Art. 1169. — N° 323. Le concours ou conflit des priviléges spéciaux sur les meubles, soit avec des priviléges généraux, soit avec d'autres priviléges spéciaux, est une théorie difficile, non seulement si l'on cherche à la composer d'après les données incomplètes du Code français, mais encore lorsqu'on a à la créer librement, pour une législation nouvelle.
On s'est arrêté ici à un ensemble de règles qu'on croit équitables et qui, au surplus, sont à peu près celles qui dominent dans l'interprétation de la loi française.
Les frais légaux ou de justice sont naturellement placés au premier rang, comme étant utiles à la masse des créanciers, même de ceux qui ont eux-mêmes un privilége.
Cependant, il est reconnu que certains créanciers profitent moins que d'autres des frais de justice; au moins, ils ne profitent pas de tous ces frais. Ainsi les créanciers dont le privilége est fondé sur un gage exprès ou tacite, doivent bien être primés par les frais de vente du gage et de répartition du prix; mais ils ne profitent pas, comme n'en ayant pas besoin, des frais d'apposition de scellés sur les autres meubles, ni de ceux d'inventaire: il v a y donc, à cet égard, une distinction à apporter à la préférence donnée aux frais de justice; c'est l'objet du 1er alinéa. Dans ce cas, il faudra nécessairement séparer le prix de vente de ces meubles soumis à un droit de gage spécial, et on ne prélèvera sur ce prix que les frais de justice relatifs à la (vente comp. art. 1143, 2e al.).
324. Mais à l'égard des autres meubles, il ne faudrait pas que le hasard de l'ordre des ventes et, encore moins, un calcul des intéressés, fît porter tous les frais de justice sur un ou plusieurs meubles, au préjudice des créanciers ayant privilége spécial sur ces meubles et au profit des autres priviléges spéciaux; on devra donc, autant que possible, vendre tous les meubles simultanément ou, au moins, réserver la répartition du prix jusqu'à ce que toutes les sommes soient réalisées; de cette façon, le prélèvement des frais de justice sur la masse équivaudra à leur répartition proportionnelle sur la va leur de chaque meuble. Autrement, pour que les droits de chaque créancier privilégié fussent respectés, il faudrait séparer le prix de chaque meuble grevé de priviléges et en prélever d'abord une part proportionnelle des frais de justice, ce qui serait une complication de plus dans une matière qui en a déjà beaucoup.
325. Une fois les frais de justice prélevés, tous les autres priviléges généraux seront prélevés, à leur tour, sur la masse du prix de vente, ce qui en constituera encore une imputation proportionnelle; à moins qu'on ne préfère la faire séparément sur le prix de chaque meuble, ce qui serait plus long; dans tous les cas, on suivra entre eux l'ordre où ils sont énumérés dans l'article
1142; mais on aura dû préalablement vendre les autres meubles qui ne se trouvaient soumis à aucun privilége spécial, car ces autres meubles sont soumis aussi aux priviléges généraux et il est naturel qu'ils en supportent d'abord la charge: ce ne doit être qu'au cas de leur insuffisance que l'on reviendra aux meubles grevés de priviléges spéciaux.
Quant à la faveur donnée ici aux priviléges généraux sur les spéciaux, il faut la rattacher au principe même qui en a fait admettre, la généralité, à savoir l'importance des services rendus au débiteur et, par suite, à tous ses créanciers.