Art. 710. — 267. Les dispositions expliquées plus haut sont établies pour le cas où les parties n'ont pas fait de convention au sujet de la garantie sur l'existence des droits cédés et sur leur intégralité.
Mais il va de soi qu'en cette matière, comme en toute autre où ne sont en jeu que des intérêts privés, les conventions des parties sont libres et peuvent restreindre, étendre ou modifier l'obligation du vendeur au sujet de la garantie; elles peuvent, notamment, fixer une somme unique, à forfait, pour toutes restitutions et indemnités dues à l'acheteur au cas d'ériction: ce serait une clause pénale (v. art. 408 et 409).
La loi croit devoir interpréter ici d'une façon favo. rable à l'acheteur une clause assez fréquente dout on pourrait être porté à exagérer l'effet. Le vendeur stipulera assez souvent qu'il“vend sans garantie” qu'il “ne sera tenu à aucune garantie:” cette stipulation l'exonère des divers chefs de dommages-intérêts énoncés à l'article 695, mais elle ne suffit pas pour l'affranchir de l'obligation de restituer le prix, parce qu'il l'a reçu sans cause, et il est encore plus commandé par l'équité naturelle de ne pas conserver le bien d'autrui sans cause légitime que de réparer le dommage causé injustement: dans le dommage causé, la faute peut n'avoir duré qu'un moment, tandis que dans l'enrichissement indû, l'injustice dure tant qu'il n'y a pas restitution.
Mais le vendeur peut être affranchi, dans deux cas, de cette obligation même de restituer le prix au cas d'éviction; c'est:
1° Lorsqu'à la stipulation de non garantie se joint la circonstance que l'acheteur connaissait le danger d'ériction, ce qu'il ne faut pas entendre dans le sens d'un simple soupçon des droits d'autrui, mais dans le sens d'une pleine connaissance de ces droits; c'est ce que, plus haut, nous avons constamment appelé la “mauvaise foi” de l'acheteur;
2° Lorsque la vente a été faite “aux risques et périls de l'acheteur.” On discute en France, si, avec cette clause de risques et périls de l'acheteur il faut encore qu'il y ait eu stipulation de non garantie; mais on décide généralement que la première clause suffit, parce qu'elle donne à la vente le caractère de contrat aléatoire (sog. art. 322). La question ne sera pas soulevée au Japon, le texte porte que “ dans tous les cas," la clause de risques et périls de l'acheteur affranchit le vendeur de la restitution du prix, ce qui rend inutile la stipulation de non-garantie et dispense de rechercher si l'acheteur connaissait ou non les droits d'autrui.
On remarquera que, dans les divers cas qui nous occupent, il n'y a pas à distinguer si le vendeur luimême était de bonne ou de mauvaise foi: comme sa bonne foi ne le dispense pas, lorsqu'il n'y a eu aucune clause particulière, de rendre le prix au cas d'éviction et de fournir toutes indemnités, parce qu'il y a toujours faute, de même, sa mauvaise foi ne le prive pas du bénéfice des clauses qu'il a fait insérer dans la vente pour se décharger de ces deux sortes d'obligations: elles ont suffisamment averti l'acheteur des dangers qu'il courait et il est bien certain que le prix s'en sera ressenti et aura été très-réduit.
268. Pour compléter cette importante théorie de la garantie, l'article 711 reproduit une règle générale de la matière posée antérieurement dans l'article 416 pour tous les contrats. Cette règle est parliculièrement à remarquer, parce qu'elle pent changer toutes les solutions précédentes, c'est que le cédant ne peut, à la faveur d'ancune clause ou stipulation, s'affranchir de la garantie d'éviction “résultant de son fait personnel ” (rov. C. fr., art. 1628). La garantie est alors dite essentielle. Ainsi, un vendeur d'immeuble, ayant stipulé qu'il ne devrait “aucune garantie,” au cas d'ériction, ou ayant rendu “aux risques et périls de l'acheteur,” aurait profité de la négligence de celui-ci à faire transcrire son acte, pour vendre une seconde fois à un tiers de bonne foi: celui-ci evincera le premier acheteur, en vertu du principe que la vente non transcrite n'est pas opposable aux tiers (art. 370), et l'acheteur évincé par suite de ce fait personnel du vendeur aura son recours en garantie dans toute sa plénitude, tant pour la restitution du prix que pour les dommages-intérêts (v. ci-dess., p. 174, n° 138).
La solution serait la même si le fait personnel du vendeur, au lieu d'être, comme ici, postérieur à la vente faite sans garantie y était antérieur. Ainsi, une première vente d'immeuble ayant été faite dans les conditions ordinaires, sans aucune stipulation particulière, a été transcrite immédiatement; peu de temps après, le même vendeur a vendu le même bien “sans garantie” ou “aux risques et périls” (lu nouvel acheteur; celui-ci, par l'effet d'une confiance trop absolue dans le vendeur, ne s'était pas fait délivrer préalablement im état des transcriptions: il sera évincé, évidemment; mais il aura son plein recours en garantie, parce que l'éviction qu'il subit est la suite inéritable d'un fait personnel du vendeur. Cette solution est d'une équité manifeste: il y a ici plus que la mauvaise foi du rendeur, c'est-à-ilire plus que sa connaissance des droits d'autrui: c'est lui qui a conféré ces droits à autrui, c'est Ini qui a créé la cause de l'éviction de son acheteur.
Il en serait de même si, le vendeur étant mort après une vente ordinaire transcrite, ses héritiers avaient, même de bonne foi, revendu le bien à un autre achetenr, à ses risques et périls: ils resteraient néanmoins tenus pleinement de la garantie (v. T. II, p. 350, n° 338).
Une question reste à examiner dans ces deux dernières hypothèses: comme la cause de l'ériction est antérieure à la vente, le second acheteur pourrait l'avoir connue, ce qui n'est pas possible dans la 1re hypothèse; on peut se demander alors si cette connaissance par l'acheteur du danger de l'ériction lui ôte le droit aux dommages-intérêts, en ne lui laissant que le droit à la restitution du prix. Nous n'hésitons pas à répondre affirmativement: une des premières dispositions de cette matière est que les dommages-intérêts ne sont dus qu'à l'acheteur de bonne foi (art. 695); or, on vient de le supposer de mauvaise foi. Mais il recouvre son prix, comme enrichissement indû du vendeur.
269. On a déjà vu que les privileges et hypothèques portant sur la chose vendue, et même l'éviction qui en concernent les autres droits réels appartenant à des tiers (v. p. 309 et s., n°8 249 et 2-19 bis). On peut encore signaler ici une particularité que présentent ces mêmes droits, au sujet de la stipulation de “non garantie du vendeur" et de la clause de "risques et périls de l'acheteur.”
Sans doute, ces deux stipulations affranchiraient lo vendeur de l'indemnité d'éviction, s'il s'agissait de priviléges ou d'hypothèques grevant déjà la chose vendue avant qu'il l'eût acquise lui-même, parce qu'alors il ne serait pas débiteur personnellement de ces mêmes dettes, et n'en aurait été tenu que comme détenteur, qualité qu'il n'a plus après la vente. L'acheteur, dans ce cas, ne serait pas encore sans recours, car il aurait action contre le débiteur de ces dettes, pour le remboursement de ce qu'il aurait payé: ce serait une autre action en garantie.
Mais s'il s'agit de priviléges ou d'hypothèques provenant du chef du vendeur, d'hypothèques qu'il a constituées, ou même d'hypothèques et de privileges que la loi attache comme súretés à certaines dettes qu'il a contractées, et si l'ériction en est résultée contre l'a. cheteur, on se retroure alors en présence d'une éviction provenant du fait personnel du vendeur et à la garantie de laquelle il n'a pu se soustraire.