Art. 406. — 31. O. Le principe posé par le premier alinéa a pour but d'éviter que le tribunal n'ordonne des indemnités en nature dont la valeur pourrait être diflicile à apprécier et pourrait, dans sa réalisation, se trouver inférieure ou supérieure au dommage réel du créancier. Ainsi, si le débiteur a manqué à fournir un objet déterminé, le tribunal ne pourrait le condamner à en fournir un semblable: d'abord, la similitude parfaite pourrait être impossible à trouver; elle serait, en tout cas, contestable et le procès renaîtrait à ce sujet; ensuite, il pourrait arriver que la difficulté du remplacement fut extrême et que le débiteur en éprouvât un préjudice bien supérieur à celui du créancier: une condamnation immédiate à. une somme d'argent, arbitrée par le tribunal, d'après les distinctions qui précèdent, satisfera les intérêts respectifs des parties et terminera la contestation.
Le tribunal peut toujours nommer des experts, pour s'éclairer sur la nature ou l'étendue des dommages et sur la valeur des éléments de réparation.
311. La règle qui précède ne s'applique plus aussi rigoureusement lorsque les dommages-intérêts sont demandés, non par action principale, mais subsidiairement ou conjointement à une autre action, laquelle peut tendre, soit à l'exécution directe par le débiteur ou par un tiers à ses frais, soit à la résolution du contrat pour inexécution. Dans ce cas, la loi n'exige pas la liquidation immédiate des dommages-intérêts: il en pourrait résulter un retard préj udiciable au créancier; d'ailleurs, ils ne seront peut-être pas dûs, si le débiteur exécute. lia loi indique alors la marche que devra suivre le tribunal: s'il 'n'a pas les éléments nécessaires à la fixation du montant des dommages-intérêts, il se borne à les allouer, en principe, et il en réserve la liquidation, à laquelle il devra procéder, lorsqu'il sera certain que le débiteur ne peut ou ne veut exécuter et lorsque le créancier aura fourni les justifications nécessaires, lesquelles pourront être contredites par le débiteur. Ce prqcédé s'appelle, en France, "liquidation par état" (c. prôo. civ., art. 128 et 523, s.); parce que le créancier doit fournir ultérieurement des documents ou états des pertes qu'il a éprouvées et des gains qu'il a manqué à faire.
312. Le 3e alinéa indique un autre procédé que le tribunal pourra souvent employer utilement: quand l'exécution de l'obligation ne peut avoir lieu sans la pleine volonté du débiteur, sur laquelle aucune contrainte directe ne peut être exercée, le tribunal arrivera légalement à une contrainte indirecte, en ordonnant ladite exécution et en condamnant le débiteur, éventuellement ou conditionnellement, à une indemnité par chaque jour ou -chaque mois de retard, sans préjudice des dommages-intérêts, au principal, pour l'inexécution même. Généralement, ce délai ne commencera qu'à partir d'un certain temps, également fixé par le tribunal, car il y a des cas où l'exécution, même volontaire, exige un certain temps. Mais, comme il ne faudrait pas que cette prestation, à raison du retard, se continuât indéfiniment et arrivât ainsi à excéder la réparation du dommage total, même le plus rigoureusement estimé, le tribunal doit fixer un délai maximum après lequel il statuera définitivement; il lui restera alors à statuer sur les dommages-intérêts au principal qui n'ont pas été appréciés dans le jugement; mais il ne pourrait p"s restreindre la somme qu'il a déjà fixée pour le retard; on l'a cependant quelquefois prétendu, en France, et il y a des tribunaux qui ont cru pouvoir revenir sur cette fixation, mais cette solution est contraire à l'autorité de la chose jugée: la condamnation prononcée en prévision du retard n'a pas été simplement cornmÍnatoÍ'/'f, ou en forme de menace, elle a été et a dû être effective.
313. Le dernier alinéa consacre au profit du débiteur un droit qui peut étonner, au premier abord, parce qu'il semble contraire aussi à l'autorité de la chose jugée; mais il faut remarquer que la condamnation prononcée en prévision du retard est éventuelle ou conditionnelle; or, de même que le débiteur pourrait la faire tomber en exécutant, de même il le peut, en déclarant, immédiatement ou au cours du délai, qu'il ne peut ou ne veut exécuter; dès lors, il n'y a plus lieu de maintenir une mesure qui sera nécessairement sans résultat utile. On n'a pas oublié d'ailleurs que, dans les cas où l'exécution de l'obligation dépend de la volonté du débiteur, cette volonté doit rester libre, sauf la sanction, la peine civile de l'inexécution. Lors donc que le débiteur déclare formellement qu'il se refuse à exécuter ou ne le peut et demande le règlement immédiat des dommages-intérêts, il doit l'obtenir: il encourra le condamnation antérieure, à raison du retard, pour le temps déjà écoulé et la condamnation définitive au principal sera anticipée.
On doit remarquer, du reste, que, bien que son refus formel d'exécuter, quand il le pourrait, le constitue désormais non plus seulement en faute, mais en état de mauvaise foi, cela n'étendra pas responsabilité du dommage à raison du retard, parce qu'elle a déjà été fixée par le tribunal; les dommages-intérêts au principal, seuls, n'étant pas encore fixés, pourraient être aggravés par la mauvaise foi.