Art. 702. — 245. Nous passons au cas où le fonds vendu est grevé, au profit d'un tiers, de droits réels secondaires ou autres que le droit de propriété et non déclarés au contrat.
Les servitudes,'l'usufruit et le bail sont rattachés à nos deux articles 700 et 701, au moyen d'une distinction qui autorise à les considérer comme une portion, tantôt divise, tantôt indivise, de la propriété; seulement, au lieu qu'il y ait éviction de pleine propriété ou de nue propriété, comme le suppose l'article 700, il n'y a qu'éviction de jouissance ou d'usage.
Quant aux priviléges et hypothèques grevant le fonds vendu, ils sont l'objet de l'article 703, séparément, parce qu'ils donnent lieu à une toute autre distinction: leur existence seule sur le fond, même non déclarée, ne ^donne' pas lieu au recours en garantie de l'acheteur; il faut, pour ce recours, que le droit soit exercé par le créancier, alors la garantie a lieu, lors même que le droit du tiers aurait été déclaré au contrat.
Notre article 702, avant de statuer sur l'existence d'une servitude passive, c'est-à-dire gravant le fonds vendu, prévoit le cas d'une servitude active annoncée par le contrat comme appartenant au fonds: c'était un droit accessoire que l'acheteur comptait acquérir avec le fonds; s'il en est privé, soit parce que ce droit n'a jamais été établi, soit parce qu'il a été éteint, il est juste que l'indemnité en soit fournie. Comme la privation d'une servitude, même profitant à tout le fonds (par exemple, un droit de passage ou de vue sur le voisin), ne peut être assimilée à la revendication d'une qnote part de la propriété du fonds, c'est à l'éviction d'une portion divise que la loi emprunte le mode de règlement de cette indemnité.
Ce cas n'est pas prévu par le Code français: sans aucun doute, on suppléerait à son silence par la même assimilation.
Le texte de notre article 702 suppose que la servitude active est " annoncée par le contrat cela implique naturellement qu'il s'agit d'une servitude établie par le fait de l'homme, car, les servitudes dites " légales," étant établies d'après la situation respective des fonds voisins, l'acheteur compte qu'elles lui appartiennent, sans être déclarées; si donc elles avaient été abandonnées par une convention entre le vendeur et son voisin, il y aurait là une servitude passive du fait de l'homme, inverse de la servitude légale activa (v. T. 1er, n° 433), et la garantie en serait due d'après la disposition suivante.
246. Pour les servitudes passives, pour celles que le fonds vendu doit souffrir, le vendeur n'en est garant que si elles sont, tout à la fois, Il établies par le fait de l'homme" (v. art. 286 et s.), " non apparentes," et "non déclarées par le contrat." Il n'y a donc pas de garantie: 1° pour les servitudes légales, parce qu'elles sont le droit commun de la propriété et que l'acheteur a toujours pu et dû les connaître, puisqu'elles se révèlent par la disposition de la loi, rapprochée de la situation du fonds vendu et des fonds voisins respectivement; 2° pour les servitudes du fait de l'homme qui se révèlent par des signes extérieurs, comme par un aqueduc, par un chemin ou une construction contraire aux prescriptions légales de distance; 3° pour les servitudes non apparentes qui ont été déclarées par le contrat: dans ces deux derniers cas, l'acheteur a encore pu et dûL connaître la charge imposée au fonds et il est considéré comme en ayant tenu compte pour la fixation du prix qu'il a promis.
247. Les cas d'usufruit et de bail grevant le fonds vendu donnent lieu à d'autres distinctions que les servitudes.
Remarquons d'abord que le texte ne prévoit pas ici l'hypothèse d'un usufruit ou d'un bail considérés activement, c'est-à-dire comme devant appartenir à l'acheteur, accessoirement à la chose vendue, et dont il serait privé ou évincé.
Pour l'usufruit, il n'est pas naturel qu'il ait ce caractère accessoire: si la vente a eu pour objet un droit de pleine propriété sur une chose et un droit d'usufruit sur une autre, l'éviction de l'usufruit donnera lieu à une action en garantie ordinaire.
Le droit de bail pourrait, au contraire, être vendu accessoirement à la propriété, c'est le cas où le vendeur aurait déclaré que la chose vendue était louée pour un certain temps et il, un certain prix; mais, dans ce cas, l'accessoire de la chose vendue ne serait pas un droit, réel de bail, ce serait une créance de loyers contre le prétendu locataire, lequel aurait le droit réel grevant la chose vendue; si, dans ce cas, le bail n'existait pas, il y aurait lieu à la garantie d'inexistence de la créance dont traitera l'article 705.
Supposons, au contraire, avec notre article, qu'il s'agisse d'un droit d'usufruit ou de bail appartenant à un tiers et réclamé par lui sur la chose vendue, il y a là éviction d'une partie des avantages que l'acheteur était en droit d'attendre de la vente et, pour. en régler l'indemnité, la loi fait une distinction qu'elle a dft né| gliger en matière de servitudes: l'usufruit ou le bail porte-t-il sur une partie de la chose ou sur le tout ? S™ porte sur le tout, doit-il encore durer plus d'un an pora les bâtiments et plus de deux ans pour les terres ?
Si l'usufruit ou le bail ne porte que sur une partie de la chose, ou si, portant sur la totalité, il ne doit pal durer plus que ledit délai, l'indemnité sera réglé! comme celle de l'éviction pro diviso (v. art. 700); au càl contraire, ce seront les règles de l'éviction pro indivis^ (v. art. 701). Au premier cas, l'acheteur n obtien'- la résiliation que s'il prouve que la propriété, ains| diminuée de la jouissance totale ou partielle pendant un temps assez long, n'est plus suffisante pôur réponde à ses besoins et, faute de faire cette preuve, il n'ob*tiendra que la valeur de la jouissance actuelle dont il est privé; au second cas, la durée et l'étendue combinées du droit d'usufruit ou de bail permettront à l'acheteur de faire résilier la vente sans autre justification.
La distinction entre les bâtiments et les terres est facile à comprendre: l'acheteur a, en général, un besoin plus urgent des bâtiments que des terres; dès lors, la privation des premiers pendant un an lui cause un préjudice égal, sinon supérieur, à celle des terres pendant deux ans.
Quand il s'agit d'un usufruit, s'il est viager, ce qui est le plus ordinaire, sa durée étant indéterminée» il suffira qu'il porte sur toute la chose vendue pour motiver la résiliation pure et simple, sans autre justification. Mais s'il s'agissait d'un usufruit total ayant, par exception, une durée fixée, on observerait la condition de durée du temps restant à courir, pour accorder la résiliation pure et simple.
Lorsque, dans le cas qui précède, l'acheteur n'use pas du droit de résiliation, l'indemnité se calcule d'après le préjudice réel et actuel, comme au cas d'éviction d'une part divise: on ne pourrait, aisément ni sûrement, établir la valeur proportionnelle d'une jouissance temporaire par rapport à là pleine propriété, pour faire restituer à l'acheteur évincé une partie correspondante du prix d'acquisition.
Ces distinctions du Projet, sur les droits réels qui grèvent la chose vendue sont, presque toutes, des innovations, car le Code français et ses imitateurs n'ont prévu que le cas de " servitudes non déclarées " (art. 1638).
248. Le Projet n'a pas cru nécessaire de statuer sur l'effet d'un droit d'usage ou d'habitation grevant le fonds vendu: ces droits, déjà fort rares en France, le seront encore bien plus au Japon où ils sont jusqu'ici inusités; mais si le cas se rencontrait, il ne serait pas embarrassant: un droit d'usage ou d'habitation, étant limité aux besoins du titulaire (voy. art. 116), ne sera jamais considéré comme. portant légalement sur tout le fonds vendu, quoiqu'en fait il puisse absorber toute la jouissance; il ne motivera donc la résiliation qu'à charge par l'acheteur de la justification précitée, sauf au'tribunal à l'admettre avec plus de facilité, si le droit diminue considérablement la jouissance.