ne pas appeler “indivisibilité" des cas où l'exécution intégrale est obligatoire: tous les “cas d'exception à la divisibilité" sont justement ceux où l'obligation est indivisible.
(e) On dit alors que les co-propriétaires sont dans l'indivision (comp. art. 38), espression qui, bien que consacrée, n'est pas exacte, car les droits sont déjà divisés intellectuellement ou juridiquement; on veut dire qu'il n'y a pas encore division matérielle.
(f) La division intellectuelle (du latin intelligere, “comprendre") est, justement, celle qui se comprend, sans se voir, sans tomber sous les sens externes, comme la division inatérielle.
(g) Le Projet donne le caractère d'indivisibilité légale à l'action résolutoire, dans un cas particulier (art. 508, 2° al.).