I. —PRIVILÉG¡'; DE L'ALIÉNATEUR.
Art. 1172. — 333. Le premier aliénateur d'immeuble qui ait un privilége est naturellement le vendeur.
La loi ne. répète pas que le privilége porte sur l'immeuble aliéné: cela se trouve déjà dit dans l'article précédent.
La créance privilégiée est celle du prix de vente. Le prix peut consister en un capital, lequel peut être payable en une seule fois ou par parties, avec les intérêts de ce qui reste dû, ou en un certain nombre d'annuités, comprenant en même temps les intérêts composés ou capitalisés. Le prix peut aussi consister en une rente perpétuelle ou en une rente viagère (v. art. 670, 5e al.): le privilége garantit alors les arrérages, et éventuellement le capital; dans le cas où le défaut de payement des arrérages autorise le créancier à s'en faire rembourser (v. art. 823, 888 et 889).
Indépendamment du prix proprement dit, certaines charges peuvent avoir été imposées à l'acheteur: elles sont privilégiées également, sous la condition d'être évaluées et fixées en argent, comme l'exige l'article suivant.
334. Le second aliénateur privilégié est le coéchangiste.
En principe, le coéchangiste, en même temps qu'il aliène, acquiert la propriété d'un autre bien reçu en contreéchange; il n'est donc pas nécessairement créancier. Peut-être est-ce pour ce motif que le Code français ne le mentionne pas. Mais si l'immeuble qu'il aliène est supérieur en valeur à celui qu'il reçoit, il stipule et il lui est dû une soulte en argent qui a beaucoup d'analogie avec un prix de vente et pour laquelle il n'est pas moins juste qu'il ait privilége. Il n'y a même pas à distinguer ici (comme il a été prescrit par l'article, 1162, 2e alinéa, pour les échanges de meubles), si la soulte excède ou non la moitié de la valeur de l'immeuble aliéné: la soulte ici a toujours le caractère de prix de vente. Il ne faut pas d'ailleurs s'arrêter à l'objection que la soulte pourrait être très faible: la même objection pourrait tout aussi bien être faite au cas où, le prix de vente ayant été payé comptant presque en entier, il n'en resterait dû qu'une faible partie; sans doute, dans ces cas, le privilége resterait purement nominal et le créancier ne prendrait pas la peine de remplir les formalités requises pour le publier et le faire valoir; mais le droit existe.
Une autre créance qui peut naître de l'échange, qu'il y ait eu soulte ou non, c'est celle de garantie d'éviction (v. art. 755). Cette créance ne serait certainement pasprivilégiée, d'après le Code français, sur l'immeuble aliéné; mais c'est une innovatiou nécessaire: il n'est pas juste que l'immeuble donné en échange devienne le gage des autres créanciers de l'acquéreur, quand il y a éviction de l'immeuble ou du droit que celui-ci a prétendu fournir en contre-échange.
335. Le troisième aliénateur est le donateur: ici, il n'y a pas de contre-valeur proprement dite due au donateur; mais s'il a imposé des charges au donataire, soit en sa propre faveur, soit en faveur d'un tiers, il a une créance pour l'exécution desdites charges et il est juste qu'elle soit privilégiée. Dans le cas où les charges de la donation doivent profiter à un tiers, pour que le donateur n'ait pas seulement le droit de résolution, mais une créance privilégiée, il aura dû stipuler une clause pénale à son profit (v. art. 344, 3e et 4° al.); mais si le tiers est intervenu à l'acte ou a déclaré plus tard vouloir en profiter (v. art. 346), c'est lui qui aura la créance privilégiée; voilà pourquoi la loi nomme " le donateur ou son ayant-cause."
336. La loi termine en. généralisant ce privilége au profit de tout aliénateur d'immeuble, pour la créance certaine ou éventuelle qui pourrait résulter pour lui de l'aliénation. Comme applications, on aura les apports d'immeubles en société, les transactions et les contrats innommés, par lesquels un aliénateur d'immeuble aurait acquis ou plutôt aurait dû acquérir un autre immeuble en contre-valeur.
On remarquera seulement, en ce qui concerne les apports sociaux, que le privilége dont ils seront grevés ne sera pas opposable aux créanciers sociaux, parce que l'associé est leur débiteur ou leur garant, mais seulement aux créanciers 'personnels des associés, après la liquidation.