Art. 1052. — N° 135. On retrouve ici la division habituelle: il est naturel de présenter séparément les causes, les effets et la cessation de chacune des sûretés ou garanties.
Bien qu'il ne faille pas anticiper sur les effets de la solidarité, la loi doit cependant indiquer sa nature qui fait ressortir son effet principal: autrement, on no verrait pas nettement quel est le droit dont on va énoncer les causes.
Le caractère le plus saillant de la solidarité passive est, comme le dit texte, “une représentation mutuelle (un mandat réciproque) entre les débiteurs, dans l'intérêt du créancier." Cette idée de représentation, de mandat, universellement admise dans la doctrine, n'a encore été exprimée dans aucune loi (au moins, à notre connaissance) et il est bon qu'elle le soit, car tous les effets de la solidarité s'en déduisent, tant ceux que la loi exprimne que ceux qu'elle sous-entend: ces derniers seront dès lors faciles à suppléer par déduction du principe.
Pour le moment, on ne s'y arrête pas davantage.
Ajoutons pourtant que cette représentation mutuelle des débiteurs n'est pas seulement de sa nature: elle est même de son essence, car on ne pourrait pas la supprimer par convention sans changer la modalité même de l'obligation, laquelle se trouverait alors réduite à la simple obligation intégrale, pour le tout, ou in solidum, dont on parlera à l'article 1074.
136. Comme la solidarité passive est une modalité des obligations, ses causes ne peuvent être autres que celles des obligations elles-mêmes; seulement, elles paraissent moins nombreuses, car le texte n'indique à cet égard que la convention et la loi (nous réservons un instant ce qui est dit du testament): il n'est pas fait mention de l'enrichissement indû (vulgò, quasi-contrats) ni du dommage injuste (délits et quasi-délits); mais cette omission est plus apparente que réelle.
Sans doute, tous les cas où plusieurs personnes sont indûment enrichies du bien d'autrui ne réclament pas la solidarité entre elles pour la restitution ou l'indemnité, même quand on ignore la part de profit de chacune d'elles, car on peut alors diviser l'obligation par portions viriles; mais lorsqu'il est juste qu'il y ait solidarité, la loi l'ordonne; on se trouve alors en présence d'un cas de solidarité légale: par exemple, entre comandants (v. art. 915).
De même, dans les cas de dommage causé injustement par plusieurs personnes, au moyen d'un seul et même fait, il peut être juste que chacun en soit responsable solidairement, surtout quand on ne peut déterminer le degré de participation de chacun au mal causé; mais c'est encore la loi qui établit la solidarité entre les auteurs du fait pour la réparation du préjudice: par exemple, entre co-auteurs d'un crime, d'un délit ou d'une contravention (v. C. pénal, art. 47). Dins ces cas, la loi a pu, sans exagération de sévé. rité, décider que ceux qui se sont associés pour le mal servient associés pour la réparation.
Lorsque le dommige causé injustement par plusieurs ne résulte pas d'une association ou d'un concert, mais d'une sorte de conjonction de fait et que la part de responsabiliti individuelle ne peut être connue, la loi peut encore imposer à chacun une responsabilité intégrale, mais suns solidarité, à cause de l'absence de mn:undat mutuel; c'est ce qu'elle fait notamment pour les locataires d'une même maison ou enceinte (art. 152) et pour les co-auteurs d'un quasi-délit (art. 398) (a).
137. A côté de la convention et de la loi, comme causes ou sources de la solidarité passive, notre article place encore le testament.
On pourrait s'étonner de voir figurer le testament comme cause d'une modalité de l'obligation, quand il ne figure pas parmi les sources ou causes des obligations elles-mêmes (v. art. 316). Mais l'objection serait plus spécieuse que fondée. Le testament ne suffit pas à imposer une obligation à l'héritier légitime: il faut encore qu'il consente à être héritier, qu'il accepte la succession avec ses charges. Il est vrai qu'aujourhui, au Japon, le fils aîné, légitime ou adoptif, seul héritier et continuateur, non seulement du père, mais de la maison, ne peut guère refuser la succession et que, sous ce rapport, il paraît être dans la condition de l'héritier nécessaire des Romains; mais cette situation sera sans doute modifiée très-prochainement, dans le sens d'une plus grande indépendance de l'héritier, en même temps qué dans celui d'une dévolution des biens héréditaires moins exclusive, c'est-à-dire plus équitable et plus conforme aux droits de la nature.
Si donc l'héritier peut refuser la succession qui lui est échue, on peut dire que quand il l'accepte, c'est par l'effet de sa volonté propre qu'il est tenu des obligatioris que le défunt lui a imposées par son testament; car il ne peut accepter les biens sans subir les charges: ce serait s'enrichir au détriment d'autrui; aussi l'obli. gation d'acquitter les legs et autres charges testamentaires figure-t-elle parmi celles qui naissent des quasicontrats ou de l'enrichissement indû (v. art. 381-3"), elle ne peut dès lors être rattachée à une autre cause qui serait le testament.
Si le testateur a plusieurs héritiers qui acceptent sa succession, ils ne seront que débiteurs conjoints des legs, chacun d'eux n'en devra que sa part héréditaire, au moins si la chose est divisible (art. 461, 1er al.)
Mais si le testateur veut qu'il en soit autrement, s'il craint pour son légataire l'insolvabilité ultérieure d'un ou plusieurs de ses héritiers, il a le droit de leur imposer la solidarité: ce sera prudent quand il s'agit du legs d'une rente viagère ou d'un capital payable à long terme. Evidemment, il ne pourrait espérer une convention entre le légataire et les héritiers, à l'effet d'imposer la solidarité à la charge de ceux-ci, et il n'y a pas de raison suffisante pour que la loi intervienne dans le même but; il ne reste donc que la volonté du défunt ou le testament.
138. La solidarité étant une rigueur contre les débiteurs, par cela même qu'elle est favorable au créancier, est évidemment une exception au droit commun; de là la règle qu'elle “ne se présume pas et doit être expresse."
Bien entendu, comme on l'a déjà rem:urqué en pareil cas, cela ne signifie pas que la disposition doive employer l'un des mots solidarité, solilaire ou sulidairement: ce qui est nécessaire c'est qu'il n'y ait aucun doute sur la volonté, à cet égard, des contractints, du testateur ou de la loi. Nous ajouto:is “de la loi ” et notre article dit “ dans tous les cas," pour prévenir an Japon une difficulté qui s'est élevée en France, sur le point de savoir si la dispositio: de l'article 1202, qui exige également que la solidarité soit expresse, s'applique à la solidarité légale.
139. Une différence toutefois doit être admise à cet égard entre les dispositions de la loi et celles de l'homme. On verra à l'article 1074 que lorsque la loi déclare qu'une obligation conjointe est “intégrale ou pour le tout," cela ne suffit pas pour qu'il y ait solidarité, s'il n'y a d'ailleurs entre les débiteurs aucune relation antérieure impliquint mandat réciproque ou représentation mutuelle. Mais cette disposition ne concerne pas le cas où les mêmes expressions auraient été employées dans une convention ou un testament. La loi, ailleurs, a posé en principe que, “dans l'interprétation des conventions, les juges doivent rechercher l'intention commune des parties plutôt que s'attacher au sens littéral des termes par elles employés ” (art. 376). Or, quand les parties auront dit que l'obligation de chaque débiteur sera “intégrale ou pour toute la dette," ou qu'ils “p:żyeront l'un pour l'autre,” il est bien naturel de croire qu'elles ont entendu établir entre les débiteurs le lieu le plus étroit et le plus rigoureux: leur intention se révèle bica mieux par la désignation directe de cette rigueur que par l'emploi d'un mot juridique (solidaire, solidarité, solidairement) dont elles peuvent ne pas connaître toute la portée ou le sens exact. D'ailleurs, dans un pareil cas, il y aura nécessairement entre les débiteurs un lien autérieur impliquint mandat réciproque.
La même observation s'applique au cas d'un testateur qui aurait imposé à chacun de ses héritiers mme obligation intégrale au sujet de l'acquittement des legs.
140. Notre texte paraît, dans sa dernière disposition, viser une exception à la règle que la solidaritá doit être expresse. Mais c'est à peine si l'on peut diro qu'il y a là une exception: quand on se réfère à l'article 1091 visé ici, on remarque que l'indivisibilité volontaire implique solidarité, soit activement, soit passivement; mais, si la soconde modalité est établie tacitement, la première est expresse; en outre, la loi interprète erpressément l'intention des parties, en sorte qu'on ne peut pas dire qu'il y ait là une véritable exception à la règle.
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(a) Ces deux articles 152 et 398 portent la solidarité, dans le première rédaction; mais depuis, ils ont été modifiés par l'emploi des mots “obligation intégrale ou pour le tout" (v. Appendice, art. 1074); toutefois, dans l'article 393, on a laissé la solidarit', pour le cas de “concert dans l'intention de nuire," ce qui maintient l'uni. formité entre le délit civil et le délit pénal.