Art. 613. — 30. Cet article consacre encore le droit du propriétaire du sol sur un bâtiment dont les matériaux ne lui appartenaient pas; mais, à la différence du cas prévu à l'article 610, ce n'est pas lui qui a construit; on peut dire qu'ici il n'a commis aucune faute, aussi son droit est-il encore plus étendu: il peut garder ou faire démolir la construction placée sur so.n sol sans son autorisation et, s'il la garde, il a encore le choix entre deux valeurs à payer, entre ce que la construction a coûté et la plus-value qu'elle a donnée à son sol.
La construction, n'ayant pas été faite par le propriétaire du sol, l'a été, naturellement, par un possesseur.
Nous écartons ici les cas où le constructeur aurait été un usufruitier, un locataire, un emphytéote ou un superficiaire, parce que, dans ces cas, il y a des dispositions spéciales déjà rencontrées (art. 72 et 73, 141, 156, 182, 189). Il ne s'agit plus ici que de celui qui a la possession civile, la détention avec la prétention à la propriété. Ce possesseur était de bonne foi ou de mauvaise foi. Il est naturel qu'il soit mieux traité dans le premier cas que dans le second.
De là deux dispositions de la loi.
31. 1. Si le constructeur était possesseur de bonne foi, c'est-à-dire croyait être propriétaire, lors même qu'il n'aurait pas un juste titre (par exemple, il se croyait héritier de l'ancien propriétaire sans l'être) il ne pourrait pas, il est vrai, enlever ses constructions et plantations, lors même qu'il y aurait un intérêt particulier, mais il ne pourrait non plus être contraint à opérer la démolition qui lui ferait éprouver un triple dommage: perte de la première main-d'œuvre, frais de démolition et d'enlèvement, dépréciation des matériaux. Son droit se résout donc en une indemnité.
La construction a coûté le prix des matériaux et celui de la main-d'œuvre; mais il est assez rare que la plus-value donnée au sol par la construction soit égale à ce qu'elle a coûté. Le propriétaire a le choix de donner au possesseur, soit le coût des constructions, soit le montant de la plus-value du sol. Cette solution est commandée par les principes généraux déjà rencontrés au sujet de l'obligation née d'un enrichissement indû ou sans cause (voy. T. II, n° 256).
Si le propriétaire paye au constructeur ce qu'il a dépensé, il l'exonère de toute perte, celui-ci ne peut donc se plaindre: il ne pourrait réclamer l'excédant de plus-value, car ce serait le puiser dans le droit de propriété du sol qui ne lui appartient pas.
Si le propriétaire paye au constructeur la plus-value; il a rempli son obligation de ne pas s'enrichir au détriment d'autrui: l'excédant de la dépense ne lui profitant pas, il n'est pas admissible qu'il le doive payer; ce n'est pas lui qui est en faute.
32. II. Supposons maintenant que le constructeur ait été de mauvaise foi, c'est-à-dire ait su que le fonds ne lui appartenait pas. La punition de sa mauvaise foi est qu'il peut être contraint de détruire les ouvrages et les plantations, ce qui lui cause déjà les trois dommages signalés plus haut et dont la loi a dû préserver le constructeur de bonne foi; il pourra même être condamné, en outre, à payer une indemnité, soit pour les dégradations irréparables du fonds, soit pour la privation de jouissance que subira le propriétaire pendant les travaux de démolition et d'enlèvement.
Mais le propriétaire peut désirer garder les constructions et plantations, en vertu du principe d'accession. Dans ce cas, il doit en indemniser le constructeur.
Ici, le Projet paraît s'écarter du Code français qui, dans ce cas, oblige le propriétaire à payer la dépense de la construction, " sans avoir égard à la plus ou " moins grande augmentation de valeur que le fonds a " pu en recevoir " (art. 555, 3° al.). Cette solution a été souvent critiquée, car, dans ce cas, le constructeur de mauvaise foi paraît mieux traité que le constructeur de bonne foi. Peut-être pourrait-on soutenir avec succès, malgré ce texte, que le propriétaire qui veut garder les constructions aura toujours le droit de considérer le constructeur comme ayant été de bonne foi, et ce n'est pas celui-ci qui sera admis à se prévaloir de sn. mauvaise foi, à s'en faire un titre a une plus forte indemnité (c); mais pour que le propriétaire ait ainsi le droit de considérer comme de bonne foi le possesseur qui, en réalité, (-tait de mauvaise foi, il faudra qu'il ait eu soin, dans sa revendication, de ne pas réclamer les fruits perçus, pendant la possession et de ne pas contester la prescription plus courte qui est le bénéfice des possesseurs de bonne foi.
Le Projet a formellement tranché la question dans le sens le pins favorable au propriétaire, lequel n'indemnisera le constructeur que comme un possesseur de bonne foi, sans perdre pour cela le droit de lui faire subir les conséquences de sa mauvaise foi, au point de vue. de la restitution des fruits et de la prescription (d).
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(c) Nous avons déjà rencontré, à cet ég-ard, illi axiome de droit "personne n'pst écouté, alléguant s:t turpitude: Nemo auditur turpdudinem 81lam (Megan* (v. T. Ier, n° 105).
(d) Le possesseur de mauvaise foi doit restituer les fruits ou leur valeur (art. 207) et il ne prescrit que par trente ans (art. 1477).