Art. 1115 et 1116. —239. On a déjà vu, à l'article 1107, que le créancier doit être mis en possession du gage pour que son droit soit opposable aux tiers. Mais, de ce que sa mise en possession a un caractère obligatoire, ce n'était pas une raison pour omettre de la présenter comme un droit, ne fût-ce que pour son application aux dépenses nécessaires et à l'indemnité des dommages prévus à l'article précédent.
Au sujet de la créance principale et de ses accessoires, le présent article fortifie encore ce qui a été dit de l'indivisibilité du gage par l'article 1110: c'est jusqu'au Il parfait payement " que le créancier pourra retenir la chose.
240. Le 29 alinéa de l'article 1115 accorde au créancier gagiste un droit qui n'appartient pas au créancier simplement rétenteur (v. art. 1099), c'est celui de " s'opposer à la vente du gage aux enchères par les autres créanciers du débiteur, au moins tant que l'échéance n'est pas arrivée."
Voici le motif de cette différence: le créancier rétenteur n'a pas de privilége sur le principal de la chose retenue; il ne peut donc se plaindre qu'elle soit aliénée sans sa volonté: il doit lui suffire d'en conserver la possession jusqu'à son parfait payement; mais le créancier gagiste a un privilége: il lui importe beaucoup que la chose ne soit pas vendue en temps inopportun; tant que l'échéance de sa créance n'est pas arrivée, il peut avoir intérêt à ce que sa garantie ne soit pas modifiée; la question a de l'intérêt quand il s'agit de marchandises sujettes à des variations de cours.
241. Mais une fois l'échéance arrivée, la vente aux enchères peut être provoquée, non seulement par le créancier gagiste, mais par tous les autres créanciers. Comme la vente aux enchères publiques est le plus sûr moyen d'obtenir le meilleur prix de la chose, personne ne peut plus s'y opposer, au moment où l'on est arrivé.
C'est là que se réalisera le principal droit du créancier: le privilége pour toute sa créance gagée, en capital, intérêts et autres accessoires.
Comme la saisie et la vente publique du gage sont des voies d'exécution, c'est au Code de Procédure civile qu'il appartiendra d'en régler la forme et les conditions (a).
242. Au surplus, on n'a pas admis dans le Projet japonais la disposition, assez singulière, de l'article 2082, 28 alinéa, du Code français.
Cet article suppose qu'un gage ayant été constitué pour une première dette, le débiteur a contracté ensuite, envers le même créancier, une nouvelle dette devenue exigible avant que la première fût payée, et il autorise le créancier " à ne pas se dessaisir du gage avant d'être entièrement payé de l'une et l'autre dette, lors même qu'il n'y aurait eu aucune stipulation pour affecter le gage au payement de la seconde." Il y aurait donc là une sorte de gage tacite, lequel s'induirait de la double circonstance que la nouvelle dette, contractée après, est devenue exigible avant la première (b). Mais si l'on s'en tient à la lettre de cet article, ce n'est pas avec l'échéance mais avec le payement effectif de la première dette qu'il faut comparer l'exigibilité de la seconde dette; ce qui ne permet pas de dire, comme on le fait ordinairement, que le créancier a eu soin de faire échoir la nouvelle dette avant la plus ancienne, pour avoir la faculté d'appliquer le gage à toutes deux: il pourrait arriver, au contraire, que la première dette fût exigible avant la seconde et que le débiteur la payât à l'échéance; dans ce cas, il recouvrerait son gage immédiatement et la nouvelle dette ne serait pas gagée. Il ne paraît donc pas juste, quand on songe aux autres créanciers, que le seul retard du débiteur à payer la première dette (retard peut-être concerté avec le créancier), donne ainsi au gage une double efficacité. Même, en supposant que l'échéance de la seconde dette devançât l'échéance de la première, il y aurait un danger particulier de fraude: lorsque le gage excéderait par sa valeur le montant d'une première dette, le débiteur pourrait se concerter avec son créancier pour en contracter une seconde, purement simulée, dont ils auraient soin de faire tomber l'échéance avant celle de la première et ils arriveraient ainsi à enlever aux autres créanciers la plus-value du gage, ce qui rendrait inutiles les précautions prises par la loi en exigeant untacte écrit, enregistré, constatant le montant de la dette gagée.
C'est donc avec une intention bien arrêtée qu'on n'a rien reproduit dans le Projet de la disposition de l'article 2082, 29 alinéa, du Code français.
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(a) On pourra consulter à ce sujet notre Projet de loi sur les Saisies déjà mentionné au Tome 111, n° 250, note c.
(b) Comme l'article 2082 ne donne au créancier que le droit " de ne pas se dessaisir " du gage, on décide généralement qu'il n'a pour la seconde dette que le droit de rétention, mais non le droit de préférence.