Art. 402. — 298. Ce que la loi appelle " l'exécution directe" de l'obligation, et, en d'autres termes, " l'exécution de l'obligation suivant sa forme et teneur," c'est l'accomplissement en nature de ce qui a été promis, s'il s'agit d'une obligation conventionnelle, et de ce qui est imposé par la loi, s'il s'agit d'une obligation fondée sur une des autres causes légales traitées au Chapitre précédent.
Au premier abord, il semblerait que ce genre d'accomplissement de l'obligation pourrait toujours être exigé, mais le premier alinéa le subordonne à deux conditions dont la première va de soi, c'est'que le créancier la requière; la seconde seule demande quelque justification.
Si l'exécution directe de l'obligation ne pouvait être obtenue que par des moyens de contrainte sur la personne du débiteur, il faudrait l'abandonner; en effet, le débiteur, en s'engageant, même expressément et par contrat, à accomplir un acte licite, n'a pas eu l'intention ni même le droit d'aliéner tout ou partie de sa liberté individuelle; il reste maître de sa personne, maître de faire ou de ne pas faire, sauf la responsabilité du dommage qui peut résulter pour le créancier du parti qu'il a pris.
Du reste, on comprendrait très difficilement que la contrainte personnelle produisît un effet utile pour le créancier: la plupart des obligations de faire ne peuvent se réaliser que par un effet de la pleine volonté du débiteur, et son refus formel constituerait la force d'inertie, plus difficile à vaincre que la force active (a).
Voici pourtant un cas très pratique d'une obligation de faire qui ne pourra que se résoudre en dommagesintérêts, parce que l'exécution forcée, quoiqu'à peu près possible en fait, est défendue en droit: une personne a promis ses services à temps, pour un prix qui lui a été payé d'avance, en tout ou en partie; elle est déjà entrée dans la maison où elle doit servir; bientôt, elle veut se retirer, même sans cause légitime; celui auquel elle a loué ses services ne peut la retenir, lors même qu'elle ne serait pas en état de restituer les sommes reçues. Le cas s'est présenté souvent au Japon et l'on n'y a peut-être pas toujours observé le principe de droit naturel qui défend qu'une personne aliène sa liberté. Il ne faut pas qu'une maison privée soit transformée en une prison: ]e maître qui retiendrait ainsi une servante contre sa volonté, quoiqu'elle eût fait un contrat de louage de services personnels, serait coupable de séquestration, délit prévu par le nouveau Code pénal (art. 322).
299. La prohibition légale de toute contrainte sur la personne du débiteur s'applique surtout aux obligations de ne pas faire: justement, parce que c'est le cas où la contrainte serait possible en fait, et encore ne serait-ce que dans des circonstances très spéciales.
En France, un acteur célèbre engagé avec un directeur de théâtre, avait promis de ne pas jouer sur un autre théâtre pendant la durée de son engagement (b); il contrevint à sa promesse et le directeur demanda que l'acteur fût enlevé de la scène rivale pendant la représentation; il l'obtint du tribunal, mais ce fut une violation du principe et elle est restée célèbre comme telle; il convient de remarquer d'ailleurs que la décision émanait d'un tribunal de commeree dont les membres sont rarement des jurisconsultes.
300. Le présent article, après avoir posé le principe qu'on vient de justifier, indique des cas où le créancier obtiendra, avec le secours de la justice, une satisfaction égale ou presque égale à celle que lui donnerait une exécution volontaire.
Le premier cas recevra une très large et très fréquente application. Le débiteur est tenu de délivrer une chose corporelle, meuble ou immeuble, en vertu d'une vente, d'un échange, d'une société; il manque à remplir son obligation: le créancier fera saisir la chose et se la fera délivrer par les officiers de justice chargés de l'exécution des jugements. Cette disposition s'appliquera, non seulement dans les cas où, s'agissant d'un corps certain, la propriété aura été transférée par la convention (dans ce cas, le créancier obtiendrait, au besoin, la possession, par l'action en revendication), mais encore, lorsqu'il s'agirait de choses de quantité vendues uopromises: si le débiteur possédait des choses de la nature et de la quantité promises, le créancier en ferait saisir et s'en ferait délivrer la quantité due. En effet, tout cela peut se réaliser sans violence, sans contrainte sur la personne. du débiteur. La violence légale- ne serait employée que si le débiteur s'opposait lui-même, par la violence, à l'exécution du jugement; mais alors il commettrait un délit qui pourrait toujours être réprimé par la force publique.
Cette disposition s'appliquera non seulement aux cas où la délivrance se- rapportera à une translation de propriété ou de droit réel moins étendu, comme à un droit d'usufruit, de louage ou de gage, mais même au cas. où il ne s'agirait que d'un droit personnel, comme dans la promesse de prêt à usage ou commodat, si le promettant refusait d'opérer le prêt par la tradition.
Le deuxième cas est celui d'une obligation de faire. Ici, l'obstacle résultant de la mauvaise volonté du débiteur est le plus considérable, parce qu'il n'y a pas de saisie possible; mais la loi indique un moyen qui, bien souvent, suffira pour donner satisfaction au créancier: il fera accomplir le fait par un tiers, aux frais du débiteur. On conçoit que lorsqu'il s'agit de travaux agricoles ou manufacturiers, il sera peu important pour le créancier qu'ils soient faits par le débiteur lui-même ou par un autre. Mais, s'il s'agit d'une œuvre d'art à exécuter, d'un mandat ou d'une négociation à accomplir, le créancier aura pris en considération le talent, l'habileté du débiteur, et il ne trouverait pas toujours dans un tiers les mêmes garanties de succès. Il appartient donc au créancier, en pareil cas, de choisir entré l'exécution par un tiers et les dommages-intérêts pour inexécution; quand le texte dit que le tribunal autorisera l'exécution par un tiers, c'est bien entendu, en supposant, avec le premier alinéa, qu'elle est requise par le créancier.
Dans le troisième cas, l'obligation est de ne pas faire, l'inexécution de cette obligation est justement l'accomplissement du fait défendu; on dit alors qu'il y a contravention, que le débiteur a contrevenu à l'obligation. L'exécution tout-à-fait directe ne pourrait être obtenue que par des'moyens préventifs attentatoires à la liberté individuelle que la loi défend; d'ailleurs la prévention serait presque aussi impossible en fait qu'e?b droit, car le créancier ne pourrait exercer sur les actes de son débiteur une surveillance continuelle.
Le seul moyen d'assurer au créancier, autant que possible, le bénéfice de l'obligation, c'est de l'autoriser à faire détruire ce qui aura été fait en contravention à ladite obligation, et comme cette destruction sera ellemême un travail, elle sera accomplie aux frais du débiteur. Bien entendu, il faut supposer qu'il s'agit d'actes matériels susceptibles d'être détruits, comme des travaux, des constructions ou plantations nuisibles à un voisin, et encore faut-il supposer qu'ils ne sont pas faits en contravention à une servitude, car ce n'est pas alors en vertu d'une obligation de ne pas faire qu'ils seraient sujets à destruction, mais en vertu du droit réel de servitude.
Un cas pourrait faire doute, c'est celui où le débiteur, homme de lettres ou écrivain de profession, aurait promis de consacrer exclusivement ses travaux à un journal ou à une revue, et aurait contrevenu en donnant des articles à une feuille rivale. En pareil cas, le tribunal pourrait-il ordonner la destruction des travaux faits en contravention à l'obligation ? Il faut répondre négativement, parce que les œuvres de l'esprit ne peuvent être ainsi détruites, malgré leur auteur, que lorsqu'elles sont contraires à la morale ou à l'ordre public, ce qui n'est pas le cas. Il n'y aurait donc lieu qu'à des dommages-intérêts.
301. La loi autorise enfin des mesures préventives pour l'avenir, s'il y a lieu, c'est-à-dire, s'il est possible d'empêcher le retour de la contravention; mais toujours, il faudrait se garder de porter atteinte à l'indépendance de la personne et même au droit de propriété. Ainsi, si un forgeron avait promis de ne pas battre le fer pendant la maladie de son voisin et continuait cependant l'exercice de sa bruyante profession, le tribunal pourrait bien ordonner qu'il payera une forte somme d'argent, par chaque jour ou même chaque beure de contravention; mais il ne pourrait ôter au débiteur le libre accès à son atelier, ni même autoriser la saisie des fers, marteaux, enclumes.
302. L'avant-dernier alinéa de notre article réserve le cumul des dommages-intérêts avec la satisfaction principale autorisée par les alinéas précédents (comp. c. civ. fr., art. 1145; c. civ. ital., art 1222). En effet, cette satisfaction peut n'être pas complète, et, en tout cas, elle sera souvent tardive et le retard seul est presque toujours préjudiciable. Dans le cas de l'exécution par un tiers, le créancier pourra n'avoir pas les mêmes avantages que si l'exécution était venue du débiteur; enfin, dans le cas où il y a eu destruction de ce qui avait été fait en contravention à l'obligation, il sera rare que le préjudice soit complétement réparé par cette destruction. Mais il ne faudrait pas croire, prenant à la lettre l'article 1145 du Code français (reproduit textuellement par l'article 1221 du Code italien), que la destruction de ce qui a été fait ne suffira jamais et sera toujours accompagnée de dommages-intérêts: le véritable sens de cette disposition sera donné à la Section suivante (v. n° 304).
302 bis. La loi n'aurait pas suffisamment pourvu à la garantie des droits du créancier, en lui donnant une action directe pour l'exécution et une action subsidiaire ou même cumulative en dommages-intérêts, si elle ne lui assurait encore l'exécution des condamnations prononcées contre le débiteur: il faut recourir, comme dernière sanction, à la saisie et à la vente forcée des biens de celui-ci, et, par la distribution du prix, le créancier pourra arriver à une satisfaction plus ou moins complète. Mais ces voies d'exécution forcée, qui sont le complément et l'issue finale des poursuites, appartiennent évidemment à la procédure civile à laquelle renvoie le dernier alinéa de notre article.
----------
(a) De là l'axiome: " Personne ne peut être directement contraint à faire," nemo prcecisè cogi potest ad factum; ce qui est aussi vrai d'une contrainte de fait que d'une contrainte de droit.
(b) Cette convention est très fréquente au Japon.