Art. 682. — 203. Le précédent article ne règle la translation de propriété, comme effet principal de la vente, qu'entre les parties et à l'égard de leurs ayantcause généraux, héritiers et créanciers. Celui-ci les règle à l'égard de leurs ayant-cause particuliers qu'on a l'habitude de considérer comme des tiers, au moins dans les cas où la vente ne leur est pas opposable.
Ce n'est du reste qu'à l'égard des ayant-cause particuliers du vendeur que la vente peut n'être pas opposable, faute de l'accomplissement de certaines formalités ou conditions; du côté de l'acheteur, il ne se présente aucune difficulté: ses ayant-cause particuliers, ses propres cessionnaires ont ses droits, et la vente ne pouvant leur nuire, puisqu'elle est la base de leur propre acquisition, la loi n'a besoin de prendre aucune mesure pour les protéger.
Mais, il n'en est pas de même du côté du vendeur et de ses ayant-cause particuliers: la loi, dans certains cas, veut qu'ils soit avertis de l'existence de la vente qui a pu précéder le contrat qu'ils feraient avec le vendeur au sujet du même bien.
Ces cas sont au nombre de trois: vente d'immeuble, vente de meuble corporel, vente de créance. Dans les trois cas, il s'agit d'un corps certain ou d'une créance déterminée.
204.—Io cas. Vente d'immeuble. Si l'acheteur ne publie pas sa vente par la transcription, il expose d'autres personnes à traiter ensuite avec le vendeur, comme si celui-ci était encore propriétaire; celles-là, si la vente leur était opposable, quoique leur étant révélée tardivement, se trouveraient exposées à une éviction qu'elles n'ont pu prévoir ni éviter; or, comme elles n'ont commis aucune faute et que le premier acheteur a commis celle de ne pas publier son contrat, suivant le mode organisé par la loi, c'est lui qui sera évincé par les nouveaux acquéreurs, sauf son recours contre le vendeur.
Nous supposons, bien entendu, que les nouveaux acquéreurs se sont eux-mêmes conformés à la formalité de la transcription, sans quoi, ils n'auraient pas de titre à la préférence sur les anciens; le texte exprime qu'ils doivent avoir été de bonne foi, c'est-à-dire avoir ignoré la vente antérieure: ces deux conditions sont déjà exigées par l'article 370.
Il n'est pas nécessaire que les nouveaux ayant-cause du vendeur soient eux-mêmes des acheteurs, ou même des cessionnaires (donataires ou co-échangistes): ils pourraient être des créanciers ayant reçu une hypothèque et l'ayant inscrite, ou même des créanciers chirographaires ayant pratiqué une saisie immobilière et l'ayant transcrite.
205.-II cas. Vente de meuble. Il n'y a pas pour les menbles de transcription ni d'acte analogue, pour en publier la mutation; on peut donc dire qu'en principe la préférence entre deux acheteurs du même meuble appartient au premier contractant, pourvu que la priorité de temps soit bien établie; mais si de deux acheteurs l'un a été mis en possession réelle, c'est à lui que la loi donne la préférence. La possession donne à celui qui l'a obtenue une confiance encore plus grande dans son droit de propriété et il serait trop dur qu'il fát évincé par celui qui n'aurait en sa faveur que la priorité de temps.
Dans ce cas encore, il faut que celui auquel la loi donne la préférence ait été de bonne foi lors du contrat, c'est-à-dire qu'il ait ignoré la première vente (art. 366).
206.-II[ cas. Vente de créance. Les créances sont des choses incorporelles. Il est d'usage de dire qu'elles ne sont pas susceptibles d'une possession proprement dite; mais on a établi le contraire, au sujet de la Possession (voy. art. 193 et T. Ier, p. 338-339, nos 271–272) et du Payement (voy. art. 478 et T. II, p. 503 et s., n° 462 et s.). Cependant, ce n'est pas sur cette possession moins extérieure que celle des choses corporelles que la loi fonde la préférence entre cessionnaires successifs d'une même créance: la préférence appartient à celui qui le premier a fait connaître sou acquisition au débiteur, au cédé. D'abord celui-ci est le principal intéressé; car, si, ne connaissant pas la cession, il a payé à son ancien créancier, il serait trèsinjuste de l'obliger à payer encore au cessionnaire qui se ferait connaître tardivement. Cette signification faite au cédé a encore l'avantage de permettre à celui qui voudrait acheter la créance de s'informer, près du cédé, si le cédant est encore son créancier ou s'il y a déjà une autre cession signifiée.
Enfin, la signification a pour but de prévenir les propres créanciers du cédant qu'ils ne peuvent plus faire utilement, de son chef, une saisie-arrêt sur ladite créance.
Toute cette théorie de la publicité spéciale des cessions de créance a été suffisamment développée et justifiée en son lieu: d'abord, sous l'article 367 (v. T. II, p. 186 et s., nos 175 et s.), ensuite, sous les articles 549 et 550 (v. Ib., p. 702 et s., n°8 617 et s.).