Art. 329. — 54. Cet article s'applique aux conventions qui se font par correspondance ou par intermédiaire.
Les ventes commerciales les plus importantes se font, presque toujours, par cette voie, à cause des distances entre les grands marchés. Quelquefois, c'est l'offre du vendeur qui commence: le contrat ne sera formé que quand l'acheteur l'aura acceptée; d'autres fois, l'acheteur demande la marchandise, en indiquant son prix: il faut alors l'acceptation du vendeur pour qu'il y ait vente.
Notre article peut recevoir aussi de fréquentes applications en matière civile et il ne s'appliquera aux matières commerciales que si le Code de Commerce n'y déroge pas (2).
Si la partie qui a écrit la première ne change pas d'intention, il n'y a pas d'intérêt, en général, à rechercher à quel moment l'acceptation de l'autre est intervenue pour former le contrat: tout au plus, cela seraitil à considérer, si le prix devait être déterminé par le cours public de la marchandise au jour de l'acceptation. Mais, si l'offre est rétractée ou si la demande est retirée, à une époque plus ou moins rapprochée de l'acceptation, il importe de savoir si celle-ci est utilement intervenue.
Le principe est qu'il faut, mais aussi qu'il suffit, qu'il y ait persistance de l'offre ou de la demande jusqu'au moment de l'acceptation, de sorte qu'elles aient existé en même temps, ce qui constitue le consentement; en effet, toute offre ou demande qui n'est pas retirée est censée soutenue, confirmée, à chaque moment, par la persistance d'une même volonté; mais aussi, elle peut être retirée tant qu'elle n'est pas acceptée, car, dans la manifestation d'une seule volonté, il n'y a encore, d'aucun côté, ni droit ni obligation; pour qu'il en fût autrement, il faudrait que celui qui a fait l'offre se fût engagé, comme on l'a déjà prévu plus haut (n° 53), à ne pas la retirer pendant un certain temps, ou jusqu'à ce qu'il y eût refus: l'offre prendrait alors le nom de pollicitation ou promesse.
55. Quand l'offre est acceptée, elle ne peut plus être retirée, parce que le contrat est formé. Mais il ne peut suffire, évidemment, d'une acceptation purement intentionnelle retenue dans la pensée de l'acceptant fin mente retenta).
Quelques auteurs, en France, peut-être même le plus grand nombre, soutiennent que l'offre peut être retirée tant que celui qui l'a faite n'a pas été informé de l'acceptation. Mais cette opinion doit être rejetée: autrement, on serait entraîné à dire qu'il faudrait encore que celui qui a adressé l'acceptation sût qu'elle est parvenue en temps utile, pour se considérer comme engagé, en même temps qu'à l'abri de la rétractation, et on ne voit pas où l'on s'arrêterait dans cette suite de missives réciproques.
Le Projet tranche la question en exigeant seulement pour la validité de l'acceptation, à l'effet d'empêcher la rétractation de l'offre, que ladite acceptation soit " expédiée " avant " l'arrivée " de la rétractation (1er al.).
Il en résulte que la situation est meilleure pour celui qui accepte que pour celui qui rétracte son offre: le premier est sûr de son droit et de ses obligations dès qu'il a expédié son acceptation avant d'avoir reçu la rétractation, tandis que le second reste dans l'incertitude tant qu'il n'a pas reçu l'acceptation ou le refus. Mais cette inégalité des situations respectives ne doit pas surprendre, quand on considère que c'est celui qui a fait l'offre qui doit subir la plus longue incertitude, puisqu'il a pris l'initiative (3).
Supposons maintenant, avec le 2e alinéa, qu'un délai pour l'acceptation a été assigné, soit en même temps que l'offre, soit postérieurement: il y a là un engagement tacite, de la part du proposant, de ne pas rétracter son offre pendant ce délai, à moins d'un refus formel avant son expiration.
Le délai peut d'ailleurs être accordé " tacitement aussi bien qu'expressément: " le texte a soin de l'exprimer.
On pourrait s'étonner cependant que cette pollicitation oblige celui qui l'a faite sans que l'autre partie lui en ait au moins donné acte, ce qui équivaudrait à dire qu'elle accepte son engagement, sans en prendre encore un de son propre côté: il semble que ce soit contraire au principe énoncé plus haut " qu'une seule volonté ne peut créer d'obligation." Mais il faut tenir compte d'un autre principe encore supérieur, d'après lequel toute personne qui cause un dommage à autrui devant le réparer doit, mieux encore, ne pas causer ce dommage par son fait; or, quand une pareille promesse a été faite, celui qui l'a reçue a pu se disposer à l'accepter et s'abstenir d'une autre opération pareille, de sorte que le pollicitant se trouverait responsable d'un dommage, s'il ne tenait pas sa promesse.
Le 3e alinéa, restant dans l'hypothèse où un délai a été assigné à l'acceptation, suppose que ce délai est expiré avant que l'acceptation ait été faite, c'est-à-dire toujours " expédiée: " dans ce cas, l'offre tombe d'ellemême, elle " prend fin " et celui qui l'a faite est dégagé.
Le 4e alinéa suppose un changement de volonté de la part de l'acceptant, comme le 2e l'a supposé de la part du pollicitant. Le principe est que ce changement peut intervenir utilement tant que l'autre partie n'a pas été en situation de compter sur l'avis qui lui a été expédié; par conséquent, si la rétractation arrive en même temps que l'acceptation, les deux avis se neutralisent; à plus forte raison en est-il ainsi si la rétractation arrive avant l'acceptation. Aujourd'hui que les moyens de communication sont si rapides et si nombreux, il est bien facile de concevoir que le démenti arrive avant le premier avis, quoiqu'expédié plus tard. La même solution s'appliquerait à la rétractation de l'offre arrivée en même temps que celle-ci, au cas du 1er alinéa.
56. Le 5e alinéa prévoit le cas où celui qui a fait l'offre ou la proposition est décédé ou devenu incapable avant que le contrat se soit formé par l'envoi de l'acceptation.
La solution varie suivant la distinction déjà faite au sujet du délai: s'il n'y a pas eu assignation d'un délai à l'autre partie pour se prononcer, elle cesse de pouvoir accepter des qu'elle a eu connaissance, par une voie quelconque, du décès ou de l'incapacité; si, au contraire, un délai a été assigné à l'acceptation, l'engagement contenu dans l'offre subsiste, avec le délai, à la charge de l'incapable ou des héritiers du décédé, et l'acceptation peut être valablement faite, c'est-à-dire expédiée, pendant ledit délai, lors même que l'acceptant aurait connaissance du décès ou de l'incapacité (4).
La loi n'a pas à prévoir le cas du décès ou de l'incapacité de celui auquel l'offre a été faite: s'il ne s'agit pas d'une proposition faite en considération de sa personne, son héritier ou son représentant légal ou judiciaire peut accepter à sa place (5).
56 bis. Les deux derniers alinéas réglent le cas où l'avis d'acceptation ou de rétractation n'est pas parvenu au destinataire ou est arrivé en retard. La loi distingue, quelle en est la cause, pour en déterminer la responsabilité.
1° Si l'expéditeur a mal dirigé son avis,-par erreur de nom ou de lieu, ou par l'emploi d'un mandataire négligent, il en subira le dommage; en conséquence, si c'est un avis d'acceptation qui est arrivé trop tard, la rétractation arrivée régulièrement produira son effet, et réciproquement, la rétractation pourra être inutile si elle a manqué à arriver avant l'expédition de l'acceptation. Et cela est juste, car les conventions préparées " à distance," objet de notre article, ne doivent souffrir que des retards et des incertitudes inévitables auxquels les parties se sont forcément soumises, mais non de celles imputables à la faute de l'une d'elles.
2° Si le retard provient d'une cause fortuite ou majeure, il était ou devait être raisonnablement accepté d'avance par le destinataire comme une éventualité de sa situation; or, la missive lui appartient dès qu'elle est expédiée, elle est donc à ses risques.
3° Enfin, quand une partie a eu recours à l'intermédiaire officiel et presque obligatoire des transmissions, si elle lui a fourni la désignation précise du destinataire, par son nom, sa qualité et sa résidence, le retard ou le défaut de remise de la dépêche est pour elle un cas fortuit et retombe encore sur le destinataire; sauf à celuici à se faire indemniser par l'administration des postes et télégraphes, après s'être fait fournir par l'expéditeur les documents et justifications nécessaires à cette réclamation (6).
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(2) Cet article 329 est plus complet que dans l'édition précédente et modifié sur plusieurs points signalés plus loin.
(3) Il y a là déjà une première innovation: l'ancien texte n'exigeait la connaissance, par aucune partie, de l'acceptation ni de la rétractation; il ne s'attachait "qu'à la priorité comparative de la date des deux actes; " on exige maintenant que la rétractation soit parvenue avant le départ de l'acceptation.
Il y aura bien quelque difficulté pour la preuve de l'arrivée d'un acte et de l'expédition de l'autre: mais cette difficulté, inévitable déjà dans l'ancienne solution, est encore moindre quand il s'agit de prouver des faits postaux que lorsqu'il s'agissait de faits individuels.
(4) Cette distinction quant à l'assignation d'un délai manquait à l'ancien texte.
(5) L'ancien texte donnait la même solution pour le décès ou l'incapacité de l'une ou de l'autre des parties.
(6) L'ancien texte de l'article 329 était muet sur l'objet de ces deux derniers alinéas.