Art. 1136. — N° 268. La définition du privilége donnée par ce premier article n'est pas la même que celle du Code français (1. art. 2095), d'après lequel “ le privilége est un droit de préférence donné par la qualité de la créance" (a).
Qu'est-ce que la qualité d'une créance? Cette expres. sion qui n'est pas usitée ailleurs, est obscure: Ce n'est, assurément, ni l'objet de la créance, ni sa modalité, ni sa priorité de date, ni la personne du créancier, qui en fait la qualité; il ne reste que sa cause, que le fait juridique qui lui a donné naissance, dont on puisse dire qu'elle est la qualité de la créance. Et tout le monde l'entend ainsi.
On n'a donc pas hésité à rejeter une expression qui fait commencer par une obscurité une matière déjà fort diflicile par elle-même, et on a inséré dans le texte le mot essentiel, le mot de “ cause”: c'est la cause de la créance qui est en même temps la cause de la préférence appelée privilége.
La loi ajoute que c'est “ en l'absence de nantissement conventionnel " que la cause de la créance donne naissance au privilége; car s'il y avait gage ou nantissement immobilier, ce serait la convention et non plus la cause de la créance qui engendrerait le privilége. Ce sont là d'ailleurs les deux seuls cas de priviléges conventionnels.
269. Mais si l'idée de cause de la créance doit dominer dans la définition du privilége, elle ne suffit pas. D'où peut venir, en effet, cette puissance de la cause ? Quelles causes auront cette puissance ? Quels objets seront soumis au privilége né de la cause ? A qu'elles conditions sera soumis son exercice ?
La loi seule, évidemment, peut le décider. Et c'est ce qu'exprime le 20 alinéa de notre article: les causes, les objets et les conditions des priviléges sont détermi. nés par la loi, et cela, limitativement, parce que les pri. viléges, en même temps qu'ils sont favorables à un créancier, sont nuisibles aux autres: ils dérogent au droit commun de l'article 1001, ils ne peuvent donc s'étendre, par analogie d'un cas à un autre. Il y a là un principe qu'on ne devra jainais perdre de vue dans l'application de la loi. Cela n'exclut pas d'ailleurs l'interprétation des textes: la loi ne dit pas que toutes ses dispositions en cette matière seront expresses, elle dit seulement qu'on ne les étendra pas à des cas qu'elle n'a pas prévus.
270. Le privilége ne donne pas seulement un droit de préférence à un créancier sur les autres: il lui donne aussi, au moins, quand il porte sur un immeuble, un droit de suite contre les tiers-détenteurs.
Comme il y a là une nouvelle dérogation au droit commun, lequel permet au débiteur de diposer de ses biens, lorsqu'il agit sans fraude (v. art. 360), il faut de même se référer à la loi pour connaître les cas où le droit de suite appartient au créancier et les conditions de son exercice.
C'est d'ailleurs parce que le droit de suite n'accompagne pas toujours le droit de préférence qu'il ne figure pas dans la définition du privilége
----------
(a) Le mot français privilége est la traduction du latin privilegium, dérivé lui-même de privata ler: « loi particulière ” d'une créance.