Art. 1203 et 1204. -399. Il s'agit ici des choses susceptibles d'être hypothéquées et de celles qui ne le sont pas.
La règle est que tous les droits réels immobiliers sont susceptibles d'hypothèque et que, par exception, quelques-uns ne le sont pas. Cependant, les droits réels étant peu nombreux, la loi énonce aussi bien ceux qui peuvent être hypothéqués que ceux qui ne peuvent pas l'être. Le Code français a procédé autrement: il n'énonce qu'une classe de biens, ceux qui " sont seuls susceptibles d'hypothèque " (art. 2118), comme si la possibilité d'être hypothéqués était une condition exceptionnelle pour les biens; mais il y compte, en première ligne, " les biens immobiliers qui sont dans le commerce," et ainsi la forme restrictive est bien élargie.
Dans le Projet, on indique d'abord, les biens qui peuvent être hypothéqués: en premier lieu, la propriété, soit pleine, soit démembrée de l'usufruit; puis, naturellement, l'usufruit, avec une exception au sujet de l'usufruit légal des père et mère, lequel est exclusivement attaché à leur personne et ne pourrait être vendu aux enchères, à défaut de payement; viennent ensuite le droit de bail sur un immeuble, puisqu'il est un droit réel dans le Projet, enfin l'emphytéose qui est un bail à long terme, et la superficie qui est un droit de propriété tout spécial.
400. On pourrait objecter que le droit d'hypothé. quer a déjà été reconnu précédemment à l'usufruitier (art. 71), au preneur à bail (art. 143) et, implicitement, à l'emphytéote, par l'effet d'un renvoi général aux règles du bail ordinaire (art. 168); mais, comme on l'a répondu, au sujet d'objections semblables, il est bon que certaines théories soient complètes par elles-mêmes, surtout celles qui, comme l'usufruit, sont plus ou moins nouvelles au Japon: il est utile que ceux qui étudieront dans la loi seule les droits de l'usufruitier y voient qu'il peut hypothéquer son droit, ce qu'ils n'apercevraient pas aussi facilement s'il n'en était question qu'au sujet des hypothèques; de même pour le preneur à bail: c'est une innovation que le caractère réel reconnu au droit de bail; on aurait pu douter que ce droit pût être hypothéqué; il ne fallait pas attendre pour le voir qu'on fût arrivé où nous en sommes.
Si l'on n'a pas trouvé, au sujet du super ficiaire, la mention de la faculté d'hypothéquer son droit, c'est que la superficie est un véritable droit de propriété sur des bâtiments ou plantations et que le doute n'a pas paru possible. Mais notre article s'en explique formellement et, à cette occasion, il énonce une prohibition qui se rattache à ce droit ainsi qu'à celui d'usufruit.
401. On aurait pu croire que le plein propriétaire qui peut démembrer sa propriété, en constituant un usufruit ou un droit de superficie, pourrait aussi hypothéquer l'usufruit sans la nue propriété, ou les constructions sans le sol ou, réciproquement, hypothéquer la nue propriété sans l'usufruit ou le sol sans la superficie.
Assurément, ces combinaisons ne trouveraient pas d'obstacle dans la nature même des choses: le créancier hypothécaire aurait donné à son droit, tel qu'il eût pu être, la publicité requise en matière d'hypothèque, et, à défaut de payement, il aurait saisi et fait vendre la fraction de droit ou plutôt le droit limité qui lui aurait appartenu. Mais la loi ne doit pas favoriser de tels fractionnements de la propriété, parce qu'ils préparent des occasions de conflits entre les divers ayant-droit.
Le texte explique donc que l'hypothèque ne peut être constituée sur l'usufruit sans la nue propriété ou sur la nue propriété sans l'usufruit, sur la superficie sans le sol ou sur le sol sans la superficie, que lorsque ces démembrements de la propriété ont été établis antérieurement (1).
402. Il n'y a pas le même obstacle à l'hypothèque d'une partie divise de la propriété, c'est-à-dire d'une portion déterminée par des limites matérielles qui en feraient en quelque sorte une propriété distincte, ni d'une portion indivise, comme une moitié, un tiers, un quart. Dans le premier cas, à défaut de payement, la portion hypothéquée sera vendue aux enchères et elle sera désormais un immeuble distinct de celui dont elle aura été détachée; dans le second cas, l'acheteur aux enchères deviendra copropriétaire du débiteur qui aura constitué l'hypothèque sur une part indivise en conservant le reste.
403. Le 49 alinéa donne au sujet des servitudes une solution analogue à celles du second alinéa et par un motif encore plus frappant: les servitudes actives ne peuvent se concevoir, même par la pensée, séparées du fonds dominant: elles en sont, en quelque sorte, des qualités, comme disaient les jurisconsultes romains; d'ailleurs, elles ne pourraient trouver acquéreur, lors de la vente qui en serait faite aux enchères, à défaut de payement.
Le motif n'est pas le même pour la prohibition d'hypothéquer les immeubles par destination: c'est qu'ils ne sont immeubles que par leur attache à un fonds et tant que dure cette attache; lors donc que la vente aux enchères s'en ferait, ce ne serait plus que comme de meubles ordinaires. Ils peuvent d'ailleurs être donnés en gage.
404. Les mines et minières concédées par le Gouvernement sont soumises à une législation spéciale qui ne permet pas de les hypothéquer, parce que la concession est personnelle. Lorsque même que le sol et la mine appartiennent au même propriétaire, celui-ci ne peut hypothéquer que la surface et non la mine.
Le propriétaire du sol ne pourrait non plus hypothéquer une marnière, une tourbière ou une carrière séparément du sol, parce qu'au cas de saisie hypothécaire et de vente, il serait difficile de déterminer sans arbitraire l'étendue et la durée du droit de l'adjudicataire. Mais s'il les avait données à bail, le preneur pourrait les hypothéquer comme tout autre droit de bail, et l'adjudicataire exercerait le droit avec l'étendue et la durée que lui donnait le contrat primitif.
405. L'article 1204 énonce d'autres prohibitions plus directes d'hypothéquer.
La première concerne deux droits auxquels on songe naturellement après celui d'usufruit, à savoir, les droits d'usage et d'habitation. Comme ces droits sont inaliénables ou incessibles par celui au profit duquel ils ont été constitués (v. art. 119), il est clair que l'hypothèque en est par cela même impossible, car elle tendrait à une vente aux enchères et cette vente est défendue.
La loi ajoute à cette prohibition spéciale une défense générale d'hypothéquer les biens inaliénables ou insaisissables.
406. En second lieu, la loi défend d'hypothéquer les créances immobilières mentionnées à l'article 11, nos 2 et 3, lesquelles sont au nombre de trois.
1er Cas. Une créance a pour objet l'acquisition d'un droit réel immobilier, lorsque l'immeuble à acquérir est non pas un corps certain, mais une quantité: par exemple, tant de tsoubos de terrain à choisir dans une plus grande quantité. Il est clair que, dans ce cas, la propriété n'a pu être transférée par le seul consentement, que le stipulant n'a pu acquérir qu'une créance et que la propriété ne lui sera acquise que par la tradition ou par une détermination faite d'un commun accord ou par la voie convenue (art. 352 et 633); mais la créance est immobilière, puisqu'elle tend à l'acquisition d'un immeuble.
Est-ce une raison pour qu'elle soit susceptible d'hypothèque ?
On ne l'admet pas dans le Projet: il n'est pas assez sûr que la créance se réalisera effectivement en acquisition du terrain promis: il pourra arriver que le promettant n'ait pas la quantité promise de terrain et soit finalement condamné à des dommages-intérêts que peut-être même il ne pourra payer. Ce serait donc manquer le but de l'hypothèque que de laisser les parties s'engager dans une voie qui ne peut y conduire avec certitude. En outre, il y aurait des difficultés sérieuses pour donner à cette hypothèque la publicité nécessaire.
2e Cas. La seconde créance immobilière qui ne peut être hypothéquée est celle qui aurait pour but de recouvrer un immeuble. Le cas est rare et ne doit pas être confondu avec d'autres qui en sont voisins.
Lorsque quelqu'un a une action en résolution, en rescision ou en révocation d'une aliénation d'immeuble, on est porté à dire qu'il a " une action tendant à recouvrer un immeuble mais, en réalité, on peut dire que cette personne a déjà le droit même sur l'immeuble, sous la condition de faire les justifications nécessaires'; elle a même plutôt conservé son droit antérieur sur l'immeuble, puisque les conditions d'une aliénation valable n'ont pas été remplies.
En pareil cas, l'aliénateur pourrait certainement hypothéquer l'immeuble objet du droit d'action dont il s'agit, en présentant son droit tel qu'il se comporte, c'est-à-dire comme conditionnel et subordonné au succès de son action judiciaire. En effet, on a établi en son lieu (T. II, nos 361 et 365, in fine) que celui qui a aliéné un bien sous condition résolutoire, expresse ou tacite, a retenu la propriété sous condition suspensive, et l'article 430 nous a dit que les deux intéressés peuvent disposer de leur droit sous la même condition que celle dont il est affecté, ce qui comprend le droit d'hypothéquer, si d'ailleurs l'hypothèque ne rencontre pas quelque autre obstacle.
Ce que nous disons du droit de résolution s'applique également et par les mêmes motifs au droit de faire rescinder ou révoquer une aliénation: l'hypothèque conditionnelle est permise à l'égard du droit qui peut être recouvré par l'effet de l'action, parce que l'action est elle-même réelle en même temps qu'immobilière.
Mais la prohibition de notre article s'appliquera à l'action en rescision d'une aliénation faite sous l'influence du dol: dans ce cas particulier, l'action est purement personnelle, le Projet s'en explique formellement (v. art. 333, 3e et 4e al.): l'aliénateur n'a pas conservé la propriété sous condition suspensive; il peut seulement la recouvrer, à titre de réparation du dol, si elle n'est pas passée dans les mains d'un tiers. On conçoit donc que la loi ne permette pas d'hypothéquer un pareil droit personnel qui ne mène pas nécessairement à la propriété immobilière.
On peut rapprocher de ce cas celui de la promesse de vendre, soit unilatérale, soit réciproque, dont traitent les articles 663 à 665; on y trouvera les mêmes situations: ou la promesse aura conféré un droit réel conditionnel, ce qui sera le plus fréquent, alors l'hypothèque sera possible, comme s'appliquant au droit réel, ou elle n'aura donné qu'une créance, un droit personnel, alors l'incertitude de l'exécution en nature formera obstacle à l'hypothèque.
3e Cas. La troisième créance immobilière que la loi défend d'hypothéquer est celle qui aurait pour objet d'obtenir " la construction d'un bâtiment, avec les matériaux du constructeur son objet est bien immobilier, car, après l'exécution, il y aura un nouveau bâtiment dans le patrimoine du créancier, et ce n'est pas sans raison que la loi suppose que les matériaux doivent appartenir au constructeur: autrement, et s'ils devaient appartenir au stipulant, celui-ci n'aurait droit qu'au fait même de la construction, il n'acquerrait pas un nouveau bien, mais seulement la modification de ses matériaux.
Quant à la raison pour laquelle cette créance ne peut être hypothéquée, c'est, d'abord, comme pour les deux précédentes et, avec plus de force encore, l'incertitu.de, le peu de probabilité de l'exécution réelle qui mettra un nouvel immeuble dans le patrimoine du stipulant: il y a trop à craindre que l'obligation ne se résolve en dommages-intérêts; c'est ensuite que la construction, si elle était vraiment exécutée, ne constituerait pas toujours un droit de superficie susceptible d'hypothèque: il faudrait pour cela que le stipulant ne fût pas propriétaire du sol sur lequel le bâtiment sera élevé; car on a vu à l'article précédent que si le stipulant a, tout à la fois, le sol et le bâtiment, il ne peut hypothéquer l'un séparément de l'autre.
407. Pour la quatrième créance immobilière, celle désignée au n° 4 de l'article 1 l, nous n'avons ici ni une prohibition ni une autorisation de l'hypothèque. D'abord, ce ne sera que très exceptionnellement que la loi permettra d'immobiliser des rentes sur l'Etat ou autres créances ayant pour débiteur principal ou subsidiaire l'Etat ou quelque puissante compagnie, comme la Banque du Japon (Nippon Ginko). Ensuite, quand cela aura lieu, ce ne sera pas une raison pour que l'hypothèque de tels immeubles soit permise: le plus souvent, ces créances seront en même temps déclarées inaliénables et insaisissables, ce qui suffira à en empêcher l'hypothèque (a). Mais si l'hypothèque en est un jour permise par une loi spéciale, cette loi devra aussi pourvoir aux moyens de la rendre publique: ce ne pourra évidemment être le mode ordinaire, puisque les rentes et autres créances analogues n'ont pas de situation locale comme les immeubles corporels; évidemment, la publicité devra consister dans une déclaration faite sur les registres du rrrésor public ou de la compagnie débitrice, avec mention, sur le titre, du nom du créancier hypothécaire, du droit qui lui est conféré et du montant de sa créance ainsi garantie.
408. La définition même de l'hypothèque qualifiée "droit réel sur les immeubles " suffirait à en exclure les meubles; mais, par cela même qu'une exception est possible à la défense de les hypothéquer, il faut bien commencer par poser en règle la prohibition.
L'exception réservée concerne les navires et bateaux qui, bien que meubles essentiellement, peuvent avoir une valeur considérable et être un moyen de crédit pour leurs propriétaires.
Assurément, comme meubles, ils peuvent déjà être donnés en gage; mais alors le débiteur doit se dessaisir de la possession en faveur du créancier, ce qui l'empêche d'en tirer profit.
En France déjà, et dans quelques autres pays, on a imaginé de permettre l'hypothèque des navires, sans nantissement du créancier; la publicité est donnée à cette hypothèque par une voie spéciale consistant dans l'incription sur un registre tenu au port d'attache du navire; la purge en est soumise aussi à des formalités particulières (v. Loi fr. du 10 déc. 1874).
Le besoin d'admettre au Japon une pareille hypothèque s'est déjà fait sentir: elle est autorisée, au moins implicitement, par une loi spéciale de la xixe année de Meiji qui en règle la publicité -, mais c'est une matière dans laquelle l'expérience des faits pourra suggérer quelques additions à la loi.
409. Les deux dispositions qui précèdent, la règle et l'exception, paraissent empruntées au Code français (v. art. 2119 et 2120); cependant, il n'y a pas similitude entière entre les deux lois. Dans le Code français, il est dit que " les meubles n'ont pas de suite par hypothèque," ce qui semblerait signifier que les meubles peuvent bien être hypothéqués quant au droit de préférence entre créanciers, mais non quant au droit de suite contre les tiers détenteurs; toutefois, il résulte clairement de l'historique de cette disposition dont la formule a été empruntée à l'ancienne coutume de Paris, laquelle l'avait elle-même empruntée à la jurisprudence du Châtelet de Paris, que l'on a, de tout temps, entendu exprimer par là que les meubles ne pouvaient pas être hypothéqués, avec l'un ou l'autre effet: ils pouvaient bien être l'objet de certains priviléges, mais seulement " tant qu'ils étaient >Qans la possession du débiteur; " tout au plus, auraient-ils pu être recouvrés contre les tiers, quand ils étaient sortis par fraude des mains du débiteur; mais alors ce n'était ni par l'effet du privilége, ni par celui d'une hypothèque, mais par l'effet ordinaire de l'action révocatoire ou paulienne (comp. c. civ. fr., art. 1167 et Projet jap., art. 360).
Le Code français réserve aussi " les dispositions des lois maritimes au sujet des navires et bâtiments de mer il ne fait pas allusion à l'hypothèque des navires, laquelle est d'institution récente: il se réfère aux divers priviléges portant sur les navires (v. c. com., art. 190 à 196). L'article 2120 aurait donc du être placé au Chapitre des Priviléges spéciaux sur les meubles.
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(1) Le Code officiel n'énonce pas cette double prohibition: on a voulu qu'un propriétaire pût hypothéquer ses bâtiments sans le sol et sans doute aussi le sol sans les bâtiments. Il en résultera une difficulté sérieuse quant à la fixation de la redevance qui lui sera due ou qui sera due par lui, lorsque, par l'effet de la saisie hypothécaire et de la vente des bâtiments ou du sol, les deux sortes de propriétés se trouveront dans des mains différentes; c'était là une de nos raisons de proposer la prohibition. On devra donc, lors de la mise en vente aux enchères, porter au cahier des charges le chiffre de la redevance à payer ou à recevoir.
Mais, au cas où le propriétaire aura hypothéqué le sol sans les bâtiments, à quel moment ne sera-t-il plus que superficiaire ? Quand cessera-t-il de pouvoir réconforter ses bâtiments (ce que ne peut faire un superficiaire) ? Sans doute, ce ne sera que lors de la saisie et si elle a lieu. C'est une situation bien équivoque que peut-être on aurait dû éviter.
(a) Depuis la première rédaction de l'article 11, les prévisions que nous avions indiquées au sujet de l'utilité de cette disposition se sont réalisées: à la création des nouveaux titres de noblesse au Japon on a attaché des dotations en rentes sur l'Etat qui constituent de véritables majorats, c'est-à-dire des biens ne se transmettant héréditairement qu'à l'aîné (major) des enfants mâles du noble. Ces rentes sont déclarées inaliénables et insaisissables, pour que la transmission à l'aîné en soit assurée; elles ne sont pas d'ailleurs, à proprement parler, immobilisées.
Ce n'est pas ici le moment d'apprécier l'institution des majorats et de signaler ses inconvénients dans l'ordre moral et économique. On peut d'ailleurs voir ce que nous en avons dit, pour la France, dans notre Histoire de la Réserve héréditaire et de son influence morale et économique, Paris 1872; traduction abrégée par M. Dubousquet, revue par M. le sénateur Akizouki (Totio, XIIIe année de Meiji, 1880).