Art. 875. — 048. Un prévoit ici que le remboursement est devenu impossible, et pour qu'il n'y ait point de doute sur l'application de la disposition, il est formellement exprimé que l'obstacle vient '- d'un cas fortuit ou d'une force majeure."
On aurait pu croire que, dans ce cas, le débiteur serait libéré, l'inexécution ne lui étant pas imputable; ' l'impossibilité d'exécuter " est, en effet, l'une des causes légitimes d'extinction des obligations (art. 561 à 565), ce que le Projet exprime d'une far-on plus large que le Code français, lequel ne parle que de la perte de la chose due (art. 1302). Mais il faut remarquer que cette cause d'extinction n'a lieu que lorsqu'il s'agit de la dette d'un corps certain ou de choses individuellement déterminées; or, ce n'est justement pas ce, qui a lieu dans le prêt de consommation, où l'emprunteur doit des choses de genre ou de quantité, lesquelles ne sont pas de nature à périr (gênera non p c r e u n t).
Mais il peut arriver, quoique rarement, que le genre tout entier soit retiré dl1 commerce; alors, on aurait pu croire que le débiteur se trouverait libéré par l'impossibilité d'exécuter résultant d'une force majeure. Ce résultat serait tout-à-fait inique: il constituerait, en même temps qu'une perte pour le prêteur, un gain illicite pour l'emprunteur.
En effet, le cas n'est plus le même que celui où il doit un corps certain lui appartenant, dont la perte fortuite ou par force majeure ne l'enrichit pas; tandis qu'ici les choses qu'il devait n'étaient sans doute pas encore dans ses biens, il avait à se les procurer, à prix d'argent, en général, pour les livrer ensuite au créancier; s'il était libéré parce qu'il ne peut se les procurer, il bénéficierait de ce qu'il aurait dû dépenser pour les obtenir. Si déjà il s'était procuré les choses dues, en vue du payement, la solution devrait encore être la même, car il n'est pas juridiquement admis à être considéré comme débiteur d'un corps certain; en outre, la mesure légale ou administrative qui retirerait du commerce certaines denrées ou substances accorderait, sans aucun doute, une indemnité aux possesseurs actuels et c'est lui qui la recueillerait, comme il est observé plus loin.
649. Res tait iL déterminer la manière de calculer l'indemnité due au prêteur par l'emprunteur.
Le Code français ne paraît pas pavoir prévu la même hypothèse: dans son article 1903, il parle bien d'un cas où "l'emprunteur est dans l'impossibilité de satisfaire à son obligation de rendre les choses prêtées," mais il est probable, par sa solution même, qu'il n'a supposé qu'un empêchement personnel, relatif, et non, comme nous, un empêchement général, absolu ou presque absolu.
11 veut alors que l'on prenne la valeur des choses au temps et au lieu où le payement devait se faire; c'est, en somme, l'exécution du contrat.
Mais si l'on suppose que les choses ne sont plus dans le commerce, elles n'ont plus de cours, de valeur courante, dans ce lieu et à cette époque; et si l'on se place dans le cas où, sans être retirées du commerce, les choses dues sont devenues d'une rareté excessive, soit par l'absence de récoltes dans l'année, soit par la guerre, s'il s'agit de choses iL provenir d'importation étrangère, les prix estimés au temps et au lieu fixés pour le payement seront tellement élevés que ce pourrait être la ruine du débiteur et un profit énorme pour le créancier, le tout, contrairement aux prévisions des parties.
Le Projet avait d'abord adopté ici, pour tous les cas, un mode d'estimation que le Code français n'a admis que pour le cas où le lieu et l'époque du payement n'ont pas été fixés: c'étaient le temps et le lieu de la convention, ou, plus exactement encore, de la remise des choses prêtées; à ce moment, en effet, le prêt avait pu procurer à l'emprunteur un profit facile à déterminer et qu'il avait sans doute réalisé.
Il était possible aussi que l'emprunteur, à cause même du retrait du commerce des choses dues, eut reçu une illdemnité supérieure à la valeur vénale qu'avaient ces choses au moment du prêt, comme aussi leur rareté dans le commerce pouvait lui avoir fourni une occasion de profit plus considérable que la valeur au jour du prêt; mais la loi ne le soumettait pas à rembourser ce profit, lequel se fût compensé éventuellement avec la perte qu'il avait pu subir.
Mais ce système rencontra des objections dans la Commission: on lui reprochait notamment de fonder la valeur à restituer pflutôt sur des faits possibles que suides faits réels: l'emprunteur n'avait peut-être pas disposé des choses à l'époque de la convention; il avait pu être atteint dans son droit de propriété par le retrait du commerce sans en être indemnisé suffisamment; comme, au contraire; il avait pu se défaire des choses prêtées en temps utile et alors que leur rareté en avait beaucoup augmenté le prix. On voulait aussi, au cas d'un prêt de denrées, tenir compte des cas où la restitution de choses semblables serait devenue seulement très difficile, sans être devenue tout à fait impossible. Enfin, on pensait qu'il fallait, distinguer si l'empêchement à restituer, même absolu, paraissait devoir être perpétuel ou seulement temporaire.
Ces considérations que nous avons nous-même appuyúes, nous ont suggéré une solution nouvelle qui forme l'objet de l'article actuel et où en effet il est donné satisfaction aux desiderata de la Commission.
Ainsi 1° le tribunal appréciera si la difficulté de restituer est assez grande pour être assimilée à une impossibilité; 2° si l'empêchement ne lui paraît devoir être que temporaire, il se bornera à accorder un délai à l'enlprunteur; enfin; 3° il se fera fournir les justifications suffisantes, par les parties respectivement, tant du profit réalisé par l'emprunteur, eu égard au temps où il a disposé des choses, que de la perte subie par le prêteur lors du prêt (1).
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(1) Ce qui n'a pas été sans nous surprendre c'est que cette rédaction qui avait paru rallier tout le monde ne figure pas au Code officiel: elle y est remplacée par une formule qui, sans être semblable à la première, donne lieu aux mêmes objections.