Art. 716. — 278. Cette disposition correspond à celle de l'article 1653 du Code français et la complète.
On a dit, en commençant la matière de la garantie, qu'il n'était pas nécessaire, pour que l'acheteur y eût droit, que l'éviction fût consommée par le succès d'une action en revendication, et qu'il suffisait qu'il prouvat que la chose vendue n'appartenait pas au vendeur et, par suite, n'était pas devenue sienne (v. p. 286, n° 226). Le présent article nous dit, implicitement, qu'en sens inverse il ne suffit pas que l'acheteur soit actionné en revendication pour opposer avec succès la nullité de la vente et agir utilement en garantie: cette revendication, si elle est seule, n'aura pour effet que de retarder le payement du prix.
Il pourrait arriver, en effet, que l'acheteur, par collusion avec un tiers, se fît actionner en revendication, pour se soustraire aux effets d'une vente dont il n'est plus satisfait ou dont les obligations sont trop lourdes pour lui, peut-étre même dans le seul but de gagner du temps pour trouver les fonds nécessaires au payement du prix; or, cette fraude doit être déjouée: lors même que la collusion n'existerait pas avec le revendiquant, l'action de celui-ci pourrait être si peu fondée qu'il serait déplorable qu'elle suffît à enlever au vendeur les avantages qu'il attend du contrat.
Mais la circonstance qu'une action en revendication est intentée par un tiers contre l'acheteur n'est pas indifférente: la loi ne doit pas présumer la collusion indiquée plus haut ni la témérité absolue du revendiquant; il y a dans le fait de cette action un motif suffisant pour l'acheteur de demander à surseoir au payement du prix, jusqu'à ce que le danger d'éviction ait été écarté.
D'un autre côté, comme la décision à intervenir sur la revendication pourrait tarder beaucoup, le vendeur est autorisé à fournir caution pour la restitution du prix et à exiger un payement immédiat. S'il ne peut trouver un répondant, il a encore la faculté d'exiger la consignation du prix, en vertu de l'article 718.
Si l'acheteur, en présence de cette sûreté, ne paye pas, c'est une preuve que son refus de payement tenait plus à un manque d'argent qu'à la crainte réelle d'un danger d'éviction, et il pourra être poursuivi.
279. On remarquera que notre article ne suppose pas seulement une action en revendication, mais “toute autre action réelle,” ce qui doit s'entendre des actions par lesquelles un tiers prétendrait faire reconnaître un démembrement de la propriété, tel qu'un droit d'usufruit, de bail, d'emphytéose, de servitude; ce pourrait être aussi une action hypothécaire, par laquelle un créancier ayant hypothèque sur le fonds vendu prétendrait obtenir le délaissement de l'immeuble ou le payement de sa créance.
Comme ces actions n'ont pas toutes la même gravité, elles ne motiveront pas toutes un refus total de payement du prix; par exemple, la créance hypothécaire peut être notablement inférieure an prix; il peut s'agir d'une servitude qui déprécie peu l'immeuble, du bail d'une partie seulement de la chose ou dont la durée restant à courir est courte; dans ces divers cas, l'acheteur ne devra demander le sursis au payement ou la caution que pour une partie de son prix.
Le Code français a négligé ces nuances et il ne serait pas toujours facile de les y suppléer; cependant, si l'acheteur n'était menacé que de la réclamation d'une servitude, il serait difficile de l'autoriser à refuser le payement de tout le prix.
280. Notre article se termine en proclamant un droit de l'acheteur qu'il eût été bon de voir exprimé dans l'article 1653 du Code français: si l'acheteur ne se borne pas à invoquer l'action en revendication, comme présomption d'un danger d'éviction, s'il peut fournir “ la preuve directe" que la chose n'appartenait pas au vendeur, alors il jouit du droit de faire prononcer la nullité complète de la vente; ce ne sera plus un sursis au payement qu'il demandera, mais il refusera absolument le payement pour l'avenir: il s'en fera déclarer libéré et, en outre, il réclamera les indemnités résultant de la garantie.