Art. 433. — 372. Le Code français (art. 1169 à 1174) énumère et définit plusieurs natures de conditions qui, tout en étant nécessairement suspensives ou résolutoires, ont d'autres caractères influant plus ou moins sur la validité de la convention qui en dépend. C'est ainsi qu'il distingue les conditions: 1° en casuellex, potestatives et mixtes, suivant qu'elles dépendent, ou du par hasard, ou de la volonté d'une seule des parties, ou, tout à la fois, de la volonté d'une des parties et de célle d'un tiers ou du hasard; 2° en licites et illicites; 3° en possibles et impossibles; 4° enfin, en positives et négatives, suivant qu'on a prévu qu'un événement arrivera ou n'arrivera pas.
Le Code italien a suivi à peu près la même méthode (art. 1159 à 1162).
Le présent Projet ne mentionne ces caractères particuliers des conditions qu'en en réglant l'influence sur la convention, et il ne définit que la condition illicite, celle justement que les Codes précités ont négligé de définir, quand c'était le cas où. la définition était le plus nécessaire, comme elle était le plus difficile.
373. Et d'abord, pour la condition impossible, il n'y a pas de difficulté réelle. Si elle est en même temps positive ou affirmative, élle rend nulle la convention qui en dépend; par exemple, on a vendu ou donné un fonds à quelqu'un, s'il faisait l'ascension du Fusiyama au mois de janvier (h); il est évident qu'une pareille convention n'est pas sérieuse et que les deux parties, si elles sont saines d'esprit, savent, dès l'abord, que la condition suspensive ne se réalisera pas et que, par conséquent, la convention ne peut produire d'effet. Il en serait de même, si le fait impossible était pris comme condition résolutoire; par exemple: " je vous vends mon fonds présentement, mais la vente sera résolue, si je fais l'ascension du Fusiyama au mois de janvier;" ici, ce n'est plus la vente qui est nulle, c'est la clause stipulant la résolution: il est clair que celui qui ne s'est réservé qu'une résolution impossible a fait une vente pure et simple.
Supposons maintenant que le même fait impossible, au lieu d'être envisagé positivement ou affirmativement, l'ait été négativement: la solution sera différente; par exemple, " je vous vends ma maison, sous cette condition suspensive: si vous ne faites pas l'ascension du Fusiyama au mois de janvier " comme il est bien certain, dès aujourd'hui, que vous ne la ferez pas, la vente est pure et simple; ou bien encore, vous ayant vendu ma maison antérieurement, sans condition, j'ai stipulé, que la vente serait résolue, si vous ne faisiez pas ladite ascension; comme il est certain que vous ne la ferez pas, la vente est résolue immédiatement, purement et simplement. On a dû supposer ici que la vente était antérieure à la stipulation de résolution, car, si les deux clauses se trouvaient dans une même convention, la vente se trouverait résolue en même temps qu'elle se formerait, ce qui serait dérisoire.
Cette distinction entre la condition positive et la condition négative d'un fait impossible se trouve dans ces deux dispositions du Code français: " Toute condition " de faire une chose impossible est nulle et rend nulle " la convention qui en dépend (art. 1172);
" La condition de ne pas faire une chose impossible " ne rend pas nulle l'obligation contractée sous cette " condition" (art. 1173).
374. Le Code français est moins précis au sujet de la condition illicite qu'il n'envisage pas sous ses deux faces, positive et négative, ce qui donne lieu a des doutes sérieux, quand la condition est négative ou "de ne pas faire une chose illicite."
Le Projet s'est attaché à prévenir ici toute difficulté.
La condition ne sera illicite, au point de vue qui nous occupe, elle ne rendra la convention nulle, que si elle doit tendre à un résultat mauvais, moralement ou socialement; or, ce résultat est à prévoir et à redouter dans deux cas que le texte du présent article détermine avec soin:
1° Si l'une des parties doit lénéjicier, soit de l'accomplissement d'un acte que la loi ou la morale défend, soit de l'abstention d'un devoir que la loi ou la morale impose;
2° Si l'une des parties doit souffrir, soit de s'être abstenue d'un acte défendu, soit d'avoir accompli un acte ordonné.
Dans le premier cas, les parties se seraient proposé de récompenser le mal et, dans le second cas, de punir le bien.
Il n'y a pas à distinguer, du reste, si le profit du mal ou la peine du bien doit être pour le stipulant ou pour le promettant; mais il faut, au contraire, distinguer si la condition illicite est suspensive ou si elle est résolutoire: si la condition est suspensive, il n'y a pas de convention du tout, tandis que si la condition est résolutoire, c'est celle-ci qui est seule non avenue, la convention restant pure et simple (comp. n° 376).
375. Il est nécessaire de donner des exemples de ces diverses situations qui sont régies par le même principe.
1° " le vous promets ma maison, si vous me procurez des documents secrets du Gouvernement: " la condition illicite est suspensive; elle est positive; elle est dans l'intérêt du stipulant de la maison (i).
2° "Je vous promets ma maison, si vous ne remettez pas au Gouvernement les documents que vous avez reçus pour lui: " la condition illicite est encore suspensive et dans l'intérêt du stipulant; mais elle est négative, en ce qu'elle a pour objet le non-accomplissement d'un devoir.
3° " le vous donne ma maison présentement, mais la donation sera résolue, si je vous remets les documents secrets du Gouvernement, ou si vous ne lui remettez pas ceux qui lui sont adressés: " dans les deux cas, la condition est dans l'intérêt de celui qui stipule la résolution; au premier cas, la condition est positive et la faute serait récompensée; au second cas, la condition est négative et le mérite du promettant serait puni.
376. Voici maintenant les cas que le Code français a laissés dans le doute et qui se trouvent implicitement réglés par les limites précises que le Projet a mises à la nullité.
Les parties ont établi comme condition suspensive de la convention le cas où l'une d'elles s'abstiendrait de tel acte illicite ou accomplirait tel devoir dans des circonstances ou dans un temps déterminé; ou, en sens inverse, elles sont convenues que la convention actuellement formée serait résolue, si la partie intéressée à son. maintien commettait un acte illicite déterminé ou manquait à accomplir tel devoir. Plusieurs auteurs soutiennent que la condition doit, ici encore, être considérée comme nulle et entraîner la nullité de la convention qui en dépend: ils allèguent qu'il est immoral qu'une partie stipule un avantage (l'acquisition ou la conservation d'un droit), comme prix de l'observation de la loi et de l'accomplissement d'un devoir. Mais d'autres répondent que tout moyen qui assure ce double résultat est utile à la société et doit être autorisé.
On doit remarquer d'abord qu'il n'y a pas similitude parfaite entre les deux hypothèses ici proposées: dans la première, celle de la condition suspensive, il y a bien récompense de l'observation de la loi; mais dans la seconde, ce n'est pas la ?io?z-résolution qu'il faut envisager comme une récompense, mais plutôt la résolution comme une peine; or, les parties, pouvant toujours stipuler une peine civile pour assurer l'observation de la loi, auraient pu, certainement, subordonner leur convention à la résolution, pour le cas où l'acquéreur commettrait un acte illicite ou manquerait à l'observation de la loi; il ne faut donc pas les empêcher d'atteindre ce but légitime parce qu'elles auront donné à leur convention une forme différente qui n'en change pas le fond. Il faut, dès lors, sans hésiter, admettre que la résolution peut être stipulée contre la partie qui accomplirait un acte prohibé par la loi ou manquerait à accomplir un acte par elle ordonné.
Dans le cas de la condition suspensive, on pourra faire la distinction suivante: si le stipulant s'est fait promettre un avantage pour le cas où il ne commettrait pas un acte punissable par la loi, ou accomplirait un devoir dont la violation a aussi une sanction pénale, la condition viciera la convention comme immorale; en effet, ily a cause honteuse(turpis ca/üra),et. par suite, refus d'action et droit de répétition contre le stipulant, s'il y avait eu exécution (voy. art. 381-2° et 387); d'ailleurs, il semblerait que la condition implique ici une menace, laquelle vicie également la convention. Mais, si la condition est de ne pas faire un acte que la morale seule réprouve et non la loi pénale, ou d'accomplir un devoir que la morale seule impose et non la loi civile, la convention qui en dépend devra être maintenue. Ainsi, une promesse a été faite à une fille de mauvaise vie, pour le cas où elle rentrerait dans sa famille et s'y conduirait honnêtement, ou à un homme vivant irrégulièrement avec une femme, pour le cas où il l'épouserait légalement; dans ces cas, il n y a pas immoralité, de la part du stipulant, à obtenir une pareille promesse ni, de la part du promettant, à la faire valoir, même en justice, si. la condition est remplie.
377. Le rapprochement du 1er et du 3e alinéas de notre article 433 donne lieu à une observation importante. Tout ce qui a été dit de la condition illicite ou impossible, comme viciant et annulant la convention qui en dépend, ne s'applique qu'au cas où c'est l'effet principal de la convention qui aurait été rattaché à la condition: alors la condition joue le rôle de cause déterminante de la convention et, comme cause illicite ou impossible, elle empêche la convention de se former (voy. art. 325). Ainsi, dans une vente conditionnelle, si c'est la translation de propriété même qui a été subordonnée à la condition, la nullité de la condition entraînera celle de toute la convention; mais, si la condition n'affecte qu'un accessoire de la vente, un objet complémentaire aliéné, un terme pour la délivrance de la chose ou pour le payement du prix, alors, l'accessoire, le terme, seront seuls frappés de nullité.
Cette distinction, formellement écrite dans le Projet, ne se trouve pas dans les Codes français et italien; mais l'interprétation doctrinale et judiciaire les y supplée ordinairement.
378. Terminons par une remarque importante. La théorie générale des conventions et obligations ici présentée comprend, en principe, les contrats à titre gratuit comme les contrats à titre onéreux: en ce qui concerne l'effet des conditions illicites ou impossibles, on n'a pas signalé de différence entre les deux sortes d'actes; on a même pris, tantôt alternativement, tantôt cumulativement, des exemplas de donations et de ventes. Il en est tout autrement dans le Code français: ce n'est que dans les actes onéreux que la nullité de la condition entraîne la nullité de l'acte qui en dépend; dans les donations il n'en est pas de même: la condition nulle y est réputée non écrite et la donation est valable comme pure et simple (c. civ. fr., art. 900). Il a toujours été difficile de justifier cette disposition singulière: elle paraît être une assimilation irréfléchie de là donation au testament, pour lequel, au contraire, la disposition a été sagement admise depuis le droit "ro'rriain. Le Code italien (art. 1266) s'est gardé, en cela, d'imiter le Code français, et le Projet japonais suit l'exemple du Code italien.
Lorsqu'on traitera des donations, on pourra, soit se référer au présent article 433, soit même garder le silence sur les conditions, ce qui impliquera la même théorie que pour les conventions en général. Au contraire, pour les testaments, on ne manquera pas de conserver l'exception consacrée par une longue tradition, au sujet des conditions nulles, et on l'y justifiera.
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(h) Les jurisconsultes romains donnaient comme exemple de condition impossible: "si vous touchez le ciel du doigt." Ils auraient pu en imaginer de plus vraisemblables, en tant que stipulation.
(i) On dit qu'elle est dans l'intérêt du stipulant de la maison, en ce qui concerne le contrat; cela n'empêche pas de supposer que le promettant a, vraisemblablement, un intérêt à l'accomplissement de la faute ou à l'inaccomplissement du devoir; mais cet intérêt, illicite, est inconnu et inutile à chercher.