Art. 381. — 243. La loi arrive à la seconde cause ou source des obligations et des droits personnels ou de créance, annoncée dans l'article 316. On a déjà expliqué (n° 15) comment l'expression de quasi-contrats a été adoptée en Europe pour désigner cette cause d'obligations et pourquoi, sans la rejeter tout à fait, le Projet lui préfère celle d'enrichissement(wcM. Il serait d'ailleurs bien difficile de donner une bonne définition du quasi-contrat sans y faire entrer l'idée essentielle d'enrichissement indu ou' sans cause, et c'est pour ne l'avoir pas fait que le Code français (art. 1371) et le Code italien (art. 1140) n'ont donné du quasi-contrat aucune idée précise: l'un l'appelle " un fait purement volontaire de l'homme," l'autre, " un fait volontaire et licite; " mais, tous les jours et à tout instant, l'homme accomplit des faits volontaires et licites qui ne sont ni des contrats, ni des quasi-contrats, et qui n'engendrent pas d'obligations; il manque donc à cette définition un élément essentiel générateur de l'obligation; or, c'est l'enrichissement indû, et c'est uniquement à lui que s'attache le présent article pour caractériser cette seconde source d'obligations. La loi arrive ainsi à une formule aussi large que celle qui définira bientôt "les dommages injustes" ou délits et quasi-délits, et qui se rapprochera beaucoup du célèbre article 1382 du Code français (a).
Il faut reconnaître d'ailleurs, et la suite le confirmera bientôt, que, très souvent, les diverses sources d'obligations se réunissent et se combinent dans des faits complexes: l'enrichissement indu avec le dommage injuste et l'un ou l'autre avec le contrat (v. n° 254).
244. On remarquera, sur le premier alinéa, que la loi ne distingue pas si celui qui se trouve enrichi du bien d'autrui l'est devenu par un fait volontaire ou involontaire, ni s'il l'est devenu par erreur ou sciemment: sa bonne ou sa mauvaise foi pourra influer sur l' étendue de l'obligation, mais non sur le principe de son existence; il suffit, pour constituer la présente source d'obligation, que le fait d'enrichissement, volontaire ou involontaire, n'ait pas le caractère d'un délit ou d'un quasi-délit, d'un dommage injuste, tel qu'on le déterminera à la Section suivante.
L'obligation qui naît de l'enrichissement indû est de rendre le profit ainsi obtenu; mais la loi la présente sous une forme un peu différente: l'obligation de satisfaire " à la répétition," à la réclamation de la partie qui a souffert la perte; la loi introduit ainsi et adopte un mot tout à fait consacré depuis les Romains (b); c'est encore par souvenir des Romains, et par égard pour une expression conservée d'eux, qu'au lieu de parler "du profit " elle parle Il de ce qui a tourné au profit " (c); il y a d'ailleurs une bonne raison d'adopter cette expression, c'est qu'elle comprend non seulement le profit direct mais encore le profit indirect; par exemple, celui qui a reçu des denrées qui ne lui étaient pas dues les a consommées utilement et s'est ainsi épargné une dépense qu'il eût dû, sans cela, faire de ses propres deniers: " il est enrichi d'autant qu'il a moins dépensé" (d); ou Lien, il les a vendues et il est enrichi du prix qu'il en a tiré; réciproquement, si quelqu'un, ayant reçu de l'argent qui ne lui était pas dû, a einployé cet argent en achat de choses qui lui restent ou qu'il a utilement consommées, il est enrichi d'autant.
Notons, en passant, que l'enrichissement indû, au lieu de fonder une action personnelle en répétition, pourrait fonder une action réelle en revendication; c'est le cas où les choses indûment reçues se trouveraient encore en nature dans la possession de celui qui les a reçues: la propriété ne se transfère pas plus sans cause légitime que ne s'acquiert sans cause un droit de créance.
245. Le présent article ne se borne pas à poser le principe de cette seconde cause d'obligation, il en donne les " applications principales," ce qui prouve, en même temps, qu'elles ne sont qu'énonciatives et non limitatives. Il a paru nécessaire de donner ces applications; d'abord, parce que les deux premières, la gestion d'affaires et la réception de choses indues, sont traitées dans toutes les législations avec certains développements et les demandent encore davantage au Japon, comme y étant moins connues; ensuite, parce que les législations étrangères, n'ayant traité que de ces deux quasi-contrats, ont semblé méconnaître qu'il y en ait d'autres; ce n'est que par de simples allusions et d'une façon éparse qu'on trouve dans le Code français l'obligation de rendre les enrichissements indus (e); enfin, la loi devait annoncer d'avance les divers cas d'enrichissement, dès qu'elle se proposait de donner à quelquesuns les développements nécessaires. Les cas prévus aux trois derniers alinéas, appartenant à des matières spéciales, s'y trouveront naturellement réglés; il suffira d'en donner ici une idée sommaire.
246. Celui qui est appelé à recueillir une succession, soit légitime soit testamentaire, n'a pas seulement le droit d'en recueillir les biens, il a aussi l'obligation d'en acquitter les charges. Parmi ces charges se trouveront les dettes personnelles du défunt et les legs particuliers qu'il a pu laisser à des tiers. L'héritier ou le légataire universel est tenu des dettes du défunt au même titre que son auteur: les créanciers, une fois la qualité d'héritier fixée sur sa tête, ne le poursuivront pas en vertu de son enrichissement considéré comme cause nouvelle d'obligation, mais en vertu des contrats du défunt; l'enrichissement de l'héritier pourrait, tout au plus, indiquer la limite dans laquelle il serait poursuivi, s'il avait d'ailleurs eu soin de faire un inventaire fidèle et exact des biens de la succession; on peut dire, enfin, que " l'héritier ne reçoit les " biens que déduction faite des dettes, lesquelles dirriinuent de plein droit l'hérédité " (f).
247. Mais pour les legs et autres charges mises par le testateur à la charge de celui qui reçoit l'universalité de ses biens, il n'est plus possible de dire que celui ci les doit au même titre que le défunt, puisque le défunt ne les a jamais dus: le successeur universel les doit en vertu de son acceptation de la succession; c'est bien ce "fait volontaire" dont le Code français se contente, en général, pour qu'il y ait quasi-contrat, et il est surprenant qu'il ait omis de mentionner ici ce cas que les Romains n'avaient pas négligé; mais il faut dans ce cas, encore, donner la prééminence à l'enrichissement, car le successeur n'est tenu des legs que dans la mesure de ce qui reste de biens héréditaires après le payement des dettes.
C'est tellement l'enrichissement qui est le principe de cette obligation, plus encore que l'acceptation de la succession, que si l'on conserve au Japon le système d'après lequel les enfants ne peuvent refuser la succession paternelle, (ce qui peut les faire nommer héritiers nécessaires comme chez les Romains), ils n'en seront pas moins tenus d'acquitter les legs, jusqu'à concurrence d'une quotité qui sera dite disponible: ils ne seront donc pas tenus envers les légataires par un fait volontaire de leur part, mais par leur enrichissement. Jusqu'ici, le testament n'étant guère pratiqué au Japoni la question ne s'est pas encore présentée.
248. Il a déjà été fait mention, incidemment, de l'accession, moyen d'acquérir la propriété par la réunion d'une chose secondaire à une chose principale, lorsque la séparation est impossible en fait ou défendue par la loi; ce n'est pas encore ici qu'il en doit être traité; c'est au Livre lIre (ire Partie, Ullap. 2) qu'on en trouvera les principales applications en même temps que la,iu,-,ti 'fie,ttion. Il suffit de noter ici que le propriétaire de la chose principale ne profite de l'adjonction de la chose d'autrui ou du travail d'autrui qui a transformé la valeur de la chose principale qu'à la charge de payer la valeur dont il profite.
249. Lorsqu'un immeuble n'est pas en la possession du propriétaire, le possesseur actuel n'a pas toujours droit aux fruits et produits. Ainsi, le possesseur de mauvaise foi n'acquiert pas les fruits et produits périodiques; le possesseur, même de bonne foi, cesse de les acquérir dès que la revendication est' intentée (voy. art. 206, 4e al.); en outre, certains produits n'ont pas le caractère de fruits et sont considérés comme des parties dé la chose, tels que les arbres de futaie et les produits des mines et carrières non ouvertes. Dans tous ces cas, le possesseur est tenu de rendre ce qu'il a perçu, lorsqu'il ne pouvait légalement l'acquérir: le principe de cette obligation est encore l'enrichissement indû; toutefois, il pourra, dans le cas de possession de mauvaise foi, se combiner avec le principe qui oblige à réparer les dommages causés injustement; ainsi, le possesseur de mauvaise foi doit rendre non seulement les fruits par lui perçus, mais encore ceux qu'il a négligé de percevoir (voy. art. 207 et 388).
De son côté, le vrai propriétaire, ne devant pas s'enrichir au détriment du possesseur, devra rembourser, directement ou par déduction sur ce qui lui est dû, les frais de culture et de récolte et toutes les dépenses nécessaires ou utiles faites par le possesseur (voy. art. 208).
S'il s'agissait d'un meuble, il pourrait arriver que le possesseur de bonne foi l'eût vendu, et cela, dans un cas où il n'était pas devenu propriétaire par le seul fait de la possession: par exemple, si la chose avait été originairement volée; dans ce cas, si la chose ne peut être retrouvée dans les mains du nouveau possesseur, celui qui l'a vendue est tenu jusqu'à concurrence du prix qu'il en a tiré, parce que c'est un enrichissement qu'il ne peut légitimement garder (comp. art. 389 et 1483 bis).
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(a) La formule de l'article 381 rappelle une maxime célèbre du droit romain: " en droit naturel, il est juste que personne ne s'enrichisse au " préjudice d'autrui et sans droit (jure naturœ œquum est neminem cum " alteriwJ detrimento et injuria fieri locupletiorem)."
(b) Dn latin repetere, " redemander."
(c) C'est la traduction littérale du latin consacré en cette matière: actio de in rem verso, " action au sujet de ce qui a tourné à la chose, c'est-a-dire, au profit du patrimoine."
(d) Locuplelior factus est quatenus pecuniœ suœ pepercit.
(e) Voyez, notamment: art. 554, 555 et 566; 571 et 574; 643; 660 et 661; 1241; 1303; 1312; 1380 et 1381; 1632 et 1634; 1926.
(f) Tel est le sens de deux axiomes latins: Non sunt bona nisi deducto cere alieno; Débita ipso jure minuunt Jiereditatem.