Art. 1119. — 247. C'est, en France, une question fort débattue que celle de savoir si le débiteur peut opposer au créancier gagiste la prescription libératoire, lorsque le temps en est accompli depuis l'échéance de la dette, ou si, au contraire, le fait par lui d'avoir laissé le gage aux mains du créancier n'implique pas une reconnaissance continue de la dette, laquelle serait interruptive de prescription. Le plus grand nombre des auteurs adopte cette seconde opinion.
Le Projet ne pouvait négliger de se prononcer sur la question et il le fait dans le sens opposé.
Sans doute, si le débiteur constitue le gage après l'échéance de la dette, alors que déjà la prescription libératoire est en cours, on doit dire qu'il y a là de sa part, reconnaissance de la dette et, par suite, interruption de la prescription, parce qu'il y a là un acte formel positif; mais lorsque le gage a précédé l'échéance, le seul fait par le débiteur de laisser le gage au créancier n'a plus le même caractère, c'est un fait seue lement négatif; ce peut être une négligence ou' mêm: l'effet de l'ignorance que le créancier avait un gage par exemple, si le débiteur est mort laissant un héritier qui n'a pas connu l'existence du gage. La prescription libératoire repose, comme on l'a dit souvent déjà et comme on le démontrera avec soin en son lieu, sur une présomption de payement; or, le payement peut encore être présumé, quoique le débiteur ait manqué à retirer le gage.
Si l'on fondait la prescription uniquement sur une présomption d'abandon de son droit par le créancier, il serait plus facile de soutenir que cette présomption n'est plus fondée quand il déteint le gage qui assure son payement: on comprendrait alors qu'il négligeât de faire contre le débiteur des poursuites interruptives de la prescription, puisqu'il a une sécurité suffisante. Mais si la présomption est autant et plus celle d'un payement, la détention du gage par le créancier devient sans cause et ne peut conserver la créance.
Remarquons, à ce sujet, que si la prescription libératoire n'avait pas lieu en faveur du débiteur, ce ne serait pas par l'effet d'une interruption, laquelle requiert un acte positif et formel, mais par l'effet d'une suspension qui ne résulte pas d'un fait de l'homme, mais d'une situation respective des personnes ou d'un certain état des choses (v. Livre V, ne Partie, Chap. 3 et 4). Aussi est-ce la "suspension" et non l'interruption que notre article refuse au créancier resté nanti du gage (1).
----------
(1) Le Texte officiel n'a pas adopté notre proposition et il déclare que la prescription est suspendue tant que le créancier détient le gage (Livre des Garanties, art. 114).