Art. 1184. — 364. Cet article concerne le premier privilége, celui de l'aliénateur d'immeuble.
D'abord on suppose une vente, ou un échange avec soulte: la transcription du titre, nécessaire pour rendre la mutation de propriété opposable aux tiers, servira en même temps de publication du privilége; mais à la condition que le titre porte que le prix de vente ou la soulte d'échange est encore dû, en tout ou en partie. Par conséquent, dès que les créanciers de l'acquéreur sauront, par la transcription, que leur débiteur est devenu propriétaire et pourront ainsi se prévaloir, soit du droit de gage général qu'ils acquièrent sur ce bien, soit d'une hypothèque qui leur serait concédée, ils seront informés en même temps que le bien n'est entré dans le patrimoine de leur débiteur que grevé du privilége de l'aliénateur.
Ce système, d'une grande simplicité, avait été celui du Projet de Code civil français (art. 2108 j; mais lorsque la transcription fut abandonnée, en tant que moyen de rendre la translation de propriété opposable aux tiers, (v. T. II, n° 183), il y eût de sérieuses raisons de douter que la transcription fût maintenue en tant que moyen nécessaire de conserver le privilége du vendeur: on alléguait que si les créanciers de l'acheteur connaissaient assez la vente, quoique non transcrite, pour s'en prévaloir comme augmentant leur gage, ils devaient savoir aussi que le prix n'était pas payé; d'un autre côté, l'article
2108, resté intact, était trop formel pour qu'on pût le considérer comme abandonné avec la transcription translative de propriété; aussi cette matière divisait-elle beaucoup les interprètes (a).
La célèbre loi du 23 mars 1855, en rétablissant la transcription, en tant que condition de la mutation à l'égard des tiers, a rétabli l'harmonie dans les dispositions du Code civil, et le mode de publicité du privilége du vendeur exposé ci-dessus ne diffère pas de celui de la loi française.
365. Comme le Projet a étendu le privilége du vendeur à tous les aliénateurs d'immeubles, il en résulte que le même mode de publication doit leur être imposé: pour le co-échangiste qui peut craindre l'éviction du bien (meuble ou immeuble) qu'il a reçu, pour le donateur qui peut avoir imposé des charges au donataire, et autres aliénateurs d'immeubles, à titre gratuit ou onéreux, qui ont stipulé des avantages, c'est toujours la transcription du titre d'aliénation qui conserve leur privilége, sous la même condition que ces charges ou avantages, certains ou éventuels, aient été énoncés, et de plus, estimés ou évalués en argent, sauf ce qui est dit à l'article 1187.
Rappelons, au sujet de l'éviction soufferte par le co-échangiste, la disposition de l'article 1174, d'après laquelle la transcription ne conserve le privilége de la garantie d'un immeuble acquis en échange, que si l'éviction a eu lieu dans les dix ans de l'échange et si la demande en garantie a été formée et publiée dans l'année de l'éviction, et, s'il s'agit d'un objet mobilier, que si l'éviction a eu lieu dans l'année de l'échange et la demande formée dans le mois de l'éviction. En effet, la publicité résultant de la transcription ne fait qu'avertir les tiers de l'éventualité d'une créance de garantie; mais, dès que l'éviction est consommée et que la créance est devenue certaine, il est utile qu'ils en soient avertis.
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(a) Il est sans intérêt ici de mentionner une disposition particulière des articles 831 et 835 du Code de Procédure civile, abrogés par la loi de 1885 (v. n° 498).