Art. 459, 460 et 461. —426. On peut poser en principe que la divisibilité des obligations, activement et passivement, est la règle générale et que l'indivisibilité est l'exception.
Mais, la divisibilité suppose plusieurs créanciers ou plusieurs débiteurs, soit à l'origine de l'obligation, soit par suite du décès de l'une des parties; en d'autres termes, elles suppose une obligation multiple quant aux personnes. Si donc il n'y a qu'un seul créancier et un seul débiteur, si l'obligation est simple, l'exécution doit être intégrale, c'est-à-dire qu'elle doit comprendre simultanément toute la chose ou toutes les choses dues, lors même qu'elles seraient divisibles, comme l'argent, les denrées, etc.
Il semble inutile, au premier abord, de proclamer cette indivisibilité, qui pourtant est écrite aussi dans le Code civil français (art. 1220) et dans le Code italien (art. 1204): on pourrait dire que l'indivisibilité est déjà suffisamment assurée par la nécessité de payer à l'échéance, et que si le débiteur prétendait diviser le payement, il se trouverait en retard pour la portion ajournée. Mais la règle devient utile, si le débiteur prétendait payer une ou plusieurs portions avant l'échéance et le reste à l'échéance même; de même, si le créancier en faveur duquel le terme aurait été établi voulait, en y renonçant partiellement, se faire payer une portion par anticipation et le reste à l'échéance. Il est clair que chacune de ces prétentions pourrait être abusive et créer des embarras pour l'autre partie, en dehors de la convention; voilà pourquoi la loi proclame l'indivisibilité de l'obligation simple.
427. La loi rappelle une exception déjà établie par l'article 426: les tribunaux peuvent autoriser le débiteur à fractionner le payement, non par des payements anticipés, mais par des payements tardifs, ce qui est, en même temps, une dérogation à la nécessité d'observer l'échéance: cette double faveur accordée au débiteur se fonde sur l'embarras où il peut se trouver pour l'exécution totale à l'échéance: elle ne se justifierait plus autant, si le débiteur prétendait payer par parties, avant. l'échéance, pour éviter le risque de perdre des sommes qu'il a à sa disposition. De même, il n'y aurait pas de raison suffisante d'autoriser le créancier à renoncer partiellement au bénéfice du terme stipulé dans son intérêt pour se faire payer des sommes partielles dont il aurait besoin, ce qui mettrait le débiteur dans des embarras successifs qu'il n'a pu prévoir.
Au surplus, la règle de l'indivisibilité de l'obligation simple ne doit pas être appliquée avec trop de rigueur: il est clair que s'il s'agit de denrées ou marchandises, de matériaux d'une quantité, d'un poids ou d'un volume considérable, la livraison n'en pourra pas toujours être faite intégralement, en un seul moment, pas même en un seul jour; il faudra bien admettre, forcément, ou que le débiteur commencera la livraison quelque temps avant l'échéance ou qu'il la complétera quelque temps après: " les conventions doivent être exécutées de bonne foi" (art. 350).
428. La divisibilité active et passive apparaît, au contraire, dans l'obligation conjointe, c'est-à-dire dans celle où il y a plusieurs créanciers et plusieurs débiteurs.
Le premier cas d'obligation conjointe est celui où elle était simple à l'origine, mais où ensuite le créancier ou le débiteur est décédé, laissant deux ou plusieurs héritiers ou successeurs à titre universel (art. 459, 29 al.).
Le second cas est celui où, dès l'origine, il y a plusieurs créanciers ou plusieurs débiteurs (art. 460).
Enfin, si l'obligation est solidaire entre plusieurs créanciers ou débiteurs originaires, elle devient conjointe entre les héritiers du créancier ou du débiteur qui vient à décéder (art. 461).
Pour chacun de ces cas, la loi a dû -indiquer le moyen de reconnaître la part de chaque créancier ou de chaque débiteur.
429. Reprenons-les séparément.
Ier Cas. Lorsque la dette, simple et indivisible à l'origine, devient conjointe et divisible par un décès, la division se fait entre les héritiers, par portions égales, ou inégales, suivant la quotité respective de leur droit héréditaire ou testamentaire: le droit donne la mesure de la part de chacun dans chaque créance ou dans chaque dette.
Au Japon, jusqu'ici, il a été rare qu'un défunt eût plusieurs héritiers: le système successoral est la transmission intégrale du patrimoine à l'aîné des enfants mâles ou à l'héritier désigné par le défunt et, à leur défaut, à l'héritier choisi par les proches parents du défunt. Ce système semblerait donc exclure notre première hypothèse d'obligation conjointe et divisible. Mais la loi nouvelle des successions admet que le père puisse, par testament, disposer de la moitié de ses biens en faveur d'un autre que son héritier légitime: cela donnera lieu déjà à une division des créances et des dettes; en outre, comme la moitié disponible pourra être fractionnée par quotes-parts entre plusieurs légataires, la division ne sera pas toujours par moitiés. Cela suffit pour maintenir dans le Projet la division héréditaire des créances et des dettes. Nous espérons d'ailleurs que le droit d'aînesse ne sera pas toujours absolu comme aujourd'hui et notre Projet s'accordera avec le partage entre héritiers proprement dits (v. n° 111 et Additions).
IIe Cas. Le Code français (art. 1220) et le Code italien (art. 1204) n'ont prévu que le cas précédent, celui de la division par l'effet des décès du créancier ou du débiteur unique: ils semblent n'avoir pas songé au cas, pourtant assez fréquent, d'une obligation qui serait conjointe, à l'origine, entre plusieurs créanciers ou plusieurs débiteurs.
Dans ce cas, il se fait d'abord une division immédiate entre les créanciers et les débiteurs originaires. Les parts ne sont pas nécessairement égales: par exemple, si deux copropriétaires dont les droits étaient inégaux vendent la chose qui leur est commune, la part de chacun dans la créance du prix de vente sera la même que dans la chose vendue; de même, si deux personnes empruntent une somme d'argent pour une affaire commune, chacune sera débitrice d'une part semblable à celle pour laquelle elle est intéressée. Cette pfwt, dite réelle ou véritable (a), sert de mesure à l'action de chaque créancier et à l'obligation de chaque débiteur, mais à la condition que les rapports de droit antérieurs qui la déterminent soient connus des parties adverses, respectivement: si la convention s'en explique, rien n'est mieux; mais cette connaissance peut aussi provenir aux parties des circonstances du fait: par exemple, dans les deux hypothèses ci-dessus, la communauté d'intérêts des vendeurs ou des emprunteurs était déjà connue de l'acheteur ou du prêteur, par suite de conventions ou de rapports antérieurs.
Si la part réelle de chaque créancier ou de chaque débiteur n'est pas connue de l'autre partie, la part de chacun dans l'action et dans l'obligation sera virile ou calculée par têtes (6): de moitié, du tiers, du quart, suivant que les créanciers ou les débiteurs sont deux, trois, quatre, etc. Cette division donnera quelquefois à l'un plus et à l'autre moins que sa part réelle; de là, la nécessité de recours respectifs en garantie, au moyen desquels, comme dit le texte (art. 460, 2e al.), chacun est ramené à recueillir sa part réelle du profit ou à la supporter dans la charge (voy. art. 418).
Supposons maintenant que l'un des créanciers ou des débiteurs originaires meure laissant plusieurs héritiers ou successeurs à titre universel, il se fait entre ceux-ci une subdivision de sa part, d'après leur portion héréditaire, comme au premier cas.
S'il survenait un décès parmi ces héritiers, il y aurait une nouvelle subdivision.
Si, enfin, il y a des décès du côté des débiteurs, en même temps que du côté des créanciers et de leurs héritiers, le morcellement de l'obligation peut devenir excessif.
IIIe Cas. Soit enfin une obligation solidaire, activement et passivement: elle ne se divise pas au premier degré: chacun des créanciers peut demander le tout (solidum) et chacun des débiteurs doit payer le tout, comme s'il était seul, comme si la dette était simple; la divisibilité ne commence qu'au second degré, au décès d'un des créanciers ou d'un des débiteurs: la part de chaque héritier est une fraction de la totalité. Mais pendant que le droit d'un des créanciers ou l'obligation d'un des débiteurs se divise par l'effet de son décès, le droit ou l'obligation du survivant subsiste pour le tout, ce qui est le signe distinctif de la solidarité.
Lors même que toutes les parties originaires sont décédées, laissant chacune plusieurs héritiers ou successeurs, il y a toujours un degré de division de moins que dans l'obligation simplement conjointe. Mais enfin, la dette est divisible: l'article 461 du Projet a pris soin de l'exprimer d'une façon plus explicite que le Code français (art. 1219), reproduit lui-même par le Code italien (art. 1203), lesquels portent, d'une façon assez énigmatique, que " la solidarité stipulée ne donne pas " à l'obligation le caractère d'indivisibilité."
430. Les résultats de la division étant différents entre eux, suivant que la dette est simple, conjointe ou solidaire, il est bon de les faire ressortir par un exemple commun, où l'objet de la dette, le nombre des débiteurs et des créanciers originaires et celui de leurs héritiers serà le même: on ne changera que la modalité de l'obligation, et, pour plus de simplicité, on supposera que les droits et les obligations des contractants et de leurs héritiers sont égaux, sont des parts viriles, ce qui permettra de diviser et subdiviser la dette par têtes.
1° Soit, d'abord, une obligation simple de 2000 yens avec un seul créancier et un seul débiteur. S'il n'y a pas de décès avant l'échéance, l'obligation ne se divisera pas: le créancier ne pourra pas demander la somme par parties et le débiteur ne pourra se libérer qu'en la donnant toute entière à la fois.
Si le créancier ou le débiteur meurt, laissant deux héritiers, chacun de ceux-ci ne peut demander ou ne peut être tenu de donner que la moitié, soit 1000 yens.
Mais si le créancier et le débiteur sont morts, chacun avec deux héritiers, la dette se divise par quarts: chaque héritier du créancier ne peut plus demander à chaque héritier du débiteur que 500 yens, ce qui fait ainsi quatre demandes d'un quart.
2° Soit maintenant une obligation conjointe à l'origine, de même somme (2000 y.), avec deux créanciers et deux débiteurs: il se fait tout d'abord une première division de la dette par moitié, et comme la division est passive en même temps qu'active, chaque créancier devra donc faire une demande d'un quart (500 y.) contre chaque débiteur.
En cas de décès de l'un des créanciers, avec deux héritiers, il se fait entre ceux-ci une subdivision de la créance: chacun n'a plus droit qu'à un quart (500 y.) qu'il obtiendra en demandant 250 y. à chaque débiteur. Le créancier survivant conserve toujours son droit de 1000 y., soit 500 y., contre chaque débiteur originaire.
S'il y a, tout à- la fois, décès d'un des créanciers et d'un des débiteurs, toujours avec deux héritiers de chacun, chaque héritier du créancier décédé ne pourra plus obtenir son quart que par une demande de 125 y. (1 /8e) contre chaque héritier du débiteur décédé, les 250 autres yens lui seront payés par le débiteur survivant. Quant au créancier survivant, il demandera 500 y. au débiteur survivant et 250 y. à chacun des héritiers du débiteur décédé.
Si enfin les deux créanciers et les deux débiteurs sont décédés, laissant chacun deux héritiers, chaque héritier des créanciers n'aura droit qu'à 500 yens et les obtiendra par une poursuite de 125 y. contre chacun des héritiers des débiteurs.
3° Soit enfin une obligation solidaire activement et passivement, avec les mêmes éléments: tant qu'il n'y a pas de décès, chaque créancier peut demander les 2000 y. à chaque débiteur.
Si l'un des créanciers meurt, avec deux héritiers, chacun de ceux-ci ne peut demander que 1000 yens-, mais les deux poursuites peuvent se réunir contre un seul des débiteurs.
Si l'un des débiteurs est aussi décédé, chacun de ses héritiers ne doit payer que 1000 yens, soit au créancier survivant, soit aux héritiers du prédécédé; sans préjudice toujours du droit du créancier survivant de demander les 2000 y. au débiteur survivant.
Si les deux créanciers et les deux débiteurs sont décédés, les choses se passent à ce second degré comme dans la dette conjointe au premier degré (voy. 2°).
Dans les exemples qui précèdent on n'a pas poussé les divisions et subdivisions bien loin: on s'est arrêté à l'hypothèse du décès des deux créanciers et des deux débiteurs; mais ce ne serait pas dépasser les vraisemblances que de supposer l'un des héritiers du créancier venant lui-même à décéder; on aurait alors une nouvelle subdivision: la part de l'héritier décédé se fractionnerait en autant de nouvelles parts qu'il aurait luimême d'héritiers, et si, en même temps, il y avait décès de l'un des héritiers du débiteur, ces héritiers d'héritiers, mis en face les uns des autres, ne pourraient réclamer ou être tenus de payer que des fractions d'autant plus faibles que leur nombre respectif serait plus élevé.
Ces calculs, assez compliqués en apparence, et qui le deviennent davantage si les droits des divers héritiers sont inégaux et si leur nombre est plus considérable, sont cependant susceptibles d'une grande précision mathématique; ils constituent les liquidations de créances: en France, ils sont faits par les notaires, principalement en cas de partage de successions (1).
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(a) On donne ici au mot réelle le sens le plus simple et qui se rendra le mieux en langue japonaise; il serait possible, cependant, de lui donner aussi le sens habituel et plus juridique qui consiste à opposer réel à personnel; la part réelle serait la part consistant dans la chose (in re), par opposition à la part personnelle ou virile mentionnée plus loin.
(b) Part virile vient du latin vir, " homme; " elle se calcule " sur le nombre d'hommes: " pro numéro virorum.
(1) Au Japon, maintenant qu'il y a des notaires, il sera bon que les parties recourent à eux pour l'établissement de comptes compliqués comme ceux-ci, où, même hors le cas de succession, il ne faut pas moins de connaissances juridiques que d'habitude du calcul.