Art. 700 et 701. -240. peut arriver que la chose vendue appartienne pour partie au vendeur et pour partie à un tiers, en sorte qu'on ne puisse dire d'une façon absolue qu'il y a eu vente de la chose d'autrui. La chose vendue peut aussi être grevée au profit d'un tiers de droits réels secondaires, de démembrements de la propriété; il est encore plus difficile, dans ce cas, de dire que la vente est nulle comme vente de la chose d'autrui.
Le principe qui domine ces diverses hypothèses est que la vente alors n'est pas nulle a priori, mais qu'elle peut seulement être résiliée ou résolue à la demande de l'acheteur; encore faut-il, le plus souvent, qu'il prouve que la part de propriété ou les droits qui lui manquent sont de telle importance qu'il n'aurait pas acheté s'il avait su ne pas l^i acquérir. C'est l'application dii droit commun des contrats synallagmatiques: le vendeur avait implicitement promis de transférer la propriété de toute la chose vendue et une propriété pleine et entière, sans charges; or, il n'a pas rempli cette obligation; l'acheteur peut donc demander à être affranchi lui-même des siennes.
Mais il y aurait abus, s'il demandait la résiliation du contrat pour la plus légère diminution de ses droits; de là, la charge à lui imposée de prouver, au moins dans les cas les plus fréquents, que, dans l'état actuel, la chose lui est insuffisante. Cette situation a quelque analogie avec le déficit dans la contenance déclarée et, plus loin, on fera le parallèle entre l'éviction partielle et le défaut de contenance.
241. En ce qui concerne le premier cas prévu, celui où la chose appartient pour partie à un tiers, " en pleine propriété ou en nue propriété " (le cas d'usufruit est réglé à l'article 703), le texte de nos deux articles fait une distinction entre la " portion divise " et la " portion indivise " ou, comme disait le droit romain, entre l'éviction pro diviso et l'éviction pro indiviso.
Une portion divise est une fraction de la chose ayant des limites déterminées (un locus certus), ce peut être un angle, une bande de terrain, une parcelle contigüe au fonds principal.
Une portion i n d i v i s e est une partie aliquote, portant sur le tout, comme un quart, un tiers, une moitié.
Le Code français, en réglant l'éviction partielle (art. 1636 et 1.637), n'a pas distingué s'il s'agit d'une portion divise ou indivise. La doctrine a tenté d'introduire cette distinction, très fondée en raison, qui peut s'appuyer sur la loi romaine, mais qui est peut-être difficile à accepter en présence du texte. Nous l'admettrions nous-même, malgré cela, parce qu'il nous paraît suffire que la loi ne l'ait pas défendue absolument pour qu'elle doive être introduite dans son interprétation.
Quoi qu'il en soit du Code français, le Projet peut et, selon nous, doit admettre cette distinction et, en le faisant formellement, il prévient toute controverse.
La distinction a deux conséquences importantes que la loi a soin d'exprimer.
La première est relative au droit de résiliation que nous avons déjà annoncé en faveur de l'acheteur: la nécessité de prouver que la portion qui lui manque était d'une telle importance qu'il n'aurait pas acheté s'il avait su ne pas l'acquérir ne s'applique qu'au cas où la portion est divise. Il se pourrait, en effet, que cette partie fût si faible par son étendue ou par sa nature que la demande en résiliation, sans justification de l'insuffisance, serait manifestement abusive: ce pourrait être pour l'acheteur un moyen peu honnête de se soustraire aux effets d'un contrat qui a cessé de le satisfaire.
Au contraire, quand il s'agit d'une portion indivise qui, n'appartenant pas au vendeur, n'a pas été transférée à l'acheteur, celui-ci se trouve avoir un copropriétaire de la totalité: l'exercice de son droit sera limité, gêne dans toutes ses applications par le droit similaire d'un tiers; on connaît les effets et les inconvénients dé la copropriété (art. 38 à 40); on conçoit donc que l'acheteur ne puisse s'y trouver engagé à son insû et malgré lui, et qu'il ait le droit de résiliation, si faible que soit la part de propriété qu'il n'acquiert pas.
Comme il s'agit ici de convenances personnelles dont l'acheteur doit être laissé seul juge, il n'a d'autre justification à faire que celle de l'existence d'une copropriété étrangère.
La seconde conséquence de la distinction est relative au mode de règlement de l'indemnité; mais c'est seulement lorsque l'acheteur n'exerce pas le droit de résiliation, car s'il l'exerce, vente, comme dans le cas précédent, se trouve complètement annulée, et l'indemnité se règle d'après l'article 695, comme le dit le texte.
242. Reprenons les deux natures de portions qui peuvent manquer à l'acheteur.
Ier Cas. C'est une portion divise. Du moment que l'acheteur ne peut obtenir la résiliation, faute de faire la justification nécessaire de l'insuffisance de ce qui lui reste, il ne peut pas dire que la vente soit nulle, même pour la portion qui lui manque: il a acheté surtout afin d'acquérir ce qu'en effet il a acquis, et ce qui lui manque ne doit plus être considéré que comme une qualité accessoire de la chose, comme un avantage secondaire qui peut et doit, assurément, donner lieu à une indemnité, mais sans aucun rapport avec l'éviction totale.
Ainsi, la portion de terrain qui est revendiquée par un tiers était plus ou moins étendue, mais sans grande utilité pour l'exploitation de la chose: l'indemnité pourra être assez faible; au contraire, la portion était peu étendue, mais elle contenait des bâtiments importants ou une source qui alimentait des rizières: l'indemnité pourra être considérable, -car on n'est pas loin de l'hypothèse où l'acheteur pourrait faire résilier la vente pour insuffisance de ce qui lui reste.
Lorsque l'acheteur ne peut obtenir la résiliation du contrat, il ne réclame donc aucune portion de son prix, comme telle: il ne peut obtenir que la réparation du préjudice actuel que lui cause la privation qu'il subit, et la plus ou moins-value survenue à la chose ne lui profitera ou ne lui nuira que si elle affecte, en tout ou en partie, la portion dont il y a éviction.
Une dernière conséquence de ce que la vente, dans ce cas, n'est nulle pour aucune de ses parties, c'est que l'acheteur ne peut se faire rembourser aucune partie des frais du contrat, tandis que, lorsqu'il y a nullité originaire ou résiliation, les frais payés par l'acheteur lui sont remboursés.
IIe Cas. C'est une portion indivise. L'acheteur, pourrait, avons-nous dit, afin de se soustraire aux inconvénients de la copropriété, demander, pour ce seul fait, la résiliation du contrat; mais il peut préférer maintenir la vente. Elle est cependant nulle faute de cause, pour la partie de la chose qui appartient à autrui: pour cette portion, l'acheteur a donné un prix sans cause; il peut donc le répéter pour cette même portion, sans avoir égard à la moins-value que la chose a pu subir dans le tout et dans cette partie indivise. Au contraire, il peut, si la chose a augmenté de valeur, réclamer une portion de la plus-value pour la portion qu'il a manqué à acquérir; et cela n'est pas contradictoire avec la première proposition, parce qu'il a pu compter sur la plusvalue totale et que le vendeur est en faute de ne pas la lui avoir procurée.
Par le même motif que la vente est nulle pour partie, l'acheteur recouvrera aussi une portion des frais du contrat qu'il a payés.
243. Une question intéressante, qui semble avoir été négligée en France par les auteurs, mérite de nous arrêter ici un instant: elle résulte, comme on l'a annoncé (v. n° 222 bis), du rapprochement de deux garanties dues par le vendeur, de celle d'éviction et de celle de contenance.
Supposons qu'il y ait eu éviction d'une portion divise ou indivise de la chose vendue: ne peut-on pas considérer cette privation partielle de la chose comme constituant en même temps pour l'acheteur un déficit de contenance, donnant lieu à diminution du prix, d'après les articles 686 à 691 ? Nous l'avons toujours pensé, et si nous ne proposons pas de l'exprimer dans la loi, c'est parce que la solution nous paraît se déduire logiquement et forcément defiwprincipes des deux théories combinées.
La réciproque n'est pas vraie: un acheteur auquel manque une portion de la contenance déclarée, parce que le mesurage n'a pas été exact, ne peut se dire évincé ni se faire indemniser, comme tel: il ne pourra l'être que d'après les articles 686 à 691.
Mais lorsque l'acheteur est privé, par une revendication, d'une portion divise formant le vingtième de la chose vendue, comment pourrait-on hésiter à dire qu'il est privé d'une partie de la contenance promise ? Et si l'éviction est d'une portion indivise, qu'importe à l'acheteur que la chose vendue ait, dans les limites annoncées, la contenance promise, si une portion de cette contenance ne peut lui être acquise ?
Sans doute, l'acheteur évincé d'une partie de la chose ne pourra réclamer tout à la fois une double indemnité, tant pour éviction que pour défaut de contenance: il devra opter et, naturellement, il se déterminera par son intérêt, et l'on va voir plus loin quel peut être cet intérêt, suivant les cas; mais il ne pourra invoquer l'un des deux chefs d'indemnité qu'en observant les règles et les conditions qui lui sont propres, dans leur ensemble et à l'exclusion des règles et conditions de l'autre chef.
Ainsi, l'acheteur évincé ne pourra invoquer les règles du défaut de contenance, pour une faible privation éprouvée, que si la vente a été faite " à tant la mesure " (art. 686), ou Il avec garantie de contenance " (art. 687): autrement, il faudra que le déficit résultant de l'éviction, soit d'un vingtième de la totalité (ibid.). Si aucune de ces conditions ne se rencontre dans l'éviction partielle, l'acheteur ne pourra invoquer les règles du, défaut de contenance: il ne pourra faire appliquer que celles de l'éviction.
244. Voici maintenant comment l'acheteur sera guidé par son intérêt, dans les cas où il a l'option entre les déux chefs d'indemnité.
Si l'éviction est d'une part divise (d'un locus certus) et que le fonds entier ou cette partie seule ait diminué de valeur, l'acheteur ne peut recouvrer que la valeur actuelle de ce dont il est évincé (art. 700, 29 al. et C. fr., art. 1637), tandis que s'il invoque le défaut de contenance, il recouvrera une partie proportionnelle du prix (art. 686 et 687 et C. fr., art. 1617 et 1619).
Au contraire, si le fonds a augmenté de valeur, l'acheteur évincé négligera la garantie de contenance pour la garantie d'éviction qui lui fait obtenir l'indemnité de la plus-value.
Voici encore un avantage de la garantie d'éviction sur celle du défaut de contenance: supposons que le vendeur ait vendu " sans garantie de contenance," cela ne l'affranchirait pas de la garantie d'éviction, parce qu'il y a, aux yeux de la loi, une plus grande faute a vendre une chose dont on n'est pas propriétaire, qu'à ignorer la contenance exacte du fonds vendu; on peut toujours, en effet, s'assurer de la validité de son titre et de la régularité des transmissions antérieures, tandis que, dans bien des circonstances, on ne peut recourir aux services d'un géomètre-arpenteur.
Mais s'il y avait eu stipulation de " non-garantie d'éviction " et que l'acheteur fût évincé d'une portion divise égale à 1/20e, il ne pourrait se prévaloir du défaut de contenance qui en résulte, parce que ce serait, au fond, se prévàloir de l'éviction.
Au contraire, il pourrait invoquer le défaut direct de contenance, c'est-à-dire le déficit qui n'aurait pas été prévu, parce que les clauses restrictives du droit commun sont limitées à leur objet formel.
Une autre différence à noter entre la garantie d'éviction et celle de contenance, c'est que dans la première on tient grand com]Qte de la bonne ou de la mauvaise foi du vendeur, tances que dans la seconde, sa bonne foi ne le préserverait pas de subir une diminution proportionnelle du prix, et sa mauvaise foi n'aurait pour effet que de le rendre responsable d'un déficit de moins de 1/20e (v. art. 687).