IV. -PRIVILEGE DES SALAIRES DES GENS DE SERVICE.
Art. 1146. — 287. Disons d'abord que la cause légale du privilége des gens de service est encore que ces services sont rendus moins au débiteur lui-même qu'à la masse de ses créanciers: si le débiteur était obligé de se servir lui-même, il passerait un temps considérable à des occupations matérielles, grossières, sans cesse renouvelées, au grand préjudice des travaux de sa profession, lesquels doivent lui procurer le moyen de satisfaire ses créanciers; si les gens de service n'avaient un privilége, ils ne serviraient pas à crédit un homme dont la position pécuniaire serait mauvaise ou seulement douteuse et le mal qu'on vient de signaler serait inévitable.
288. Voyons maintenant l'étendue du privilége.
Les serviteurs privilégiés sont ceux attachés à la personne ou aux biens du débiteur et aussi à la personne de ses parents, dans les conditions prévues à l'article 1144, c'est-à-dire " habitant avec lui et à sa charge "; aussi n'est-il pas question des serviteurs attachés aux biens de ces derniers: s'ils avaient des biens, ce serait sur ces biens que le privilége s'exercerait et non sur les biens de celui chez lequel ils habitent. Au contraire, les parents pauvres peuvent avoir un ou deux serviteurs mis à leur disposition par le débiteur, eu égard à leur âge et à leur ancienne condition sociale.
Pour en revenir au débiteur, on devra considérer comme serviteurs attachés à sa personne, non seulement ceux qui lui donnent des soins directs et journaliers, mais encore le cuisinier, le cocher, le bélo (coureur), et les subalternes de ces serviteurs, s'il y en a; comme serviteurs attachés aux biens, on comptera les momhans (portiers), les veilleurs de jour et de nuit, les jardiniers, hommes de peine, etc.
Le privilége ici prévu ne s'applique pas aux commis des marchands et des industriels; c'est le Code de Commerce qui aura à se prononcer sur le privilége de ces personnes, comme le fait le Code de Commerce français (art. 549).
289. Il fallait aussi régler l'étendue du privilége quant à la durée des services; le Code français accorde aux gens de service " la dernière année échue et l'année courante." ce qui est un peu long et d'un calcul assez compliqué: un peu long, car la prescription des gages des serviteurs est accomplie par un an (art. 2272), de sorte que, pour que le privilége soit utile en son entier, il faut supposer que la prescription a été interrompue ou n'est pas invoquée; un peu compliqué, car il faut prendre comme point de départ le jour anniversaire de l'entrée en service de chaque serviteur (ce qui est souvent difficile à retrouver), puis remonter d'un an en arrière pour avoir une année échue, et redescendre au jour de la liquidation ou de la cessation des services, pour avoir l'année courante.
Le Projet adopte un calcul à la fois plus juste et plus facile: plus juste, parce qu'il traite tous les serviteurs de la même manière, quel que soit le jour anniversaire de leur entrée au service du. débiteur; plus simple, parce qu'on néglige la recherche de ce jour: on prend le jour de la cessation des services comme point de départ et on alloue un an de gages pour l'arriéré, s'il n'a pas été payé et si les services ont cette ancienneté. Du reste, la durée du privilége ne coïncide pas avec la prescription des gages, laquelle est de 5 ans, 3 ans ou 6 mois, suivant l'époque de leur payement (v. art. 1493, 1494 et 1497).