Art. 1476-1477 (b). -346. La sixième et dernière condition que doit remplir la possession pour mener à la prescription acquisitive d'un immeuble est le temps requis par la loi.
Ce temps varie de moitié, suivant que la possession réunit ou non deux nouvelles conditions.
On a vu, à l'article 194, que la possession peut être fondée sur un " juste titre ou sur une juste cause " ou être Il sans titre " et à l'article 195, que le possesseur peut être Il de bonne foi ou de mauvaise foi."
Ces qualités favorables ou défavorables de la possession ont été déjà l'objet d'observations importantes, au début de cette matière, quand il s'est agi de déterminer le caractère de présomption de la prescription (voy. nos 256 et 257), et même quand il s'est agi de l'acquisition des fruits par le possesseur (v. T. Ier, nos 303 et s.).
Rappelons seulement, pour l'intelligence de notre article, que la juste cnuse ou le juste titre est li un acte " juridique destiné par sa nature à conférer le droit pos"sédé, encore que, faute de qualité chez le cédant, il '1 n'ait pu produire cet effet " (art. 194). Ainsi, tous les actes d'aliénation, à titre gratuit ou onéreux, nommés ou innommés, sont des justes titres, et il faut y compter le legs. Et ce ne sont pas seulement les moyens de transmission proprement dits ou modes dérivés d'acquérir qu'il y faut comprendre, mais encore l'occupation qui est un mode originaire ou initial, en ce sens qu'il fait commencer la propriété individuelle chez le premier occupant.
Mais, bien entendu, il faut supposer un vice dans ces acquisitions: autrement, la prescription serait inutile; ainsi, au cas de transmission, le vice est qu'elle n'ait pas été faite par le propriétaire véritable, et, au cas d'occupation, le vice est que la chose n'ait pas été sans maître. Si le possesseur a ignoré ce vice " au moment où le titre a été créé," ou au moment où il a pris possession, il est de bonne foi; dans le cas contraire, il est de mauvaise foi.
347. On remarquera, dans le premier cas, que ce n'est pas au moment où la possession a commencé que la bonne ou la mauvaise foi est considérée, mais au moment " de la création du titre; " le droit romain s'attachait au moment de la prise de possession; cette décision, plus ou moins admise dans l'ancien droit, a été abandonnée avec raison par le Code français qui veut qu'on ne s'attache qu'au moment de " l'acquisition " (v. art. 2269), expression incorrecte d'ailleurs, car le possesseur peut avoir contracté, mais il n'a pas encore acquis.
Ce qui importe c'est que la bonne foi ne soit pas nécessaire pendant toute la durée de la possession.
Quelques auteurs ont pourtant critiqué cette indulgence de la loi et, avec un rigorisme quelque peu emphatique, ils lui ont reproché de donner une prime à la mauvaise foi: ils n'ont pas voulu reconnaître qu'il y a une profonde différence morale entre celui qui est de mauvaise foi au moment où il contracte et celui qui, ayant, à l'origine, cru à la qualité de propriétaire chez son cédant, a découvert ensuite qu'elle lui manquait. C'est tout autre chose, en effet, que s'engager sciemment dans une mauvaise voie, alors que l'abstention ne cause aucun préjudice et que le mobile ne peut être que la recherche d'un avantage illicite, et ne la pas quitter, ne pas revenir sur ses pas, alors qu'on s'y est engagé de bonne foi, en faisant des sacrifices pour l'acquisition et pour l'installation, sacrifices qu'on ne pourrait que rarement et toujours difficilement recouvrer de son cédant.
Les Romains l'avaient bien compris, lorsqu'ils ont proclamé l'axiome que " la mauvaise foi survenant n'empêche pas l'usucapion " (mala fides superveniens usucapionem non impedit).
348. Lorsque le possesseur a les deux avantages d'une juste cause et de la bonne foi originaire, le délai de la prescription est de moitié plus court que lorsque l'un de ces avantages ou tous deux lui manquent.
En France, il est de dix ans, lorsque le vrai propriétaire a son domicile ou sa résidence (c) dans le ressort de la cour d'appel où est situé l'immeuble possédé, et de vingt ans dans le cas contraire. Puis, la loi suppose que le propriétaire a eu son domicile ou sa résidence successivement dans le ressort et hors du ressort, et elle décide que, pour les années passées hors du ressort, les années correspondantes de la prescription devront être doublées (d). Ainsi le propriétaire a été 6 ans dans le ressort et 4 ans hors du ressort, il faudra 6 ans, plus le double de 4 ans, en tout 14 ans; s'il a été présent 5 ans et absent 5 ans, il faudra 15 ans pour la prescription. La loi ne dit pas si l'on tiendra compte des mois et des jours de présence ou d'absence.
C'est, en somme, un système fort compliqué et cela, sous le prétexte que le propriétaire, quand il est absent du ressort, a plus de difficulté pour savoir que son immeuble est possédé par un tiers mais il est invraisemblable que l'on n'ait pas, quand on est absent, quelque mandataire, parent ou ami, qui vous prévienne de ce qui concerne la possession de votre immeuble. En outre, une distinction fondée sur les distances et la difficulté des communications pouvait avoir quelque raison d'être à l'époque où le Code civil a été rédigé et n'en a plus aujourd'hui.
On n'a pas hésité à rejeter du Projet japonais cette inutile complication et l'on a adopté un délai unique que l'on propose de fixer à 15 ans, de façon que, dans la position la plus favorable au possesseur, il lui faille toujours un délai moitié moindre que pour le cas où il lui manque le juste titre ou la bonne foi, cas où la loi exige 30 ans de possession.
On remarquera, à ce sujet, que la loi fait une allusion à la preuve de la juste cause et de la bonne foi: on a vu à l'article 199 que celui qui invoque une juste cause doit la prouver directement, tandis que la bonne foi est présumée et que c'est à celui qui la conteste à prouver la mauv;illse foi; notre article a donc soin de ne soumettre à la condition de 30 ans de possession que Il celui qui ne peut justifier d'un juste titre et contre lequel la mauvaise foi est prouvée."
Il ne suffirait pas d'ailleurs, pour prouver la mauvaise foi du possesseur, d'invoquer le registre des transcriptions qui porterait le nom du véritable propriétaire; la question s'est déjà présentée (art. 711), au sujet de la garantie d'éviction dont les effets varient suivant que l'acheteur a été de bonne ou de mauvaise foi: le possesseur ne serait convaincu de mauvaise foi que s'il avait demandé au conservateur un certificat des transcriptions ou connu autrement le droit du vrai propriétaire (v. T. III, n° 271).
----------
(b) Nous avons réuni ces deux articles en un seul, pour que le temps requis n'occupât qu'un article; mais comme il a été fait souvent des renvois, à l'un et à l'autre, ainsi qu'aux articles suivants, il est impossible, quant à présent, de n'adopter ici qu'un seul numéro et de changer les autres.
(c) La loi française, rédigée ici avec une fâcheuse négligence, parle successivement du domicile, de l'habitation et de la présence du vrai propriétaire (art. 2265 et 2266).
(d) La rédaction de l'article 2269 à cet égard est encore singulièrement défectueuse et dit tout autre chose que ce que la loi a évidemment voulu dire: au lieu de " il faut ajouter à ce qui manque aux dix ans de présence, un nombre d'années d'absence double de ce qui manque pour compléter les dix ans de présence," on doit lire: " ajouter aux années de présence, un nombre "