Art. 1025. — 64. L'obligation née du cautionnement n'étant qu'accessoire et subsidiaire à l'obligation principale, il est naturel que la caution puisse opposer au créancier les moyens de défense qui appartiennent au débiteur principal; et, en même temps que c'est un droit pour la caution, c'est aussi un devoir pour elle, un devoir dont l'inobservation pourrait lui nuire gravement dans son recours contre le débiteur, ainsi qu'on le verra au § suivant (v. art. 1032).
Remarquons, tout d'abord, que cet article n'est pas placé, comme au Code français, dans la matière de l'extinction dit cautionnement (v. art. 2036): il appartient bien mieux aux effets du cautionnement, et même, tout à la fois, aux effets vis-à-vis du créancier et vis-àvis du débiteur.
65. Le Projet s'écarte aussi du Code français pour le fond: il reconnaît à la caution le droit d'opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiendraient au débiteur, spécialement celles à lui personnelles, telles que ” son incapacité ou les vices de son consentement," tandis que le Code français les exclut ou paraît les exclure, en refusant à la caution le droit d'opposer les exceptions ' purement personnelles au débiteur; " il ne lui accorde que les exceptions ll inhérentes à la dette " (art. 2036); c'est la même solution qu'il a donnée, et presque dans les mêmes termes, pour le débiteur solidaire poursuivi pour la dette commune (v. 1208).
Si le Code français s'est placé, sans le dire, dans l'hypothèse où la caution a connu le moyen de nullité résultant d'une circonstance personnelle au débiteur, sa décision est la même que celle donnée par notre article (par argument a co?îtrario), et elle est facile à justifier: la caution a voulu et pu garantir l'exécution d'une obligation naturelle (voy. ci-dess., art. 1009 et c. fr., art. 2012).
66. Mais si le Code français n'a pas entendu faire de distinction, si la caution ne peut opposer ces moyens de nullité personnels au débiteur, lors même qu'elle les avait ignorés en contractant, il en résultera, ou une injustice, ou une complication inutile, que l'on doit croire, la première surtout, contraire à la pensée de la loi française: une injustice, si la caution, ayant payé la dette d'un incapable ou d'une personne dont le consentement a ét3 vicié, alors qu'elle n'a connu ces moyens de nullité que depuis son engagement, est privée de recours contre le débiteur; une complication inutile, si ce recours lui est accordé, parce qu'alors le débiteur se retournera contre le créancier et prétendra pouvoir encore exercer l'action en nullité, quoique la dette ait été payée, du moment qu'elle ne l'a pas été par lui et d'une façon valant ratification.
On donne donc ici l'exception du nullité à la caution, du chef du débiteur, lorsqu'elle a ignoré la cause de nullité au moment de son engagement, et cette exception profitera en même temps au débiteur, puisqu'il se trouvera libéré, tout à la fois, envers le créancier et envers la caution.
67. Si maintenant on se reporte aux autres exceptions, à celles qui affectent plus directement la dette, on reconnaîtra qu'elles peuvent être tirées, soit de vices originaires du contrat principal, lesquels ont empêché sa formation, soit de faits postérieurs qui ont éteint l'obligation formée.
A la première classe appartiennent les défauts ou vices de l'objet ou de la cause et, exceptionnellement, le défaut d'observation des formes solennelles requises; à la seconde appartiennent les modes légaux ordinaires d'extinction de l'obligation, tels que le payement, la novation, la remise, la résolution, etc.
Si la dette était subordonnée à une condition sllspensive qui ne fût pas encore accomplie, la caution se prévaudrait de cette exception, comme tirée du défaut de formation de l'obligation.
Si la dette n'était pas encore échue, la caution pourrait également se refuser au payement immédiat, car si le terme ne retarde pas la formation de l'obligation, il en retarde au moins l'exécution forcée.
68. Au sujet du terme de grâce qui aurait été accordé au débiteur par le tribunal (art. 426), ou par le créancier (art. 546), on n'est pas d'accord, en France, sur le point de savoir si la caution peut s'en prévaloir contre le créancier qui la poursuit avant que ce terme soit expiré. L'article 2039 du Code français traite bien du terme accordé par le créancier, mais c'est à un autre point de vue sur lequel nous reviendrons sous l'article 1034 (n° 90).
Il ne nous semble pas nécessaire d'exprimer au texte que la caution a le droit d'invoquer le terme de grâce, car si on le lui refusait, elle pourrait recourir de suite en remboursement contre le débiteur et celui-ci se trouverait privé du bénéfice du terme de grâce, par le fait du créancier qui pourtant doit le respecter.
Si l'on prétendait que la caution doit payer nonobstant le terme de grâce accordé au débiteur et attendre qu'il soit expiré pour se faire rembourser, on violerait un principe fondamental de la matière, celui d'après lequel la caution ne peut être tenue plus durement que le débiteur.
69. Bien que les exceptions ici reconnues appartenir à la caution lui viennent du débiteur principal, il n'en faut pas conclure qu'il soit permis à celui-ci de les restreindre ou d'y renoncer au préjudice de la caution; sans doute, en droit, il en souffrirait le premier et ce serait déjà un remède à l'abus; mais, en fait, il pourrait être d'autant plus porté à être généreux envers le créancier qu'il serait moins solvable et que sa générosité atteindrait plutôt la caution que lui-même.
La raison décisive c'est que les moyens de défense une fois acquis au débiteur le sont aussi à sa caution et ne peuvent être enlevés à celle-ci; elle est d'ailleurs, à cet égard, comme créancière éventuelle du remboursement, un ayant-cause particulier et elle n'est pas exposée, comme les autres créanciers, ayant-cause généraux, à souffrir des actes du débiteur.
70. Remarquons, en terminant, que la loi n'a pas eu besoin de dire que la caution peut aussi, et même tout d'abord, opposer les exceptions qui lui appartiendraient personnellement, telles que les vices de son consentement ou son incapacité: cela allait de soi.
Bien entendu, le débiteur ne pourrait opposer au créancier les exceptions personnelles à la caution.