Art. 353. — 130. Des dispositions analogues à celles de cet article se trouvent éparses dans le Code français (art. 1136, 1247, 1593 et 1605 à 1609) et elles n'y sont pas toutes en parfaite harmonie: la loi semble y avoir fait une différence, difficile à justifier, entre la vente et les autres contrats onéreux destinés à transférer la propriété. Le Projet s'attache, au contraire, à poser des règles communes à toutes ces sortes de contrats, ce qui réduira beaucoup les dispositions propres à chacun d'eux en particulier (d).
Il n'y a pas lieu de s'arrêter à la définition de la délivrance; c'est assez inutilement que le Code français a cru devoir la donner en ces termes: "le transport de la chose en la puissance et possession de l'acquéreur (art. 1604); " nous dirions, à notre tour, qu'elle consiste à mettre l'acquéreur en situation d'user, de jouir et de disposer librement de la chose comme sienne.
Cette définition est commune à la tradition ou délivrance des choses fongibles, destinée à en transférer la propriété, et à celle des corps certains, servant à en donner seulement la possession, lorsqu'elle est déjà transférée par le consentememt (e).
D'abord, il est naturel que celui qui a transféré la propriété d'un corps certain, par le seul consentement, en fasse la délivrance ou livraison. Sans doute, à défaut de livraison, l'acquéreur pourrait toujours obtenir la chose par l'effet de la revendication; mais sa position serait plus difficile: dans cette action, il devrait faire la preuve, non seulement de la convention intervenue entre lui et l'aliénateur, mais encore du droit de propriété appartenant à celui-ci; si, au contraire, il a le droit d'agir seulement en délivrance, ce n'est qu'une action personnelle où il prouvera seulement la convention, et, après sa mise en possession, il sera défendeur aux revendications que prétendraient exercer les tiers. C'est certainement ce résultat qu'a eu en vue le Code français, quand il dit, dans l'article 1136: " l'obligation " de donner emporte celle de livrer; " quoiqu'il eût été plus exact de dire: la convention de donner emporte l'obligation de livrer.
131. Le présent article nous dit que la délivrance est faite par les soins et aux frais du promettant; l'article 1608 du Code français le dit également; ce qui suppcse, évidemment, qu'il y a quelques difficultés pour la faire. D'un autre côté, l'article 1606 du même Code déclare que la tradition des objets mobiliers vendus peut se faire par la remise des clefs des bâtiments qui les contiennent, ce qui exclut toute idée de soins et de frais pour le vendeur.
Le Projet n'a pas indiqué les divers modes de délivrance des choses mobilières, parce qu'ils sont plus nombreux que ne le dit le Code français et dépendent beaucoup des circonstances; s'il y fait figurer la tradition. de brève main et le constitut possessoire, déjà mentionnés (art. 203), c'est à cause de leur caractère plus exceptionnel; en outre, il n'est pas toujours vrai que la remise des clefs suffise pour opérer la délivrance; par exemple, si les marchandises vendues se trouvent d'un accès difficile, par la présence d'autres objets lourds ou volumineux: en pareil cas, le vendeur devrait certainement faire déplacer ces dermiers et il ne serait pas abusif d'exiger qu'il sortît des bâtiments les objets vendus et même qu'il les portât jusqu'aux limites de sa propriété, au moins quand la sortie présenterait des risques exceptionnels. Seront encore à la charge du vendeur ou aliénateur le pesage ou le mesurage qui sont quelquefois une opération difficile, longue et coûteuse. Au contraire, l'acquéreur, le stipulant, supporte les frais d'enlèvement, c'est-à-dire d'emballage, de chargement et de transport au lieu de destination (f).
132. La livraison des immeubles est incomplètement définie par l'article 1605 du Code français: il ne suffirait pas de remettre à l'acquéreur les clefs d'un bâtiment, il faudrait encore l'évacuer, c'est-à-dire, enlever tous les objets non vendus qui s'y trouvent. Quant aux titres à remettre à l'acquéreur, l'usage, en France, est de lui remettre, non seulement le titre nouveau portant translation de propriété, mais encore les titres des propriétaires antérieurs dont les plus anciens servent de base aux plus nouveaux, et en remontant le plus loin possible, au moins de trente ans, pour fonder, au profit de l'acquéreur, une prescription qui pourrait lui être nécessaire et pour laquello il joindrait à sa possession celle de ses prédécesseurs (voy. art. 204).
Au Japon, l'usage est différent: il est délivré à l'acquéreur, par le Préfet ou Gouverneur du Ken, un nouveau titre qui remplace le précédent; si le droit du cédant était contesté au cessionnaire, il serait nécessaire de demander au préfet un certificat des anciennes mutations. Peut-être y aurait-il lieu de laisser les anciens titres au nouvel acquéreur, afin qu'il ait toujours dans les mains la preuve de son droit avec celle du droit de ses auteurs.
Ce point de détail pourra être réglé ultérieurement (2). Les créances étant des choses incorporelles ne comportent pas de délivrance proprement dite; cependant, la loi veut que le cédant délivre au moins le titre qui sert de preuve au droit: de cette façon le cessionnaire pourra faire voloir le droit cédé et le cédant ne pourra plus en disposer.
133. La loi, après avoir réglé les frais de la délivrance et ceux de l'enlèvement, règle ceux de "l'acte instrumentaire " (g), pour n'avoir pas à revenir sur la question des frais. Les frais d'acte ne sont pas encore considérables au Japon; mais maintenant que les notaires sont institués et qu'on commence à percevoir des droits de mutations, la question prend de l'importance.
Le Code français, ne statuant toujours que pour la vente, met les frais d'acte à la charge de l'acheteur (art. 1593). Il est difficile de justifier cette disposition, et, pour les autres contrats, on doit décider comme le fait ici le Projet pour tous les cas: si le contrat profite aux deux parties, s'il est intéressé des deux côtés, s'il est onéreux, les frais se diviseront également, ou dans la proportion de l'intérêt de chacun; s'il est gratuit, ils seront à la charge du bénéficiaire seul. Le texte a soin de ne poser cette règle que pour l'acte instrumentaire, pour celui qui sert de preuve; il ne s'appliquerait pas à la transcription qui, étant faite surtout dans l'intérêt de l'acquéreur, doit être à sa charge exclusive (art. 369) (h).
Les frais d'une quittance, pour un payement postérieur à l'acte, seraient de même à la charge de l'acquéreur, parce que la quittance ne sert qu'à lui seul, en prouvant sa libération (comp. c. civ. fr., art. 1248).
134. La loi prévoit enfin le cas où, soit le temps., soit le lieu de la déli vrance, n'aurait pas été fixé par la convention.
Au premier cas, l'obligation, n'étant affectée ni d'un terme ni d'une condition, est pure et simple: la délivrance est exigible immédiatement; toutefois, s'il s'agissait d'une vente et que l'acheteur n'eût pas non plus de terme pour le payement du prix, il ne pourrait exiger la délivrance avant d'avoir payé le prix: le vendeur garderait, par le droit de rétention, une sorte de gage sur la chose (c. civ. fr., art. 1612; Proj., art. 684).
Au second cas, pour le lieu de la délivrance, la loi distingue: s'il s'agit d'un corps certain, il sera délivré au lieu où il se trouvait lors du contrat; cela s'observera même pour la délivrance du titre d'un immeuble, si les parties ne sont pas d'accord pour la remise au domicile de l'une d'elles; à l'égard d'un meuble, la même règle sera observée rigoureusement, s'il est pesant ou d'un déplacement dangereux; mais pour un objet portatif ou facilement mobile, comme une voiture, un cheval, on devra décider, en pratique, d'après l'intention probable des parties, qu'il pourrait être valablement délivré au domicile de l'aliénateur. S'il s'agit de choses de quantité, comme on ne peut pas dire qu'elles se trouvent dans un lieu déterminé au moment de la convention, il faut nécessairement se placer à une époque postérieure, à celle où elles ont été déterminées et où elles sont devenues corps certains.
Dans les cas non réglés par la convention, expressément ou tacitement, la délivrance se fait au domicile du débiteur: c'est une faveur naturelle à ajouter à d'autres qu'on a déjà rencontrées et qu'on rencontrera encore. Ainsi, lorsqu'il s'agira d'appeler le créancier à la détermination des choses fongibles, le débiteur pourra l'appeler à son domicile, si les objets s'y trouvent.
135. Comme les règles du droit civil s'appliquent aux conventions commerciales, chaque fois que les lois spéciales au commerce n'y dérogent pas, et comme ces dérogations doivent être le plus limitées qu'il est possible, on doit indiquer ici quand et comment s'effectue la délivrance de marchandises, lorsque le vendeur doit les expédier à l'acheteur, même aux frais de celui-ci, et qu'il y a à effectuer un transport plus ou moins long, par terre ou par eau.
Cette matière, tout-à-fait négligée dans les Codes français, civil et commercial, peut se résoudre par les principes généraux. Le vendeur, s'il n'y a pas de terme fixé, fera la délivrance sans autre délai que celui qui est nécessaire pour l'emballage et le transport. La délivrance ne sera pas considérée comme faite par la remise à l'entrepreneur de transport, même quand c'est une entreprise publique, parce que cet entrepreneur est le mandataire du vendeur seul. Il en serait autrement si l'entreprise avait le monopole de ce genre de transport, comme l'administration des postes, ou était la seule existant, en fait, entre les deux localités, parce que, dans les deux cas, cette entreprise devrait être considérée comme le mandataire tacite et nécessaire des deux parties. Sauf ces cas, la délivrance ne sera considérée comme faite que par la remise réelle au destinataire ou à son représentant.
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(d) C'est parce que les dispositions de toute cette Partie sont communes aux diverses conventions qu'on ne prend la Vente que comme exemple et que, le plus souvent, on y ajoute la Donation: ce sont là les contrats translatifs de propriété les plus fréquents, au Japon comme ailleurs.
(e) On emploie indistinctement les mots tradition, livraison ou délivrance (voy. c. civ. fr., art. 938, 1138, 1583, 1604 et s.); seulement, le mot tradition est plus doctrinal et les deux autres plus pratiques.
(f) Pour éviter la contradiction apparente des deux articles précités du Code français, on peut dire que la remise des clefs détermine les objets vendus comme étant désormais des corps certains et les met aux risques de l'acheteur, mais qu'elle ne dispense pas le vendeur de payer les frais de pesage, de mesurage et de sortie des bâtiments.
(2) Depuis que ces lignes ont été écrites pour la première fois, il a été fait un règlement sur les titres de propriété foncière: ils consistent surtout dans l'inscription dn propriétaire sur le registre foncier; les extraits délivrés aux parties intéressées ne dispensent pas de recourir aux registres (Loi 13, 22 mars, 226 année de Meiji, 1889).
(g) Le mot instrumentaire a été conservé de l'ancienne pratique française qui, elle-même, l'avait tiré du latin instrumentum, " preuve écrite.'
(h) On verra que la transcription est utile aussi au vendeur non payé, en révélant son privilége (v. art. 1184); mais comme ce privilége permet à l'acheteur de jouir d'un terme pour le payement, c'est toujours lui qui profite le plus de la transcription. Les frais d'inscription hypo- thécaire se partagent (art. 1232).