Art. 1063. — 156. Le mandat mutuel des codébiteurs solidaires ne concerne pas seulement l'exécution de l'obligation et la conservation du droit du créancier, comme il résulte des articles précédents: il concerne encore la garde et la conservation de la chose due; de là, une responsabilité solidaire de tous, pour la faute d'un seul. En effet, si la chose due (qu'il faut supposer être un corps certain) a péri ou a été détériorée par la faute d'un seul, on peut toujours dire qu'il y a eu aussi faute des autres à la lui avoir confiée ou à ne pas avoir surveillé l'usage qu'il en pouvait faire.
La responsabilité solidaire consistera dans l'obligation de chacun des débiteurs de payer tous les dommages-intérêts encourus ou toute la clause pénale qui en est l'indemnité convenue à forfait (v. art. 408).
157.. On remarquera, à ce sujet, une sérieuse différence entre le Projet et le Code civil français.
L'article 1205 de ce Code fait une séparation entre l'indemnité de la valeur de la chose périe en entier (ou de sa diminution de valeur, si elle n'est que détériorée), et l'indemnité des autres conséquences de la faute commise; dans la doctrine, on appelle les dommages-intérêts intrinsèques, au premier cas, et extrinsèques au second; la première indemnité seule donne lieu à la responsabilité solidaire, l'autre ne pèse que sur celui des débiteurs qui est en faute.
On a donné de cette étrange disposition une explication que nous ne saurions accepter: on a dit que les codébiteurs solidaires sont mandataires les uns des autres " pour conserver l'obligation, non pour l'augmenter " (ad conservandarn, non ad augendam obligationemj; mais la réparation de t 0 us les dommages (sous les distinctions portées à l'article 405 du Projet et 1150 et 1151 du Code français) n'est pas une augmentation de l'obligation, elle n'en est que la transformation: le créancier ne reçoit pas plus qu'il ne lui est dû, et les codébiteurs ont pu prévoir et ont accepté d'avance la responsabilité mutuelle de leurs fautes; d'ailleurs, nous avons établi, en commençant, que, dans le cas présent, aucun n'est exempt de faute personnelle: la faute est le défaut de surveillance.
La situation favorable faite par le Code français aux codébiteurs de celui qui est en faute est d'autant plus singulière que ceux-ci se trouvent ainsi mieux traités que ne le serait, en pareil cas, la caution du débiteur négligent; celle-ci, en effet, serait responsable de toitsles dommages-intérêts (v. art. 1001).
Le Code français n'a aucune disposition sur la clause pénale, au cas qui nous occupe. Assurément, il serait impossible de faire, dans la clause pénale, deux parts dont l'une serait à la charge de tous les débiteurs et l'autre à la charge de celui qui est en faute: les articles 1228 et suivants, sur la clause pénale ne se prêteraient pas à une pareille division. Il y a donc désaccord dans les solutions.
Pour compléter la théorie et mieux en faire ressortir l'harmonie, le Projet s'explique à la fois sur les dommages-intérêts à fixer en justice et sur ceux fixés par les parties en forme de clause pénale.
158. Il allait de soi, mais il est bon de l'exprimer, que la faute doit retomber définitivement sur celui qui l'a commise et, pour cela, ceux qui ont satisfait le créancier ont recours contre leur codébiteur en faute, et pour tout ce qu'ils ont payé au créancier, même pour la valeur intrinsèque de la chose, car cette chose qui était commune entre eux, pour avoir été achetée ou autrement acquise à frais communs, aurait dû servir à les libérer, et ils ne doivent pas supporter la charge d'en fournir une seconde fois la valeur.
Si le créancier a poursuivi celui, qui était en faute, celui-ci n'a, évidemment, aucun recours contre les autres, de sorte que la position de chacun se trouve être immédiatement ce qu'elle doit être définitivement.