Art. 1034. — 87. La loi doit encore protéger la caution contre les risques de perte qu'elle n'a pu prévoir ou contre des incertitudes auxquelles elle n'est pas présumée avoir entendu se soumettre.
Comme l'indique non seulement la place de cet article mais encore son texte, c'est seulement à l'égard du débiteur que cette protection est accordée à la caution, ce n'est pas à l'égard du créancier: près de celuici son engagement doit être tenu dans sa forme et teneur et à tout événement.
Le Code français (art. 2032) présente cinq cas dans lesquels pourra s'exercer ce nouveau droit de la caution. On en retranche deux ici, comme inutiles: celui où la caution est poursuivie en justice pour le payement et celui où le débiteur s'est engagé à lui rapporter sa décharge dans un certain temps. Le premier de ces cas ferait double emploi avec la demande incidente en garantie déjà accordée à la caution par l'article 1029; le second n'est que l'application pure et simple du principe que les conventions font la loi des parties.
Les trois cas conservés par le Projet demandent quelques explications.
88. -Ier Cas. Le débiteur est tombé en faillite ou en déconfiture: il est évident que la caution sera nécessairement forcée de payer à l'échéance et qu'alors elle sera exposée à n'être pas remboursée; il est donc naturel qu'elle puisse se faire comprendre dans les opérations de la liquidation, comme créancier conditionnel.
Cependant, dans le même cas de faillite ou de déconfiture du débiteur, le créancier pourrait prétendre également se faire inscrire dans la liquidation, pour y être colloqué en proportion du montant de sa créance. Alors, comme il n'est pas admissible que la même créance figure deux fois dans la même liquidation, la caution s'abstiendra, si le créancier se présente: elle n'en souffrira pas, puisque ce qui sera alloué au créancier sur les biens du débiteur tournera à la décharge commune. C'est pourquoi le texte a soin d'exclure le cas où le créancier se présente à la liquidation.
89. —IIe Ca.,;. La dette est échue et le créancier ne poursuit ni le débiteur ni la caution: ce n'est pas une raison pour que celle-ci reste indéfiniment sous le coup d'une obligation dont l'exécution pourra lui être plus onéreuse ou plus difficile avec le temps. Sans doute, la dette étant échue, la caution pourrait en faire le payement, même malgré le créancier (art. 473 et 474j; mais il peut ne pas lui convenir de faire une avance, et cependant elle ne doit pas rester dans une incertitude nuisible à ses intérêts.
90. C'est ici que se représente la question, déjà touchée (n° 68), de l'influence du terme de grâce concédé au débiteur, soit par le créancier, soit par le tribunal.
Le Code français (art. 2039), ne prévoyant que le second cas, déclare, assez inutilement, que la prorogation de terme accordée par le créancier au débiteur " ne décharge pas la caution," mais que celle-ci "peut poursuivre le débiteur pour le forcer au payement: " solution singulière dans ses résultats.
D'abord, on ne dit pas si la caution, dans le cas où le créancier prétendrait le poursuivre, pourrait se prévaloir du terme concédé au débiteur; nous ne doutons pas qu'elle le puisse (v. n° 68), même dans le silence de la loi, car elle doit jouir de toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur: autrement, elle se trouverait dans une condition plus dure que celui-ci, ce qui est contraire à un principe fondamental de la matière (v. art. 1006).
Le véritable objet de cet article 2039 est de confirmer le droit de la caution de se faire indemniser, par la seule raison que le terme primitif est arrivé (art. 2032-4°). Mais est-ce là une heureuse disposition législative ? Que la caution demande au débiteur de la sortir d'incertitude quand le terme est arrivé, alors qu'elle est exposée à des poursuites, d'un moment à l'autre, rien de plus sage; mais, du moment que le débiteur jouit d'un nouveau terme et qu'elle en jouit elle-même, est-il juste et utile qu'elle puisse demander une indemnité lorsqu'elle n'est exposée, quant à présent, à aucun dommage ? Nous ne le pensons pas.
D'ailleurs, le système du Code français mène, comme nous le disions, à un résultat singulier: le créancier a accordé un nouveau terme au débiteur, cela n'ôte pas à la caution le droit " de forcer le débiteur au payement," de sorte que le bénéfice du terme est perdu pour celui-ci; la présence de la caution, qui lui avait fait obtenir du crédit, est cause maintenant qu'il est privé du bénéfice de la confiance du créancier. Cette solution ne nous semble pas heureuse et il suffit de ne pas reproduire l'article 2039 dans le Projet, pour qu'elle ne puisse être soutenue au Japon.
91. —IIIe Cas. Ici, la dette n'a plus d'échéance fixe; on ne peut même lui assigner un maximum d'éloignement; sa durée est indéterminée: il ne faut cependant pas que la caution soit soumise elle-même à une responsabilité indéfinie.
L'exemple le plus saillant est celui où la caution a cautionné le service d'une rente perpétuelle: comme le remboursement du capital n'est jamais exigible et dépend uniquement de la volonté du débiteur (v. art. 887), on peut dire que la durée de la dette est non seulement indéterminée, mais en quelque sorte indéfinie. Il en serait de même du cautionnement d'une rente viagère: la durée de la dette n'est guère moins indéterminée, et quoique la vie humaine ait des limites nécessaires, on n'en peut guère déterminer le maximum.
On peut encore citer le cas du cautionnement d'un comptable: comme le débiteur peut être comptable toute sa vie, il y a là une durée indéterminée de l'obligation principale.
Dans ces divers cas, la caution peut demander l'indemnité après dix ans, non de son engagement, qui peut être assez récent, mais de l'engagement du débiteur.
Il en serait autrement si le cautionnement garantissait la gestion du tuteur d'un mineur, parce qu'alors la dette principale aurait une durée maximum connue: la majorité du pupille. Au contraire, la tutelle d'un fou serait considérée comme une obligation à durée indéterminée, puisque la guérison est toujours incertaine et que la vie humaine est elle-même indéterminée dans sa durée. C'est ainsi que le Code français dispose, à un autre point de vue, que le tuteur d'un fou peut luimême demander à être relevé de la tutelle après dix ans (art. 508).
Dans le même ordre d'idées, nous considérons comme soumis à notre article le cautionnement d'une dot et celui d'un usufruit, toujours parce que la limite de l'obligation principale, étant la vie humaine, est indéterminée; si l'on objecte que le mariage et l'usufruit peuvent finir autrement que par la mort, le mariage par le divorce et l'usufruit par la perte de la chose, nous répondons que ces événements sont aussi indéterminés que la mort, quant à l'époque de leur arrivée, et incertains en eux-mêmes.
92. Nous rappelons, en terminant, que ce droit de demander une indemnité avant d'avoir payé n'appartient à la caution que lorsqu'elle s'est engagée en vertu d'un mandat du débiteur (v. n° 81). Cette condition qui n'est pas exprimée par le Code français doit y être sous-entendue: autrement, il serait choquant qu'une caution qui s'est engagée à l'insu du débiteur, peut-être même malgré lui, vînt lui susciter des troubles que ne lui cause pas le créancier. D'ailleurs, la caution qui n'est que gérant d'affaires n'a de droit et d'action contre le débiteur que dans la mesure du service qu'elle lui a rendu ou du profit qu'elle lui a procuré; or, ici, la caution n'a encore aucun de ces titres à une action en indemnité.