Art. 772. — 416. Le succès de la société dépendra en grande partie de la manière dont elle sera administrée. Les associés feront donc sagement de pourvoir avec soin au choix des administrateurs ou gérants et, en les choisissant, même parmi eux, de déterminer leurs pouvoirs avec le plus de précision possible.
11 allait de soi, à la rigueur, que "chaque administrateur doit se renfermer dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés," et si la loi prend la peine de l'exprimer, c'est pour mieux faire ressortir le cas où les pouvoirs n'ont pas été déterminés et pour que les deux cas soient réglés.
Dans cette matière où la liberté des conventions est absolue, la loi doit seulement statuer sur ce qui aura lieu dans le silence des parties, par interprétation de leur volonté présumée.
La qualification même " d'administrateurs " indique la nature des actes qui doivent être raisonnablement permis aux associés investis de cette qualité.
D'abord, ils feront les actes qui ont pour but de conserver les biens, comme les réparations, tant grosses que d'entretien; ils acquitteront les charges, tant publiques, comme les impôts, que privées, comme les dettes exigibles valablement contractées pour le compte de la société; ils pourront faire aussi des actes tendant à améliorer le fonds social, par exemple, des travaux d'irrigation, de dessèchement, des murs de clôture ou de soutènement; mais sans que ces actes entraînent de risques exceptionnels et pourvu qu'on n'y emploie pas des capitaux nécessaires aux opérations normales de la société.
Ils ne pourraient, sauf l'exception indiquée ci-après, acheter ou vendre des immeubles, parce que ce sont des actes qui peuvent compromettre le patrimoine social, au lieu de l'améliorer.
Lorsqu'on veut savoir si un acte est, par sa nature, permis ou défendu aux administrateurs de la société, il faut se reporter aux actes d'administration de la chose d'autrui, comme en peuvent faire les tuteurs pour les biens de leur pupille, les maris pour ceux de leur femme, les copropriétaires pour la chose commune
Mais le texte permet aux administrateurs de la société des actes qui seraient interdits aux administrateurs précités, comme étant plutôt des actes de disposition du fonds social; ce sont les actes qui rentrent par eux-mêmes dans le but ou l'objet de la société. Par exemple, ils pourraient acheter ou vendre des immeubles si, justement, l'objet de la société était de spéculer sur l'achat et la vente des terrains. En effet, le principal rôle de l'administrateur d'une société est d'en réaliser l'objet, quelle que soit la nature des actes pour lesquels elle a été contractée.
Supposons encore une société qui aurait pour objet de bâtir des maisons pour en louer l'usage: les administrateurs pourraient, non seulement bâtir, ce qui ne rentre pas dans les actes ordinaires d'administration, mais encore ils pourraient faire des baux d'une durée supérieure à celle à laquelle peuvent consentir les administrateurs de la chose d'autrui (v. art. 126 et 127).
Au contraire, ils ne pourraient emprunter, même sans intérêts: l'emprunt est défendu, en général, aux simples administrateurs, parce qu'il est facile de dépenser imprudemment les sommes prêtées; par suite, il est difficile de les rembourser au temps convenu, et il en résulte des saisies et des rigueurs du créancier qu'on n'avait pas suffisamment prévues.
Les administrateurs ne pourraient non plus plaider comme demandeurs ou défendeurs, si ce n'est en matière de possession: un procès mal i1 propos intenté, une défense mal conduite, peuvent entraîner de grandes pertes et il faut avoir le droit de disposer des biens engagés dans le procès pour se passer d'autorisation de plaider; mais les actions possessoires ne préjugent pas le fond du droit; elles sont plutôt conservatoires et elles ont un caractère d'urgence qui motive l'intervention immédiate de l'administrateur.
Il va de soi que les administrateurs ont le pouvoir d'engager, pour les affaires de la société, des commis et des employés subalternes agissant sous leur responsabilité, ou des serviteurs et ouvriers; ils peuvent aussi les révoquer ou les congédier.
417. La loi devait prévoir le désaccord des administrateurs sur l'utilité ou l'opportunité de certains actes; ce qui suppose non seulement qu'il en a été nommé plusieurs, mais encore que les pouvoirs de chacun n'ont pas été appliqués à des actes distincts et qu'ils doivent agir de concert, en conseil. On admet ici l'application d'un principe de raison universelle que " dans le doute, il convient de s'abstenir "; les jurisconsultes romains l'ont formulé en axiome pour le cas qui nous occupe et, généralement pour le cas de désaccord entre co-intéressés: in pari canna, melior est prohibent-is, " dans des " situations égales (ou avec des droits égaux), la volonté " de celui qui défend (qui refuse ou s'oppose) est préférable."
Mais le sursis à l'acte ne doit être que temporaire: les associes devront se réunir à cet effet et délibérer sur le point de savoir si l'acte contesté sera fait. Ils pourraient aussi être consultés séparément, si les statuts ne s'opposent pas à cette manière de recueillir les avis.
La loi n'exige pas l'unanimité pour cette délibération: c'est un des cas où. la majorité suffit, parce qu'il ne s'agit pas de modifier le contrat mais de l'exécuter, ainsi que le principe va en être posé plus loin.