Art. 1447. — 287. Le premier mode d'interruption civile, le plus fréquent et le plus naturel assurément, est la demande en justice; la loi nous dit, incidemment, que cette demande peut être " principale, " c'est-à-dire ouvrant une instance, " incidente, " c'est-à-dire survenant au cours d'une instance par voie d'addition à la première, enfin " reconventionnelle," c'est-à-dire servant de défense à l'une des deux actions du demandeur, comme une demande en compensation. Cette distinction est très importante en procédure, mais comme elle est sans influence ici, la loi y met les trois sortes d'actions sur la même ligne.
Ce qui est l'objet de l'article c'est de nous dire que la demande, quoique nulle en la forme ou portée devant un tribunal incompétent (ce qui est un autre cas de nullité), n'en est pas moins interruptive de prescription.
288. Sous ce rapport, le Projet va au-delà du Code français dans le sens favorable à l'interruption; ce Code, en effet, admet bien que l'incompétence du tribunal saisi n'est pas un obstacle à l'interruption, mais il n'accorde pas la même indulgence à la nullité de forme.
On en a donné un motif qui ne nous paraît pas suffisant pour justifier une pareille différence: on a dit que les questions de compétence sont souvent difficiles et qu'une erreur du demandeur à cet égard est excusable, tandis que la forme des demandes est assez nettement déterminée par la loi pour qu'il n'y ait pas d'excuse à la négliger.
Cela est plus spécieux que réel: si les parties rédigeaient elles-mêmes leurs demandes, il serait déjà bien sévère d'exiger d'elles une rigoureuse connaissance des formes; mais ce ne sont pas elles qui sont chargées ni même en droit de prendre ce soin: en France, ce sont les huissiers; au Japon, ce sont aussi aujourd'hui des officiers spéciaux, plus ou moins semblables aux huissiers (,slzittatsu?,i); or, il n'est pas juste que la partie souffre dans ses intérêts de la faute d'un intermédiaire auquel elle est forcée de recourir.
Si on maintenait que l'interruption est non avenue quand la demande est nulle en la forme, il faudrait donner à la partie une action en dommages-intérêts contre l'agent; or, cette indemnité pourrait être bien audessus de la solvabilité de l'agent, et si on exigeait de celui-ci un cautionnement suffisant pour faire face à toutes les éventualités, on ne trouverait pas de ces officiers en assez grand nombre pour tout le pays; en fait, les cautionnements exigés sont faibles, le préjudice retomberait donc sur la partie.
N'est-il pas dès lors plus simple, et aussi plus juste, de regarder l'avertissement donné à l'adversaire comme suffisant pour arrêter le cours de la prescription ? Celleci n'est pas d'ailleurs accomplie, elle n'est pas encore un droit acquis, une preuve complète: elle n'y est qu'un acheminement; qu'importe dès lors au défendeur qu'il y ait quelque irrégularité dans cette demande, puisqu'il est prévenu que son adversaire n'entend pas laisser périmer son droit (c).
289. Nous rappellerons seulement ici certaines conditions de l'article 1446, d'après lesquelles la nullité de forme pourra quelquefois mettre obstacle à l'interruption: parmi les formes des demandes, il y en a trois essentielles visées par l'article précité et dont l'inobservation ôtera tout effet à la citation, ce sont: la désignation de l'objet de la demande, celle du défendeur et celle du demandeur; il est clair que si la citation ne donnait pas ces désignations, le défendeur ne pourrait être considéré comme suffisamment averti qu'il est lui-même la partie citée et ne saurait pas exactement quelle prétention est élevée contre lui et par qui elle est élevée (1).
290. Le Code français a négligé de dire quelle serait l'issue d'une interruption civile par une demande nulle pour incompétence: il est clair qu'il faut une nouvelle demande pour réparer le vice de la première. Mais dans quel délai doit-elle être faite pour que l'interruption soit confirmée ? On peut, par analogie de ce que décide la loi pour le cas où il n'y a pas eu conciliation, exiger que la nouvelle demande soit formée dans le mois du rejet de la première (comp. c. civ., art. 224.5 et c. pr. civ,, art. 57).
La solution que donne le Projet, pour les deux nullités, est un peu plus favorable au demandeur: il lui accorde deux mois pour former la nouvelle demande.
----------
(c) Le Code civil italien a admis, comme le Code français, que la nullité de la citation pour défaut de forme empêche qu'il y ait interruption de la prescription, et il y a ajouté le cas de l'incompétence de l'officier qui a signifié la citation (v. art. 2128). Dans le Projet japonais on décidera le contraire, en considérant cette irrégularité comme un défaut de forme: l'interruption vaudrait, par identité de motif.
(1) L'ancienne rédaction de l'article 1446 n'avait pas attaché la même importance, au point de vue de l'interruption, à la désignation du demandeur qu'à celle du défendeur, parce qu'on pourrait dire qu'aussitôt que le défendeur se voit actionné, comme il vient d'être dit, au sujet du droit intéressé dans la prescription, il est averti que ce droit est contesté; en supposant, bien entendu, que le demandeur se ferait mieux connaître en temps utile. Mais, nous ne croyons pas devoir maintenir cette différence entre les deux parties, quant à leur désignation.
Le Texte officiel, au contraire, a supprimé même la nécessité de désigner le défendeur (art. 109); mais, par inadvertance sans doute, il ne l'a pas supprimée dans l'article 116.