Art. 1152. — 299. Ce privilége occupe le premier rang dans le Projet japonais, comine dans le Code français, à cause de sa très-fréquente application et de toutes les distinctions qu'il comporte.
Il ne faut ni s'étonner ni s'inquiéter de lui trouver ici beaucoup plus de développements qu'il n'en a dans son modèle: tout ce qu'il y a ici de plus que dans le Code français est la solution d'autant de difficultés que ce Code a laissées discutables.
Ce premier article et le suivant concernent le bail de bâtiments, les articles 1151 et 1155, le bail de biens ruraux, les articles 1156, 1157 et 1158 contiennent des dispositions communes aux deux sortes de baux.
Sur chacun de ces baux la loi nous indique: 1° quelle est la nature et l'étendue des créances du bailleur garanties par le privilége, 2° sur quels meubles il s'exerce, et cela nous conduira à comprendre la cause légale du privilége, la faveur que méritent ces créances privilégiées.
Comme c'est le contrat de bail, et non la personne du bailleur, qui motive le privilége, nous disons, de suite et d'une façon générale, que ce sont les seules créances nées du bail ou à son occasion qui sont privilégiées, et, comme objets sur lesquels porte le privilége, que ce sont ceux que le preneur a apportés sur le fonds loué ou qu'il en a tirés par l'exploitation.
300. C'est dans ces éléments du privilége que nous trouvons les moyens de le justifier.
D'abord l'idée de service rendu au débiteur, et par suite à ses créanciers, est manifeste: tout le monde n'a pas une maison à soi pour l'habiter ou pour y exercer une industie ou une profession; le bailleur qui prête l'usage de ses bâtiments rend donc un service éminent, indispensable, à ceux qui ne sont pas propriétaires; le bailleur de fonds ruraux fournit à ceux qui n'ont pas de terres le moyen d'exploiter le sol, ce qui est, en même temps qu'un service personnel rendu au fermier, un avantage économique procuré à la société, par une aide à la production agricole ou au travail industriel.
Pour le bail rural, il est donc naturel que le bailleur ait privilége sur les fruits et produits tirés de son fonds: ces produits ne doivent devenir le gage cominun des autres créanciers que quand le bailleur a été désintéressé.
Pour les deux sortes de baux et surtout pour le bail de bâtiments, le bailleur est autorisé par la loi à se considérer comme nanti, par une sorte de gage tacite, des objets mobiliers apportés dans les bâtiments pour l'usage, le commerce ou l'industrie du preneur, et sur les terres pour leur exploitation.
301. Le 1er alinéa de notre article indique les objets du privilége pour le bailleur de bâtiments que, pour abréger, nous appellerons“ bailleur urbain,” par opposition au "bailleur rural.”
Le 20 alinéa fait ici l'application du principe général que “la possession des meubles vaut titre parfait" (v. C. civ. fr., art. 1141, 2102-4", 9° al., 2279; proj. jap., art. 366 et 1911): s'il s'agissait d'un gage conventionnel et que la chose donnée en gage n'appartînt pas au débiteur, le créancier, s'il était de bonne foi, n'en aurait pas moins un droit de gage parfait; il en est de même dans le cas du gage tacite qui nous occupe.
Le texte a soin de nous dire que la bonne foi du bailleur doit exister, non au moment où les meubles ont été introduits dans les locaux loués, mais au moment où le bailleur a eu connaissance de cette introduction.
Pour que l'idée de gage tacite reste vraie, il faut que les objets apportés par le preneur soient apparents dans la maison, ou de nature à être prévus par le bailleur, comme étant ceux que tout preneur a en quantité plus ou moins considérable. Par suite, la loi exclut de ce gage tacite “ l'argent comptant, les bijoux et pierreries"; elle ajoute que l'exclusion ne s'applique qu'aux bijoux et pierreries “ destinés à l'usage personnel du débiteur ou de sa famille,” indiquant par là que si de pareils objets formaient la matière du commerce du preneur l'exclusion ne s'appliquerait plus.
Les titres de créance, “même au porteur,” sont exclus pareillement: le bailleur n'y a pas plus compté que sur l'argent qu'ils représentent.
Il va sans dire que les manuscrits, plans, documents quelconques, se trouvant dans la maison, ne sont pas le gage du bailleur: ils ne sont pas là “ pour l'usage, le commerce ou l'industrie du preneur” (1er al.); en tout cas, lors même qu'ils serviraient à son industrie, ce ne serait qu'indirectement, ils n'en seraient pas l'objet.
Au contraire, les objets d'art, bronzes, laques, porcelaines, tableaux, livres de bibliothèque, font partie du gage: on dit, en France, qu'ils “garnissent les lieux loués" (v. art. 2102-1°, 1°' et 5° al.) et le Projet va employer la même expression.
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(a) Le Code français (art. 2102) emploie tour à tour les mots: “loyers et fermages, réparations, sommes dues, créances, frais, prix, fonrnitures, dépenses."