Art. 1262. — N° 496. On a déjà annoncé (n° 393) que l'hypothèque, étant une des sûretés les plus effica.ces, ne préserve pas seulement celui qui en est muni du Cinq partis pour le tiers détenteur.concours des autres créanciers, par le droit de 'préférence, mais encore le met à l'abri, par le droit de suite, des aliénations, même non frauduleuses, de la chose hypothéquée.
C'est ce second droit qui va nous occuper dans la présente Section.
Si l'immeuble restait toujours dans les mains du débiteur et n'était grevé par lui d'aucun autre droit réel ou démembrement de la propriété, c'est sur le débiteur luimême que ie créancier poursuivrait la vente, pour l'exercice de son droit de préférence; alors on ne parlerait pas de droit de suite: ce droit suppose, comme le porte notre premier article, que le débiteur a aliéné l'immeuble, en tout ou en partie, ou qu'il l'a démembré par la constitution d'un usufruit ou grevé d'un autre droit réel.
Le principal effet du droit de suite est, comme le porte notre article, d'autoriser le créancier hypothécaire " à demander contre le tiers détenteur le payement de ce qui lui est dû la poursuite en expropriation de l'immeuble hypothéqué n'est que " subsidiaire " et à défaut de payement volontaire; cet immeuble est d'ailleurs le seul bien du tiers détenteur qui puisse être saisi du chef de cette dette, car il n'en est tenu que sur cette chose et à cause de cette chose, réellement (propter rem), ce qui le sépare profondément du débiteur tenu personnellement, et sur tous ses biens (v. art. 1001).
Le but final de l'expropriation sera encore, comme le (lit la dernière disposition de notre article, l'exercice du droit de préférence, par l'ouverture d'un ordre et le payement au rang déterminé par l'inscription; mais la présence d'un tiers acquéreur modifie considérablement l'exercice de ce droit.
497. Notre article contient une autre disposition très importante, c'est que la condition essentielle du droit de suite est Il que le créancier ait pris inscription avant la transcription, faite par le tiers détenteur, de l'aliénation ou du démembrement de la propriété. En effet, le tiers détenteur n'a pas moins d'intérêt à connaître le droit de suite auquel il est exposé que les autres créanciers n'en ont à connaître le droit de préférence qu'ils doivent subir: peut-être le tiers détenteur n'aurait-il pas traité s'il avait su être exposé aux poursuites de créanciers hypothécaires, ou, assurément, il aurait pris certaines précautions pour le payement de son prix ou l'acquittement des autres charges de son acquisition.
Cette règle ne comporte pas d'exception, pas plus que celle qui subordonne le droit de préférence à l'inscription et fait dépendre la priorité de rang de l'antériorité d'inscription (v. n° 484): les femmes mariées, les mineurs et interdits ne pourraient exercer le droit de suite sans que leur hypothèque eût été inscrite avant l'aliénation.
498. La législation française a posé aussi le principe que l'hypothèque doit être inscrite pour autoriser le droit de suite, mais, elle a varié à cet égard et, bien que le progrès ait toujours été dans le sens de la protection des tiers détenteurs, il reste toujours une exception en faveur des femmes mariées, des mineurs et des interdits.
L'article 2166 du Code civil subordonne bien l'exercice du droit de suite à l'inscription, mais il ne dit pas si cette inscription doit avoir précédé l'aliénation entre les parties ou la transcription faite par le tiers acquéreur.
Il est probable que, dans la pensée première des Rédacteurs, c'était à la transcription de l'acquisition qu'il fallait s'attacher, parce que dans le Projet, comme dans la loi de brumaire an vii, c'était par la transcription seule que les acquisitions étaient opposables aux tiers, mais lorsque ce caractère de la transcription fut abandonné, volontairement ou par omission fortuite (v. T. II, n° 183), on dut exiger que l'inscription hypothécaire précédât l'aliénation entre les parties.
On ne tarda pas à reconnaître que les créanciers hypothécaires couraient le risque de perdre le droit de s'inscrire utilement, par une aliénation secrète suivant presque immédiatement la constitution d'hypothèque, et le Code de Procédure civile, mis en vigueur deux ans après, remédia à ce danger, en édictant (art. 834 et 835) que les créanciers ayant acquis une hypothèque " antérieurement à l'aliénation " pourraient prendre utilement inscription jusqu'à la transcription de ladite aliénation, et encore pendant quinze jours après: la transcription constituait ainsi pour les créanciers une sorte de mise en demeure de se faire connaître.
Mais ce système avait encore un grand inconvénient: les seules hypothèques qui pussent être ainsi inscrites tardivement étaient celles qui avaient été acquises "avant l'aliénation," laquelle, n'étant pas publiée, exposait encore les créanciers à recevoir des hypothèques de celui qui n'en pouvait plus constituer, et cela sans que la nullité en pût être soupçonnée par eux.
Ce n'est que la loi de 185;') qui, en rétablissant la transcription, comme condition nécessaire pour opposer la transmission de la propriété à l'égard des tiers, en a fait aussi le moment auquel le débiteur cesse de pouvoir conférer des droits réels opposables à son cessionnaire (v. L. du 23 mars 1855, art. 6). Cette même loi abolit naturellement les articles 834 et 835 du Code de Procédure civile.
C'est la même solution que consacre notre article 1262, et elle ne demande pas ici de justification spéciale, puisqu'elle est la conséquence nécessaire du système de publicité des aliénations et constitutions de droits réels immobiliers, système établi d'abord par les articles 368 et suivants et appliqué aux principaux contrats d'aliénation: à la donation entre-vifs (v. art. 659), à la vente (v. art. 682), au legs même (v. art. 652 à 654, nouveaux), enfin aux priviléges de l'aliénateur et des copartageants (v. art. 1184 à 1186).
499. La loi de 1855, comme le Code civil et le Code de Procédure, a conservé une exception en faveur des femmes mariées, des mineurs et des interdits: leur hypothèque peut être utilement inscrite après la transcription, s'il ne s'est pas écoulé un an depuis la cessation de l'incapacité qui motive la dispense de publicité (art. 6 et 8) ou si le tiers détenteur ne les a pas mis en demeure, par une procédure spéciale de purge, de faire connaître leur hypothèque.
Cette exception ne se retrouve pas dans le Projet japonais, puisque l'hypothèque des incapables est SOllmise à la publicité ordinaire. Si leur hypothèque se trouve privée du droit de suite, par le défaut d'inscription en temps utile, la responsabilité en retombe sur ceux qui devaient faire l'inscription.
500. Remarquons, en terminant, une dernière disposition de notre article avec une exception: comme l'immeuble hypothéqué peut n'avoir pas été aliéné, mais avoir été seulement grevé de droits réels peu importants, par exemple de servitudes ou de droits d'usage ou d'habitation, qui ne peuvent être saisis et mis en vente séparément contre le tiers acquéreur, et pourtant comme la propriété ne peut être ainsi démembrée valablement au préjudice des créanciers hypothécaires, le texte nous dit que le fonds, alors resté aux mains du débiteur, sera exproprié contre lui, ” comme s'il n'était pas démembré" (v. art. 1273, 1er al.).
Une seule exception est admise à cet égard: elle concerne les baux ayant, par leur durée modérée (v. art. 126 et 127), un caractère d'actes d'administration. 11 ne faut pas, en effet, que les biens manquent d'être loués, parce que les preneurs traitant avec le débiteur, craindraient l'éviction par l'effet du droit de suite.
Si un bail avait été fait par le débiteur pour une durée plus longue que celle qui a un caractère d'administration, il ne serait pas nul, mais réductible à la durée permise, sur la demande des créanciers hypothécaires (v. art. 1273, 2e al.).