Art. 1210. — N° 422. En général, la loi laisse les particuliers ou leurs représentants pourvoir eux-mêmes à leurs intérêts; lorsqu'elle y pourvoit pour eux c'est qu'elle veut protéger des incapables, soit contre leur propre faiblesse, soit contre la négligence ou l'intérêt contraire de leurs représentants.
Cette raison s'applique évidemment aux deux premières hypothèques légales: à celle des femmes mariées sur les biens de leurs maris et à celle des mineurs et interdits sur les biens de leurs tuteurs.
L'hypothèque légale n'appartient qu'aux mineurs non émancipés: pour ceux qui sont émancipés, il n'y fi, pas de tuteur, mais un simple curateur qui ne les représente pas mais les assiste et qui, par conséquent, ne gère pas leurs biens.
Pour la troisième hypothèque légale, celle de l'Etat et des autres personnes morales, sur les biens des comptables, elle a un double but: d'abord, de dispenser les chefs des comptables de stipuler une hypothèque conventionnelle, non seulement au moment de l'entrée en fonction du comptable, mais encore chaque fois que celui-ci acquerrait de nouveaux biens, ce qui souvent pourrait n'être pas su en temps utile; ensuite, de pourvoir à la garantie de l'Etat, au cas où les chefs manqueraient eux-mêmes à leur devoir de surveillance sur les comptables. Cette hypothèque appartenant au droit fiscal sera sans doute établie par des lois administratives spéciales auxquelles le Projet se borne à renvoyer.
La quatrième et dernière hypothèque légale est celle qui résulte d'un privilége dégénéré, faute d'avoir été publié dans le délai fixé et sous les conditions prescrites aux articles 1187, 1188 et 1190. Ici l'hypothèque a la même cause que le privilége, toujours reconnue par la loi, elle est seulement affaiblie.
423. En France, il existe en faveur des légataires une hypothèque générale sur les biens du testateur (v. c. civ., art. 1017), laquelle leur est donnée parce qu'ils ignorent souvent leurs droits pendant un certain temps après l'ouverture de la succession et parce qu'il ne faut pas que, pendant ce temps, l'héritier puisse diminuer les biens du défunt destinés à acquitter les legs. On ne croit pas devoir la reproduire au Japon, parce que les légataires ont déjà la séparation des patrimoines, sur les meubles et les immeubles, et il semble vraiment qu'ils sont par là suffisamment protégés; c'est au point qu'en France quelques auteurs, ne trouvant pas d'utilité suffisante à cette hypothèque, ont pensé qu'elle n'était autre que le droit même à la séparation des patrimoines, sous une autre qualification.
Comme on a donné à la séparation des patrimoines, dans le Projet, tous les effets et avantages d'un privilége t il n'y a vraiment aucune utilité à donner, en outre, aux légataires une hypothèque générale. Ils pourront d'ailleurs recevoir une hypothèque testamentaire dont on signalera l'utilité sous l'article 1218.
424. Il convient de revenir, pour un instant, à l'hypothèque légale des femmes mariées et à celle des mineurs et interdits, lesquelles sont tout à fait nouvelles au Japon, comme l'y sont d'ailleurs toutes les autres hypothèques légales.
Au Japon, il semble que jusqu'ici les droits de la femme mariée aient été trop laissés à la discrétion du mari; il y est assez rare d'ailleurs que la femme mariée ait une fortune personnelle confiée à l'administration du mari et sujette à restitution ou à reprise lors de la dissolution du mariage; en effet, les filles sont généralement exclues de la succession paternelle et si une fille est l'unique enfant d'une famille, son mari est adopté par le père et devient, en même temps que l'héritier des biens, le continuateur de la maison et du nom.
Mais cette situation pourra se trouver modifiée dans le droit nouveau, et quand une fille aura acquis des biens, avant ou après son mariage, le mari aura, le plus souvent, l'administration de ses biens, il devra faire des restitutions à la dissolution du mariage, et il se trouvera ainsi débiteur de sa femme ou des héritiers de celle-ci.
Si la femme, en tant que créancière de son mari, était quant à l'hypothèque, laissée sous l'empire du droit commun, elle devrait pourvoir elle-même à ses sûretés ou garanties contre l'insolvabilité possible de son mari: elle n'aurait d'hypothèque que si elle en avait obtenu la constitution, soit au moment du mariage, soit depuis. Mais on comprend aisément que ses sentiments naturels d'affection et de déférence la portent à des ménagements qui, gênant sa liberté, compromettraient ses intérêts, et cela, non seulement pendant le mariage, alors qu'elle est vraiment sous la puissance maritale, mais même au moment du mariage et dès qu'il est arrêté entre les familles.
425. Cette situation, dangereuse pour les intérêts de la femme, a préoccupé de tout temps les légistateurs civils et l'on trouve déjà dans le droit romain des priviléges légaux pour la garantie de la dot des femmes. En France, il y en a eu et il en est resté d'exorbitants, notamment l'inaliénabilité de la dot (v. art. 1554), laquelle ne figurera pas dans le Projet (4). Au sujet même de l'hypothèque qui va nous occuper, c'est aussi une faveur exceptionnelle que la dispense d'inscription qui expose les tiers à subir une priorité qu'ils ont pu prévoir mais dont ils n'ont pu connaître exactement l'importance. Cette faveur ne-sera pas non plus accordée à la femme par le Projet; on s'en expliquera en son lieu (v. art. 1222).
Au surplus, l'hypothèque légale de la femme mariée sera générale, ici comme en France: elle portera sur tous les immeubles présents et à venir du mari, aussi bien s'ils sont acquis à titre gratuit que s'ils le sont à titre onéreux, et elle garantira indistinctement toutes les créances de la femme contre son mari.
426. L'hypothèque légale des mineurs et des interdits est générale également; elle n'est guère moins ancienne en Europe que celle de la femme mariée, mais elle est tout aussi inusitée au Japon.
L'intervention de la loi en faveur du mineur est encore plus nécessaire qu'en faveur de la femme: en effet, celle-ci ou ses parents peuvent, à la rigueur, et sauf les obstacles de convenance dont on a parlé, stipuler et obtenir du mari qu'il consente à donner à la femme une hypothèque ou autre sûreté pour la garantie de sa dot et de ses reprises, et comme le mariage projeté est dans les vœux du mari, il n'est pas probable que cette exigence l'y fasse renoncer.
Il en est tout autrement des rapports d'intérêts du mineur avec son tuteur, et ce que nous dirons du mineur s'appliquera, par identité de motifs, à l'interdit pour démence: d'abord le mineur ne peut stipuler lui-même; quant à ses parents, toujours plus ou moins éloignés en degré, ou ils manqueront du zèle nécessaire pour stipuler une hypothèque, ou ils seront arrêtés par des scrupules et des ménagements, au moins si le tuteur est très proche, par exemple le survivant des père et mère; enfin, et c'est là la grande différence entre le tuteur et le mari, le tuteur refusera l'hypothèque conventionnelle pour qu'on ne lui confie pas la tutelle, ce qui serait un autre dommage pour le mineur.
Tous ces inconvénients sont évités et la situation se trouve bien simplifiée par la création d'une hypothèque légale; il ne reste plus qu'à contraindre par des voies suffisamment efficaces, sans être pourtant exagérées, la mauvaise volonté de ceux qui voudraient se soustraire à la tutelle, tant pour n'en pas remplir les charges gê nantes que pour conserver leur crédit compromis par une hypothèque générale: c'est la partie du Code relative à la tutelle qui y pourvoira.
427. Quant aux interdits, la loi a soin d'exprimer que l'hypothèque légale les protège également, soit qu'ils aient été interdits par décision judiciaire pour démence, ce qui est une pure protection, soit que leur interdiction provienne de la loi, à titre de peine civile et comme complément d'une peine criminelle: cette peine accessoire, en effet, a pour but d'empêcher les condamnés de chercher dans la disposition de leurs biens des moyens de satisfactions personnelles incompatibles avec la peine principale, et surtout des moyens d'évasion, le tout, en provoquant la complaisance des gardiens. Mais, du moment qu'ils ne peuvent gérer eux-mêmes leurs biens, la loi leur donne un tuteur pour que ces biens ne soient pas la proie de parents avides, et du moment aussi qu'il y a un tuteur, celui-ci doit être lui-même soumis à la garantie ordinaire exigée des tuteurs.
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(4) Le Code officiel n'a pas non plus admis l'inaliénabilité de la dot.