Art. 333. — 79. La disposition de cet article constitue une profonde innovation par rapport au Code français et à ceux qui l'ont suivi: le dol ne figure plus, en lui-même et comme tel, parmi les vices du consentement: il n'est qu'un fait dommageable donnant lieu à la réparation du préjudice causé; si l'annulation est prononcée exceptionnellement, ce ne sera qu'à ce titre de réparation et sans que les tiers de bonne foi puissent en souffrir.
Pour justifier cette innovation du Projet, il faut d'abord se rendre compte des objections qu'on peut faire et qu'on a faites au Code français. L'article 1116 exige que le dol ait été pratiqué “par l'une des parties," pour être une cause de nullité au profit de l'autre: pratiqué par un tiers qui ne serait pas complice de la partie, il ne donnerait lieu qu'à une indemnité de la part de ce tiers. Or, la raison se refuse à comprendre qu'un fait dolosif, un acte frauduleux, change de nature et de gravité avec la personne de son auteur, qu'il produise un vice de consentement quand il est accompli par la partie et laisse au consentement toute sa validité quand il est accompli par un tiers; tel est pourtant le résultat singulier auquel paraît conduire l'article 1116 du Code français et contre lequel les auteurs n'ont pas assez protesté.
Quand il s'agit, au contraire, de l'erreur, soit sur la chose même, soit sur ses qualités principales, la loi ne distingue pas et elle ne pouvait distinguer quelle est l'origine ou la cause de l'erreur: si elle est spontanée, si elle provient de la fante de l'autre partie ou d'un tiers, le consentement est toujours vicié; de même (on le verra bientôt), s'il y a eu violence, contrainte, le consentement est toujours vicié, quel que soit l'auteur de la violence. La distinction qu'a faite le Code français au sujet de l'auteur du dol n'a jamais pu être pleinement justifiée et presque tous les auteurs luttent inutilement de subtilités et d'hypothèses complaisantes pour défendre contre la raison la loi ainsi interprétée.
80. Reprenant la question de plus baut, il faut d'abord se demander qu'est-ce, au juste, que le dol? Les jurisconsultes romains, ici encore, nous fournissent des définitions satisfaisantes: l'un dit qu'il y a dol “ lorsque l'on simule une chose, en en faisant une “autre;” un autre, plus précis, dit que le dol est “toute “ruse, toute supercherie, toute machination, employée “pour induire en erreur, circon venir, tromper autrui.” Cependant, ils n'interdisent pas, ils ue condamnent pas toute adresse, toute habileté consistant, pour chaque contractant, à défendre ses intérêts et à tirer le meil. leur profit possible de la convention: à cet égard, ils admettent un dolus bonus, un dol permis, par opposition au dolus malus ou dol illicite, le seul dont le droit aît à s'occuper pour le combattre ou le réprimer.
Dans le langage moderne, le mot dol se prend toujours en mauvaise part et on y attache le sens de “mapeuvres frauduleuses tendant à induire un con“tractant en erreur et ayant eu ce résultat.”
L'erreur est donc le mal immédiat qui résulte du dol, et avant de se prononcer sur le point de savoir si le dol est un vice de consentement, il faut examiner quelle nature, quelle gravité d'erreur il a produite.
Il est clair que si le dol a produit une des erreurs désignées à l'article 330, l'erreur sur la nature de la convention, sur l'objet même de la convention, sur sa cause ou sur la personne, quand celle-ci est la considération déterminante de la convention, alors, il n'y a pas de consentement, la convention est radicalement nulle; il est indifférent pour le résultat principal, pour la nullité, que l'erreur vienne du dol ou soit spontanée: la circonstance qu'il y a eu dol ne pourra guère avoir d'influence que pour les dommages-intérêts supplémentaires.
De même, si l'erreur produite par le dol a porté sur la personne, dans le cas prévu à l'article 330, 2° al., ou sur ce que l'article 331 appelle les qualités principales (pour substantielles) de la chose, le consentement est vicié, non par le dol, mais par l'erreur.
Quelles autres erreurs le dol peut-il avoir causées ? Il ne reste que l'erreur sur la personne, quand celle-ci était sans influence sur la formation de la convention, l'erreur sur les qualités secondaires (non substantielles) de la chose, et l'erreur sur le motif. Or, il a été établi que ces erreurs n'ont pas, en elles-mêmes, assez de gravité pour vicier le consentement et pour entraîner la nullité de la convention. Elles ne peuvent pas changer de nature, ni de gravité, parce qu'elles proviennent d'un dol, au lieu d'être spontanées. Senlement, si elles proviennent d'un dol, il y a là un fait dommageable qui doit être réparé par son auteur: il y a uve obligation née non plus d'un contrat, mais d'un délit civil.
81. Voyons comment cette réparation sera obtenue.
En général, dans ce cas, comme dans les autres, les dommages causés injustement se répareront en argent; ce mode de réparation est le seul qui puisse être demandé à l'auteur du dol, lorsqu'il n'est pas la partie contractante, et il en sera de même lorsque le dol émanant de celle-ci n'aura pas eu d'influence sur la formation même de la convention, n'aura pas déterminé le consentement, mais aura seulement fait accepter des conditions moins avantageuses; tel serait la tromperie sur des qualités secondaires ou accessoires de la chose vendue; c'est le cas que les auteurs appellent dol incident, dol accessoire ou dol secondaire. Lorsqu'au contraire, le dol émanant de la partie contractante a été déterminant, cas où le dol est dit principal, comme serait le dol sur le motif, une indemnité en argent ne réparerait souvent que très-imparfaitement le dommage causé: il est bien plus simple, et plus juste aussi, de rendre à la partie sa situation première, de l'affranchir de la convention qui lui porte préjudice.
82. Il reste à établir que cette annulation de la convention, prononcée à titre de réparation, n'a pas tous les caractères de l'annulation prononcée pour vice de consentement. On peut signaler trois différences par lesquelles elle s'en sépare.
1° Si la convention déterminée par dol était une aliénation, et que, par l'effet d'une autre convention, la chose eût passé dans les mains d'un tiers exempt de toute fraude ou collusion, la première aliénation, même immobilière, ne pourrait être annulée au préjudice du sous-acquéreur, tandis que, s'il-y avait eu vice du consentement proprement dit, l'annulation de la convention pourrait être poursuivie contre les sous-acquéreurs, ainsi qu'il sera dit plus loin (art 575). Cette première différence résulte formellement du dernier alinéa du présent article.
2° S'il y avait plusieurs co-contractants dont un seul fût coupable de dol, l'annulation ne pourrait être prononcée, parce qu'elle ne devrait pas nuire à ceux qui sont exempts de faute. Cette différence, toute de justice et de raison, résulte suffisamment du texte du 3° alinéa qui, n'accordant l'annulation à titre de réparation que si l'auteur du dol est l'autre partie, doit s'entendre de toutes les autres parties, si elles sont plusieurs.
3° Enfin, l'action en réparation du dol est purement personnelle, elle est une simple créance d'indemnité, dont l'annulation du contrat n'est qu'un mode particulier; par conséquent, elle n'entraîne aucune préférence ponr la partie trompée dans une aliénation; si donc l'auteur du dol est devenu insolvable, quand bien même la chose aliénée serait encore sa propriété, elle est devenue le gage de tous les créanciers et l'aliénateur trompé ne pourrait que venir en conconrs avec les autres créanciers, pour se faire indemniser proportionnellement à sa perte, sur la valeur de la chose qui serait vendue au profit commun. Si, au contraire, l'annulation avait lieu pour vice de consentement, elle aurait lieu à l'encontre des créanciers de l'acquéreur, parce que la partie demanderesse agirait en vertu d'un droit réel par elle conservé. Cette dernière différence résulte des principes généraux, une fois le système du Projet admis: elle n'a pas besoin d'être appuyée sur un texte.
Le 3°alinéa permet d'accorder à la partie lésée des dommages-intérêts, outre l'annulation; ceci est encore conforme aux principes; mais il est d'usage, dans les lois, de le rappeler souvent.