Art. 393. — 279. La responsabilité des personnes désignées au présent article est, comme pour les précédentes, fondée sur une présomption de négligence; toutefois, elle présente avec la première des différences notables qui motivent cette disposition spéciale:
1° Les personnes ici désignées ne sont responsables que des actes dommageables commis à l'occasion ou par suite des fonctions qu'elles ont conférées; c'est, en effet, dans cette seule mesure que ces personnes ont autorité sur le délinquant; c'est dans cette mesure aussi qu'elles peuvent être blâmées d'avoir donné ou conservé leur confiance à un homme incapable ou peu méritant.
2° Ces mêmes personnes ne sont pas reçues, comme les précédentes, à prouver qu'elles n'ont pu empêcher les dommages; la raison en est que leur négligence s'apprécie moins au moment de l'acte qu'au moment où elles ont fait leur choix et pendant le temps qui a suivi; or, elles pouvaient librement choisir et faire cesser les services d'un employé incapable ou malhonnête, ce qu'on ne peut pas dire pour les ascendants qui, sauf dans le cas d'adoption, ne choisissent par leurs enfants et ne peuvent les renvoyer.
On pourrait peut-être prétendre que l'analogie des situations commanderait la même solution pour la responsabilité du mari à l'égard de sa femme, puisqu'il l'a dû choisir librement et qu'il peut la renvoyer par le divorce; mais, sur ce second point, l'analogie manque tout à fait: le divorce est un remède extrême aux unions mal assorties, il n'est pas dans le vœu de la loi, car il est lui-même un trouble pour les familles; on ne pourrait raisonnablement reprocher à un mari de n'avoir pas renvoyé sa femme pour quelques défauts de caractère qui seraient de nature à nuire à ses voisins.
A l'égard des instituteurs et maîtres d'apprentissage, ils peuvent aussi choisir leurs élèves et surtout les renvoyer, ce qui semblerait devoir leur interdire de se disculper de leur négligence; mais il est plus naturel de leur donner le même avantage qu'aux parents dont ils sont les délégués: le système contraire aurait d'ailleurs l'inconvénient grave d'exposer les élèves ou apprentis turbulents et indisciplinés à être rejetés de toutes les écoles ou ateliers, par crainte de la responsabilité qu'ils feraient encourir et ils deviendraient alors incorrigibles.
280. Ces deux différences étant données et justifiées entre la responsabilité des personnes désignées à l'article précédent et celle des maîtres et commettants, par rapport aux actes de leurs serviteurs et préposés, il faut en présenter quelques applications et elles demandent de la précaution.
Un cocher ou conducteur renverse et blesse un passant, en conduisant imprudemment ou maladroitement la voiture de son maître; le maître est civilement responsable, lors même qu'il n'est pas dans ladite voiture: il aurait dû prendre un cocher plus habile ou n'en pas garder un qui est incapable; l'ivresse du cocher, même accidentelle, n'excuserait pas le maître, car il est toujours évident qu'il a fait un mauvais choix. Les tribunaux auraient, cependant, dans des cas tout-à-fait favorables au maître, la ressource équitable de déclarer que les suites de l'ivresse du cocher sont, par rapport au maître, un cas fortuit ou une force majeure.
Le serviteur envoyé dans une maison par son maître y commet un vol: le maître est responsable d'avoir envoyé chez autrui un individu peu sûr; mais le serviteur, en allant au bain, commet un vol dans l'établissement: le maître n'est pas responsable, car, dans ce cas, le serviteur ne remplit pas une fonction pour son maître. Il y a plus de difficulté, si, en allant faire une commission pour son maître, il vole un objet au devant d'une boutique: il semble, dans ce cas, que le vol soit commis, sinon "dans l'exercice," au moins " à l'occasion" de la fonction, ce que le texte met sur la même ligne; mais il faut reconnaître que la fonction est ici tout-à-fait étrangère au vol, elle n'y a pas plus " donné occassion" que ne l'aurait fait une promenade du serviteur dans la même rue. Il en serait autrement si le serviteur, allant dans divers magasins pour y chercher l'objet demandé par son maître, a commis un larcin dans l'un de ces magasins.
Les cas d'application de cette responsabilité des maîtres sont très variés et souvent délicats.
281. Pour celle des entrepreneurs de travaux, les applications sont journalières aussi. Très souvent, les ouvriers, dans les travaux qu'ils exécutent, commettent des négligences qui causent des dommages aux personnes ou aux propriétés; quelquefois, des ouvriers du même patron sont blessés par l'imprudence d'un autre: le patron est encore responsable, parce qu'il y a tOlljours imprudence de sa part ou défaut de surveillance.
Les compagnies de chemin de fer, de bateaux, de transports de toute sorte, ont la même responsabilité des accidents causés par leurs employés. Et ici, il faut bien remarquer que si les dommages étaient causés aux personnes mêmes ou aux choses que la compagnie s'est engagée à transporter, ce ne serait plus par un quan-dêlit qu'elle serait tenue, mais par le contrat même qu'elle a fait, par le contrat de louage de services ou de transport.
282. La responsabilité des commettants à l'égard des faits de leurs préposés s'applique aussi bien aux administrations publiques qu'aux administrations pri,vées, ! l'Etàt, lés départements, les communes, sont, sous ce rapport, soumis au droit commun. La question n'a jamais fait doute, en France et dans les autres pays, et le principe ne paraît pas contesté non plus au Japon.
Ainsi d'abord, chaque fois que l'Etat se charge d'un service public salarié, comme du transport des lettres, des transmissions télégraphiques, des transports par chemins de fer, il est responsable des délits et des quasi-délits de ses employés; bien plus, si un accident est causé par la maladresse des marins de l'Etat, des soldats faisant l'exercice à feu, des cavaliers portant des dépêches, l'Etat est responsable; enfin, s'il y a abus de pouvoirs par un agent du Gouvernement, l'Etat est encore responsable. Il y a souvent des difficultés et des tempéraments dans l'application, mais le principe doit être proclamé pour la garantie des particuliers.
Bien entendu, pour les préposés des administrations publiques et privées, la responsabilité des commettants n'est encourue que si la faute a été commise " dans l'exercice ou à l'occasion des fonctions déléguées," comme cela a été expliqué au sujet de la faute des serviteurs.