Art. 504. — 532. Le Projet n'admet que trois cas de subrogation légale, tandis qu'on en trouve quatre dans les Codes français et italien; mais, en réalité, il n'y a ici aucune suppression, le 2e cas des Codes précités n'étant qu'une application particulière et assez inutile du 3e cas. On a aussi modifié l'ordre des cas, en mettant le 3e en première ligne, parce qu'il est, de beaucoup, le plus large et le plus fréquent.
533. —Ier Cas. La loi qui est, en principe, favorable à la libération, devait, logiquement, encourager au payement celui qui y a déjà un intérêt légitime, l'intérêt d'éviter des poursuites; or, c'est l'encourager à payer que d'assurer son remboursement au moyen de la subrogation. Dans le présent cas, comme dans les suivants, le. tiers qui paye n'a à demander la subrogation, ni au créancier, ni au débiteur: il la tient de la loi.
Les expressions du texte " celui qui est tenu avec d'autres ou pour d'autres " sont consacrées par les Codes français et italien et il a paru bon de les conserver, parce qu'elles sont précises; toutefois, on y a ajouté un développement utile: celui dont il s'agit peut être tenu " personnellement," par un contrat productif d'obligation, ou "réellement" (propter rem), à cause d'une chose hypothéquée à la dette d'autrui et dont il est détenteur (tiers détenteur); la loi indique ces deux cas assez différents au fond. Le tiers détenteur est toujours tenu " pour d'autres" et non pour lui-même; l'obligé personnellement est tenu " avec d'autres" dans le cas de solidarité ou d'indivisibilité; il est tenu " pour d'autres" dans le cas de cautionnement Si la dette était simplement conjointe, aucun des débiteurs ne serait lié aux autres et n'aurait intérêt à payer leur dette, puisqu'il ne pourrait être poursuivi à ce sujet; il n'aurait donc pas la subrogation légale, s'il payait les dettes conjointes.
Le cas prévu comme seconde hypothèse de s'ubrogation légale par les Codes précités est celui de " l'acquéreur d'un immeuble qui emploie le prix de son acquisition au payement des créanciers auxquels cet immeuble est hypothéqué." Il est clair que, dans ce cas, l'acquéreur, s'il est tenu, personnellement et pour son compte, de son prix d'acquisition envers le vendeur, et tenu par son contrat, n'est tenu envers les créanciers hypothécaires que comme tiers débiteur et pour un autre; il n'y a donc pas lieu de faire figurer spécialement ce cas dans l'énumération des cas de subrogation légale. C'est à tort même que le Code français semble limiter la subrogation au cas où l'acheteur emploie " le prix de son acquisition " au payement des créanciers: il aurait de même la subrogation s'il payait plus que son prix d'acquisition pour éviter les poursuites hypothécaires, et il ne l'aurait pas moins si, ayant eu l'imprudence de payer son prix aux mains du vendeur insolvable, il se voyait dans la nécessité de payer encore les créanciers hypothécaires.
En restant dans l'hypothèse où c'est son prix même d'acquisition qu'il a payé, on peut se demander à quoi lui sert la subrogation, puisque ce payement le libère de sa dette personnelle et ne semble pas pouvoir être l'objet d'un recours. Pour trouver intérêt à cette subrogation, il faut supposer qu'il n'a pu désintéresser tous les créanciers par le prix d'acquisition et que les derniers inscrits, n'étant pas payés, poursuivent la revente de l'immeuble aux enchères publiques, par l'action dite "hypothécaire:" dans ce cas, l'acheteur, se trouvant évincé de l'immeuble, a une action en garantie pour le recouvrement du prix qu'il a payé, et la subrogation lui donne l'hypothèque et le rang des créanciers qu'il a désintéressés.
On dit quelquefois que, dans ce cas, " le subrogé a une hypothèque sur son propre immeuble," dans l'intervalle qui suit le payement qu'il a fait et qui précède l'expropriation hypothécaire; mais cette singularité est plus apparente que réelle, car cette hypothèque est conditionnelle et ne devient utile que si et quand l'acheteur cesse d'être propriétaire par l'éviction qu'il subit.
Ajoutons que cette subrogation a encore une utilité, toujours au cas d'éviction par l'effet des poursuites hypothécaires: si les créanciers désintéressés avaient hypothèque sur d'autres immeubles restés dans les mains du vendeur, le subrogé aurait le bénéfice entier de cette hypothèque; il l'aurait encore en partie, comme il sera expliqué sous l'article suivant, 3e alinéa, si lesdits immeubles étaient passés dans les mains d'autres tiers détenteurs.
C'est sans doute, à cause de ces particularités que les Codes précités ont séparé ce cas des autres.
Au surplus, le cas est devenu d'une application rare en France, à cause des formalités de la purge, infiniment préférable et dont il est parlé à l'article suivant (2e cas); il en sera sans doute de même au Japon, quand la purge des hypothèques, désormais organisée, y sera pratiquée (v. art. 1269 et s.).
534. -IIe Cas. Le Projet élargit notablement le cas de subrogation légale qui occupe le premier rang dans les Codes français et italien. Ces Codes n'accordent la subrogation légale au créancier qui désintéresse d'autres créanciers qu'autant que ceux-ci sont privilégiés ou hypothécaires et sont préférables comme tels à celui qui les paye; les interprètes croyent donner à la loi toute l'application qu'elle comporte en n'exigeant pas que le créancier qui paye soit lui-même créancier hypothécaire; en effet, les autres, quel que soit leur rang de privilége ou d'hypothèque, sont toujours préférables à un simple créancier chirographaire. Mais on n'accorde pas la subrogation légale à celui qui paye un créancier de même rang, ni, à plus forte raison, à celui qui paye un créancier d'un rang inférieur.
Le Projet est infiniment plus large, comme on va le voir: il s'est, avant tout, préoccupé du but utile que se propose celui qui paye et il lui a donné tous les moyens possibles d'y atteindre. Et d'abord, voyons quel est ce but: c'est, évidemment et de l'avis de tout le monde, d'éviter des poursuites, saisies et ventes, souvent inopportunes, toujours coûteuses et qui, en somme, feront obtenir aux créanciers un résultat moins favorable à leurs créances. Dans la situation respective des créanciers prévue par le Code français, l'intérêt d'un créancier à payer d'autres créanciers qui le priment est évident: ceux-ci ayant, eu égard à leur rang, toutes chances d'être payés, ne craindront pas de poursuivre la vente de l'immeuble hypothéqué, même dans un temps ou dans des circonstances peu favorables aux ventes d'immeubles; tandis que, si la vente était ajournée à des temps plus favorables, le prix, plus élevé, pourrait arriver à désintéresser un plus grand nombre de créanciers, peut-être même les derniers en rang.
Le but de la loi étant connu, on a regretté souvent que la loi française n'ait pas accordé la subrogation légale à un créancier qui en désintéresse un autre de même rang ou même d'un rang inférieur; car il peut y avoir, dans les poursuites de ceux-ci, une confiance exagérée dans le succès de la vente, ou de la témérité, peut-être même de la méchanceté (malitia): notamment, s'ils ont d'autres sûretés qui pareront à l'insuffisance de leur hypothèque. S'il est impossible d'ajouter au texte de la loi française par l'interprétation, il est facile et bon de le faire législativement: c'est ce que fait le Projet japonais.
Ainsi, un créancier hypothécaire peut en désintéresser un autre qui n'a aucune priorité sur lui; un créancier chirographaire ou hypothécaire peut désintéresser un créancier simplement; chirographaire; tous peuvent désintéresser un créancier garanti par une action résolutoire. Une différence, toutefois, ef't à noter entré ces divers créanciers qu'il s'agit d'exclure par un payement avec subrogation légale: si ce créancier a un privilége ou une hypothèque, il n'est pas nécessaire qu'il ait commencé des poursuites pour que le payement à lui fait emporte subrogation: le payement H prévient" la poursuite; si, au contraire, il s'agit d'un créancier chirographaire, comme la poursuite est moins à craindre, le danger moins menaçant, la loi n'accorde la subrogation au tiers qui le paye qu'autant que " la saisie immobilière est déjà faite enfin, s'il s'agit d'un créancier qui n'a comme sûreté que l'action résolutoire, le payement à lui fait ne produit subrogation légale que si "la demande en résolution est déjà formée " Dans ces deux derniers cas, le payement ne prévient pas les poursuites, mais " il les arrête."
535. -IIIe Cas. On n'a pas pratiqué encore au Japon l'acceptation d'une succession sous bénéfice d'inventaire qui tient, en quelque sorte, le milieu entre l'acceptation pure et simple et la renonciation; mais on ne pourra pas manquer d'y introduire cette utile disposition qui permet à l'héritier de ne pas refuser la succession d'un parent dont la solvabilité est douteuse, sans cependant s'exposer lui-même à la ruine (1). L'héritier bénéficiaire a, au moins,;la charge de la liquidation de la succession, c'est-à-dire qu'il fait rentrer les sommes dues, vend les biens et solde l es dettes jusqu'à concurrence de l'actif ou " des forces " de la succession (h).
Il peut arriver que certaines dettes de la succession soient exigibles au décès; il serait utile à la succession même de les acquitter le plus promptement possible, ce qui épargnerait des frais de poursuite; or, les fonds nécessaires peuvent n'être pas encore disponibles: la loi encourage l'héritier bénéficiaire à en faire l'avance sur ses propres biens et, pour cela, elle lui accorde la subrogation légale. La loi accorde le même avantage à " l'héritier apparent et de bonne foi," c'est-à-dire à celui qui, paraissant être héritier, légitime ou testamentaire, et croyant l'être, a pris possession de la succession et l'a administrée et liquidée en cette qualité: lorsqu'il aura à restituer les biens au véritable héritier, il prélèvera, au moyen des droits et actions des créanciers désintéressés, les sommes ou valeurs qu'il a déboursées de ses propres biens. La loi n'exige pas que l'héritier apparent ait été bénéficiaire, mais elle exige qu'il ait été 11 de bonne foi (i)." Ce cas de subrogation légale ne se trouve pas dans le Code français.
Si le Projet admet, au cas d'absence déclarée, que l'héritier présomptif puisse être envoyé en possession provisoire des biens de l'absent, il ira de soi que, comme héritier apparent, il ait le même bénéfice de la subrogation légale, s'il a payé de ses deniers des dettes de l'absent et que celui-ci, étant de retour, reprenne ses biens (comp. c. civ. fr., art. 120 à 123, 130 à 132).
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(1) Notre vœu. a été réalisé sur ce point: le Texte officiel admet le bénéfice d'inventaire en faveur de l'héritier; mais il ne permet pas la répudiation de la succesion, au moins pour l'héritier qui devient " chef de la famille." Il y a ainsi au Japon un héritier néccessaire, comme en droit romain.
(h) Dans le langage consacré en cette matière, on dit que l'héritier par et simple est tenu ultrà vires successionis, " au delà des forces de la succession " et l'héritier bénéficiaire, intrà vires, " dans les limites des forces."
(i) Il a déjà été fait mention de "l'héritier apparent" dans l'article 476, mais sans la condition de la bonne foi, parce que ce n'était pas lui qu'il s'agissait de protéger.