Art. 1193. — 380. Toutes les dispositions qui précèdent facilitent le classement des créanciers privilégiés respectivement.
Au premier rang, se trouvent les architectes, ingénieurs et entrepreneurs, sur la plus-value résultant de leurs travaux.
Au second rang, l'aliénateur ou le copartageant, sur les immeubles qui ont fait l'objet de l'aliénation ou du partage.
Rappelons que, lors même que les architectes ou entrepreneurs, auraient été payés autrement que par l'exercice du privilége, et, par conséquent, ne primeraient plus l'aliénateur ou le copartageant, ceux-ci ne pourraient cependant pas exercer leur privilége sur la plusvalue, parce que ce serait obtenir une préférence sur une valeur qu'ils n'ont pas mise dans le patrimoine du débiteur et qui a déjà été payé avec de l'argent tiré de la masse, au préjudice des créanciers ordinaires (V. art. 1182).
381. La loi prévoit qu'il y a eu des aliénations ou des partages successifs, et elle règle la priorité par l'ordre direct d'ancienneté des actes.
Supposons d'abord deux aliénations successives du même bien, par exemple deux ventes sans payement du prix, et les deux aliénations ayant été régulièrement transcrites, de manière à conserver les deux priviléges: il est clair que le second vendeur ne peut passer avant le premier; d'abord, il est lui-même le débiteur du premier: il ne peut le priver du prix dont il est débiteur; ensuite, il n'a pu vendre le bien que grevé du privilége du premier vendeur; enfin, tout ce que le premier vendeur touchera du second acheteur (ou de l'adjudicataire du bien revendu aux enchères) tournera à la décharge du premier acheteur, de sorte qu'il est censé le recevoir lui-même.
Supposons que l'acheteur meure et que l'immeuble soit alors l'objet d'un partage entre ses héritiers, en sorte qu'il se trouve grevé d'une soulte ou d'une prix de licitation: il est naturel que le vendeur originaire non payé prime le copartageant créancier de la soulte ou du prix de licitation, puisque ce copartageant est lui-même débiteur du prix de vente et, en outre, puisqu'il n'a pu acquérir son privilége que sur un bien déjà grevé d'un autre privilége.
Renversons l'hypothèse: le bien entré dans le patrimoine du copartageant grevé d'une soulte ou d'un prix de licitation a été vendu par lui; le privilége du copartageant sera préféré à celui du vendeur pour les mêmes raisons: le vendeur est le débiteur de la créance privilégiée née du partage et il n'a pu acquérir un privilége préférable à celui qui grevait déjà son bien.
La solution serait la même en cas de partages successifs d'un même bien.
382. A l'égard des - prêteurs de deniers, il n'y a aucune difficulté pour le rang: ils ont toujours celui qu'aurait le créancier dont ils ont la place.
383. Enfin, les créanciers et légataires du défunt qui demandent la séparation des patrimoines ne sont, en principe, primés par personne venant du chef de l'héritier, puisque, par le bénéfice de la séparation, les immeubles héréditaires sont considérés, à leur égard, comme n'étant pas entrés dans le patrimoine de l'héritier.
Mais la loi devait admettre une exception en faveur des architectes et entrepreneurs qui ont donné une pl llSvalue aux immeubles héréditaires depuis qu'ils appartenaient à l'héritier: il est évident que les séparatistes s'enrichiraient aux dépens des entrepreneurs, s'ils se faisaient payer avant ceux-ci sur la plus-value.
384. La loi ajoute que la séparation des patrimoines ne modifie pas les droits des créanciers et légataires, respectivement, c'est-à-dire les uns à l'égard des autres. En effet, elle n'est établie que contre les créanciers personnels de l'héritier.
Et d'abord, les légataires ne seront payés sur les biens du défunt qu'après les créanciers héréditaires, par application d'un principe général de la matière, qui a sa place ailleurs, à savoir que ' ' les libéralités ne sont payées qu'après la libération " (nemo liberalis nisi liberatus). '
Ensuite, s'il y a entre les créanciers du défunt quelque cause de préférence sur les immeubles, elles seront observées: par exemple, les frais funéraires, les frais de dernière maladie et les salaires des serviteurs seraient payés avant les créances ordinaires sur les immeubles séparés des biens de l'héritier; pour les autres, elles seraient payées par contribution ou proportionnellement.
Il s'élève toutefois une difficulté sur tous ces points, c'est lorsque parmi ceux qui ont droit à la séparation des patrimoines, les uns ont pris l'inscription requise et les autres l'ont négligée, de sorte que les créanciers de l'héritier ont recouvré, à l'égard de ceux-ci, le droit de se prévaloir de la confusion des biens. Il est difficile d'admettre que ceux qui ont été diligents aient, par cela seul, une préférence sur les biens du défunt contre ceux qui ont été négligents. En sens inverse, la négligence de ceux-ci ne doit pas nuire aux premiers. Il n'y a pas non plus entre eux cette sorte de confusion d'intérêts qui a fait admettre, par l'article 1189, que l'inscription du procès-verbal constatant la plus-value donnée à un immeuble par des travaux profite à tous les intéressés, par une sorte de gestion d'affaires mutuelle.
385. Plusieurs hypothèses sont à envisager. Supposons d'abord un immeuble du défunt valant 10,000 yens et deux créanciers de 5000 yens chacun, dont l'un s'est inscrit dans les six mois et l'autre non; dans ce cas, les 5000 yens pour lesquels il y a eu inscription seront attribués en entier au créancier diligent, car si l'autre l'eût été également, il aurait touché aussi les 5000 yens qui lui étaient dus; or, sa négligence ne doit pas nuire à celui qui a été diligent.
Mais si, l'immeuble étant toujours de 10,000 yens, les deux créances étaient chacune de 6000 yens, le créancier diligent ne devra pas toucher, exclusivement à l'autre, les 6000 yens qu'il a conservés par son inscription, car si l'autre créancier avait également inscrit sa créance de 6000 yens, il y aurait eu perte pour chacun d'un sixième: le créancier diligent ne doit pas profiter de la négligence de l'autre et il ne touchera que 5000 yens sur les 6000 qu'il a mis à l'abri des droits des créanciers de l'héritier: les 1000 yens resteront pour le créancier négligent.
Supposons enfin, avec les mêmes chiffres, que le séparatiste diligent soit un légataire de 6000 yens, tandis que le négligent est un créancier de pareille somme. Si tous deux avaient été diligents, le créancier aurait eu ses 6000 yens et le légataire n'en aurait pu toucher que 4000; dans le cas où la négligence vient du créancier, le légataire touchera, sur les 6000 yens qu'il a conservés, les 4000 qui devaient lui revenir à tout événement, et le créancier recevra les 2000 autres: il souffre encore de sa négligence.
Enfin le créancier a été seul diligent: il a assuré 6000 yens contre les créanciers de l'héritier, il les touchera seul et en entier: le légataire est victime de sa faute.
Toutes ces solutions sont implicitement contenues dans la formule très large de la fin de notre article. Si pourtant, il paraît nécessaire de les exprimer avee plus de précision, il sera toujours possible de le faire dans la matière des Successions, sans répétition surabondante.
Rappelons, en terminant, que le conflit de nos priviléges spéciaux avec les priviléges généraux, en tant qu'ils portent sur les immeubles, est réglé en faveur des priviléges spéciaux par l'article 1149, 4e alinéa.
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(e) La première rédaction présentait un autre cas où une transcription rétroagissait, c'était celui d'un legs (voy. art. 652 à 654). Le Projet était déjà plus favorable aux tiers, à cet égard, que les autres législations qui permettent au légataire d'opposer son legs aux tiers acquéreurs et aux créanciers hypothécaires de l'héritier, sans l'avoir transcrit à aucune époque. Mais, après mure réflexion, nous avons proposé et fait admettre que cette exception n'eût pas lieu. Nous avons donné au Tome III, les motifs impérieux de cette innovation et la rédaction nouvelle des articles 651 à 654.