Art. 439 et 440. -387. Bien que la théorie des risques appartienne surtout à " l'extinction des obligations par la perte de la chose due" dont il sera. traité au Chapitre III, elle présente, en matière de conditions, ainsi qu'on l'a déjà annoncé à l'article 355, des particularités qui sont mieux placées ici, au siége de la matière.
Ces deux articles correspondent à l'article 1182 du Code français et à l'article 1164 du Code italien; mais ils sont plus complets, en ce qu'ils prévoient, tout à la fois, la condition suspensive et la condition résolutoire, tandis que cette dernière a été négligée par les deux Codes étrangers; ils s'écartent aussi de la solution donnée au fond, ainsi qu'on le fera remarquer.
388. Lorsqu'une convention confère un droit, purement et simplement ou à terme, la chose due ou cédée est aux risques du stipulant ou du cessionnaire, ainsi qu'il est dit à l'article 355 et pour les raisons données au commentaire (nos 138 et s.); si donc la chose périt en tout ou partie, ou se détériore plus ou moins gravement, sans la faute du débiteur ou du cédant, il sera libéré dans la même mesure, sans rien perdre des droits et avantages réciproques qui pouvaient lui être dus en vertu de la même convention.
Il en est tout autrement dans le cas de condition, au moins de condition suspensive. Tant que cette condition n'est pas accomplie, les droits qu'elle doit conférer ne sont pas nés, mais seulement espérés: c'est accomplissement de la condition qui les fera naître; le consentement donné à l'origine n'a pas besoin d'être renouvelé et n'a pu être rétracté; la cause originaire subsiste et l'accomplissement de la condition jouera le rôle de cause complémentaire (voy. n° 45). Mais pour qu'ils naissent, il faut qu'ils puissent porter sur un objet et '.'objet de la condition a pu périr. S'il a péri en entier, la convention, restée en suspens, ne peut naître faute d'objet: celui auquel la chose a été promise ou cédée ne la recevra pas, mais il n'aura pas non plus à fournir la contrevaleur qu'il avait pu promettre en compensation, en sorte qu'il est exact de dire que la perte est pour le promettant ou le cédant. On doit décider de même au cas d'une donation sous condition suspensive, quoique le donateur n'ait pas à recevoir d'équivalent de la chose donnée ou promise; en effet, quoiqu'il demeure privé de sa chose, il ne l'est pas par la donation, mais par la perte accidentelle; il n'a donc pas la satisfaction d'avoir donné: l'avantage moral qu'il avait cherché dans la bienfaisance, la reconnaissance du donataire, le secours alimentaire même que la donation aurait pu lui faire acquérir, lui manquent également.
Cette solution, rigoureuse, mais découlant logiquement des principes, semble contraire à l'effet rétroactif de la condition, car on doit supposer que la condition s'est accomplie après la perte, et comme elle rétroagit au jour où la convention a eu lieu, comme, à cette époque,' il y avait un objet dû ou cédé, il semble que la perte devrait retomber sur lé créancier ou le cessionnaire.
La réponse est facile: pour que la condition rétroagisse, il faut qu'elle puisse d'abord s'accomplir utilement; pour qu'elle fasse remonter les effets de la convention au jour où le consentement a été donné, il faut que ces effets même puissent se produire, il faut que la convention elle-même puisse naître; or, elle ne peut naître, faute d'objet (l), On peut comparer la convention conditionnelle à un enfant simplement conçu, qui peut bien succéder avant de naître, mais pourvu qu'il naisse vivant et viable; dans le cas contraire, le droit de succession qui était en expectative sur sa tête s'évanouit.
Jusqu'ici, la solution du Projet est semblable à celle des Codes précités: on a seulement mis plus en relief la perte éprouvée par le promettant ou le cédant.
Mais, si la perte est partielle, la similitude cesse.
389. Le Code français semble n'avoir été guidé par aucun principe fixe, pour le cas où la chose a été seulement détériorée ou partiellement détruite sans la faute du promettant: il a hésité entre deux solutions extrêmes dont l'une ferait supporter la perte au promettant et l'autre au stipulant, et, par un singulier procédé, les deux solutions ont une part simultanée d'application: si le stipulant désire l'exécution de la convention, malgré la perte, il peut l'obtenir, mais "sans diminution du prix " (m), quelle que soit l'étendue de la détérioration ou perte partielle; si, au contraire, le stipulant n'a pas le désir d'obtenir la chose détériorée, il peut faire résoudre ou résilier la convention, quelque faible que soit la détérioration, mais sans dommages-intérêts, puisque cette détérioration n'est pas imputable au promettant.
Le Code italien a été plus ferme dans sa décision: il a mis la perte partielle ou détérioration à la charge du stipulant, lequel devra, de son côté, exécuter, la convention, comme il peut lui-même la faire exécuter. Cette solution, conforme au principe que celui qui a les chances de plus-value doit subir les risques de détérioration, est cependant, à son tour, trop rigoureuse pour le stipulant, car la perte peut être presque totale et la détérioration tellement considérable qu'elle ôte pour le stipulant toute utilité à la convention; or, il est bizarre que, si la perte est totale, elle retombe sur le promettant, et que, si elle est presque totale, elle retombe sur le stipulant. Il ne faut pas oublier qu'ici la convention est conditionnelle, c'est-à-dire n'était pas encore parfaite au moment où la perte partielle est arrivée, et cette considération, qui fait mettre la perte totale à la charge du promettant, peut justifier qu'il supporte aussi la perte partielle, au moins dans certains cas.
390. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, qu'en dehors de la solution du Code français il n'y ait place que pour les deux solutions extrêmes faisant retomber la perte partielle, l'une sur le promettant, l'autre sur le stipulant. On concevrait un système qui, au lieu de donner le choix au stipulant, le donnerait au promettant: s'il optait pour le maintien de la convention, il subirait alors une diminution de la contre-valeur qu'il devait recevoir; s'il optait, au contraire, pour la résiliation, il garderait la chose détériorée, sans rien recevoir. On pourrait admettre aussi que la perte partielle se divisât entre les deux parties. Mais la première solution serait plus défavorable encore au débiteur que celle du Code français, car il ne recevrait jamais la contre-valeur intégrale, et la perte, en somme, retomberait toujours sur lui; la seconde solution nécessiterait toujours une expertise pour faire la part de chacun dans la perte.
La solution du Projet paraît aussi équitable que naturelle et simple: la perte est-elle de plus de moitié, elle est assimilée à la perte totale: elle retombe sur le promettant; est-elle de moitié ou moins, il n'en est pas tenu compte: elle retombe donc sur le stipulant. C'est l'application d'un axiome latin assez connu: major pars minorem ad se trahit, "la plus forte part entraîne la plus faible." Le Code français l'a appliqué dans une autre difficulté, parce qu'il lui a paru équitable et raisonnable (voy. art. 866, 2e al.).
Remarquons, enfin, au sujet de la perte de plus de moitié, qu'il ne s'agit pas nécessairement de la moitié en quantité, c'est-à-dire en étendue, en poids, nombre ou mesure, mais de la moitié en valeur; la question a beaucoup d'intérêt, lorsque la chose n'est pas identique dans toutes ses parties.
391. Le Projet a prévu aussi la perte ou la détérioration dans le cas de la condition résolutoire, laquelle a été complètement négligée par les deux Codes étrangers. La solution paraît inverse, parce que la condition agit en sens inverse sur la convention et que les rôles des parties semblent renversés; mais, au fond, c'est le même principe. Soit une vente sous condition résolutoire et la chose vendue ayant péri en totalité ou pour plus de moitié de sa valeur, avant l'accomplisscment de la condition qui a eu lieu ensuite: on peut laisser à l'acheteur le nom de " stipulant," parce qu'il a stipulé la chose vendue; on peut encore mieux lui laisser le nom de cessionnaire, mais, en réalité, il devient promettant sous condition suspensive, puisque la résolution s'accomplissant fera renaître le droit du vendeur. Or, la loi, en mettant la chose à ses risques, lui applique évidemment le principe précédent: si la chose vendue périt en entier, ou pour plus de moitié de sa valeur, la condition ne s'accomplira pas utilement; la chose n'existant plus, ou étant considérée comme telle, ne peut retourner au cédant; dès lors, celui-ci, ne recouvrant rien de ce qu'il a aliéné, ne rend rien non plus de ce qu'il a reçu; la vente se trouve devenue irrévocable, malgré l'accomplissement de la condition résolutoire prévue et la perte demeure à la charge du cessionnaire. Cette solution qui manque dans les deux Codes étrangers y doit être suppléée par interprétation; seulement, ce qui est dit de la perte de plus de moitié reste particulier au Projet japonais.
La théorie des risques, déjà esquissée sous l'article 355, au sujet de l'obligation pure et simple ou à terme, continuée ici pour l'obligation conditionnelle, sera complétée au Chapitre III, lorsque la loi traitera de l'extinction des obligations par l'effet de la perte de la chose due ou par l'impossibilité d'exécuter (art. 561 et s.).
392. Le 3e alinéa de l'article 439 n'est écrit que pour l'harmonie des dispositions: il aurait pu être sousentendu; si la perte ou détérioration est de moitié de la valeur ou de 11WÙ¿.;, elle se compense avec les chances de plus-value; elle est donc à la charge de celui dont le droit à la chose dépend de l'accomplissement de la condition: il la recevra diminuée, sans pouvoir exercer lui -même aucune diminution ou retenue sur la contrevaleur qu'il doit fournir.
393. L'article 440 prévoit que la perte ou détérioration est imputable à l'une des parties: naturellement, à la partie qui avait la chose en sa possession tant que la condition était en suspens. Ici, sans distinguer si la perte est totale ou partielle, la loi la fait retomber nécessairement sur la partie qui est en faute. Si la perte est totale, l'autre partie est libérée de ce qu'elle pouvait devoir en contre-valeur, et elle pourra même obtenir des dommages-intérêts; si la perte est partielle, l'autre partie a un choix tout naturel entre le maintien de la convention et son abandon, avec dommages-intérêts dans les deux cas.
Si la partie lésée demande la résolution de la convention, le résultat définitif n'est pas le même, suivant que la condition était suspensive ou qu'elle était résolutoire: au premier cas, les parties sont dans la position où elles auraient été s'il n'y avait eu aucune convention entre elles; au second cas, c'est la condition résolutoire seule qui est annulée, elle est, pour ainsi dire, résolue elle-même, et la convention primitive devient pure et simple. Ainsi, une vente avait été faite sous condition résolutoire; pendant que la condition était en suspens, l'acheteur a laissé la chose se détériorer plus ou moins gravement; si le vendeur ne désire pas la recouvrer, même avec dommages-intérêts, quand la condition viendra à s'accomplir, il fait résoudre la clause qui devait opérer la résolution et la vente devient pure et simple ou irrévocable, sans préjudice encore de quelque indemnité, parce que l'acheteur ne devait pas lui faire perdre l'avantage de recouvrer la chose.
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(1) Il y a encore un axiome latin applicable ici: priés est e s s e quam esse t a l e, " il faut être avant d'être fel on pourrait dire ici: " il faut que la condition agisse avant qu'elle 1'étroagisse."
(m) Par ces mots, la loi française paraît se placer dans l'hypothèse d'une vente ou d'un louage j il eût été mieux de généraliser la.. solutions en parlant de la contre-valeur ou de l'avantage réciproque dû par le stipulant.