Art. 366. — 171. Cette disposition est empruntée à l'article 1141 du Code français et à l'article 1126 du Code italien qui a fourni spécialement le 2C alinéa.
Il faut bien se garder de voir dans l'avantage attribué ici à la possession un retour à l'ancienne théorie d'après laquelle la tradition était nécessaire pour la translation de la propriété. Lorsqu'il y a eu deux aliénations successives d'un meuble, il n'est pas douteux que la propriété soit acquise au premier contractant, et, d'après le droit commun, le cédant n'a pu conférer une seconde fois le même droit; le second cessionnaire, n'étant que l'ayant-cause du cédant, ne devrait pas avoir plus de droit que celui-ci, et spécialement, il ne devrait pouvoir, en aucun cas, évincer le premier cessionnaire qui est un tiers- par rapport à la seconde convention. Mais la loi considère que l'équité et l'intérêt général souffriraient également si un nouveau contractant était exposé lui-même à une éviction qu'il n'a pas prévue ni pu prévoir. Ne pouvant organiser une publicité proprement dite des aliénations de meubles, comme elle en institue une pour les aliénations d'immeubles, la loi la considère comme utilement remplacée par la tradition réelle, c'est-à-dire par la mise en possession matérielle de l'acquéreur. Dès lors, celui qui achète ou reçoit en donation un meuble déjà aliéné et qui n'est plus en possession du cédant, commet une imprudence dont il doit s'imputer les suites: il reste ayant-cause, avec les conséquences de cette qualité. Mais si, au contraire, le second acquéreur voit la chose dans les mains du cédant, ce n'est plus lui qui est en faute, mais le premier acquéreur qui n'a pas exigé la tradition. Les situations sont alors interverties par la loi, qui donne la qualité d'ayant-cause au premier acquéreur et celle de tiers au second: celui-ci n'est pas tenu de respecter une aliénation, même antérieure, qu'il n'a pu connaître; dès lors, la seconde Convention nuit à une personne qui n'y a pas figuré et le présent article devient une nouvelle exception à la règle de l'article précédent, c'est pourquoi la loi l'y rattache par le mot toutefois.
172. La loi subordonne cette préférence donnée au possesseur réel à deux conditions qui complètent l'équité de la disposition:
1° Il faut que le possesseur soit de bonne foi, c'està-dire qu'il ait ignoré la première cession. La loi a soin, à ce sujet, de se prononcer sur un point qui, sans cela, ferait difficulté, au Japon comme en France: fautil exiger la bonne foi, non-seulement au moment de la convention, mais encore au moment de la prise de possession? La loi ne l'exige qu'au moment de la convention; c'est là, en effet, que, les choses étant encore entières, le nouvel acquéreur doit s'abstenir de traiter, s'il connaît la première cession; mais, une fois ce moment passé, si la loi l'obligeait à s'abstenir de demander et de prendre la possession, parce qu'il a découvert une cession antérieure, elle lui imposerait le sacrifice d'un droit sur lequel il a raisonnablement compté.
2° H faut encore que le nouveau cessionnaire n'ait pas eu, au moment du contrat, l'administration des biens du premier acquéreur: autrement, il aurait eu l'obligation de prendre la possession pour celui-ci et surtout de ne pas la prendre pour lui-même; tel serait le cas d'un tuteur ou d'un mari qui acquerrait, même de bonne foi, un meuble déjà cédé à son pupille ou à sa femme (v. ci-après, art. 371 et n° 218).
173. Toute cette théorie, qui donne la préférence et la qualité de tiers à celui des deux cessionnaires qui possède effectivement, peut paraître, au premier aspect, hardie et singulière, et elle ne serait pas suffisamment justifiée comme quelques personnes le croiraient par la règle précitée: " dans deux situations également favorables, on préfère celle du possesseur: " ici les situations ne sont pas égales, puisqu'il y a la priorité de contrat en faveur de l'un des cessionnaires. Mais, outre que cette théorie est, comme on l'a fait remarquer, aussi juste qu'utile, elle est, de plus, en parfait accord avec une autre théorie non moins importante du droit nouveau, laquelle fait acquérir les meubles par la possession fondée, sur un juste titre avec bonne foi (voy. c. civ. fr., art. 2279; Proj., art. 1481), sans qu'elle ait besoin d'une durée déterminée, d'où son nom ordinaire de prescription instantanée."
Du moment que le présent article repose tout entier sur la prescription, il faut encore en surbordonner l'application à une troisième condition que la loi ne mentionne pas, pour ne pas anticiper sur la matière de la prescription, et parce que les règles n'en sont pas encore toutes adoptées en principe, c'est que la qualité respective des deux cessionnaires ne soit pas un obstacle à ce que l'un puisse prescrire contre l'autre (1). Ainsi, si le premier acquéreur était un mari et que le second acquéreur fût sa femme, celle-ci ne pourrait se prévaloir de sa possession contre le mari (voy. c. civ. fr., art. 2253), et ce n'est plus par la raison de l'administration des biens, laquelle suffirait, au contraire, si on supposait que le premier acquéreur fût la femme et le second le mari.
Si, maintenant, l'on suppose qu'aucun des cessionnaires n'a été mis en possession réelle, on retrouvera l'application de la règle que la propriété a été transférée au premier par le seul consentement: c'est lui qui triomphera dans l'action en revendication qui serait intentée par l'un ou par l'autre; si le cédant est insolvable, il ne subira pas le concours avec les créanciers et il se fera délivrer la chose, à l'exclusion de ceux-ci; enfin, les créanciers du cédant ne pourraient jamais critiquer la seconde cession comme faite en fraude de leurs droits, par application de l'article 360, car le bien n'appartenait plus à leur débiteur au moment de cette seconde cession: le plaignant ne pourrait être que le premier cessionnaire.
174. Le premier alinéa du présent article en restreint l'application aux meubles corporels, de manière à en exclure les créances ou droits personnels qui sont des choses incorporelles: ces choses, en effet, bien que susceptibles de possession (voy. T. Ier, nos 271 et 272), ne s'acquièrent pas par la prescription instantanée. Mais le 2e alinéa fait une exception en faveur des créances ou titres au porteur et y applique la disposition qui nous occupe. On sait, en effet, que les titres au porteur sont des actes constatant une obligation (généralement de l'Etat ou d'une grande corporation) au profit de quiconque possède, détient le titre, avec juste cause et bonne foi; il est donc naturel que la possession de ces titres produise le même avantage, pour un second cessionnaire au préjudice du premier, que s'il s'agissait d'une chose corporelle.
Les titres au porteur commencent à être répandus au Japon et il a paru bon d'insérer dans la loi une disposition les concernant, comme l'a fait le Code italien (art. 1126). En France, la jurisprudence supplée, dans le même sens, au silence de la loi.
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(1) Cette condition figure maintenant au Projet (art. 1470).