Art. 606. — 16. Avant tout, il faut se rendre exactement compte de ce que la loi appelle “trésor.” Le Projet japonais n'en donne pas la définition, comme l'a fait le Code français (art. 716), mais il en indique les caractères dans la disposition même. La définition du Code français n'est d'ailleurs pas irréprochable: “Le “ trésor est toute chose enfouie ou cachée, sur laquelle “personne ne peut justifier sa propriété, et qui est dé“couverte par le par effet du hasard.” Il y a là trois caractères dont le dernier demande une distinction que ne fait pas ce Code: quand il s'agit de la portion du trésor attribuée à l'inventeur, il est nécessaire, en effet, que la découverte ait été fortuite; mais si c'est le propriétaire du fonds ou de la chose principale qui a découvert le trésor par des recherches faites spécialement dans ce but, il l'acquiert en totalité; il en est de même s'il a employé des ouvriers à cet effet, même sans les en prévenir, pourvu qu'il y ait preuve certaine de son but.
Bien plus, supposons qu'un tiers ait fait des recherches sur un fonds qui ne lui appartient pas, dans le but de découvrir un objet qu'il y croit enfoui et d'une propriété incertaine, et qu'il l'ait effectivement découvert, cet objet n'en sera pas moins un trésor, quoiqu'il ne soit pas découvert "par le par effet du hasard”; seulement, il sera acquis en entier au propriétaire du fonds. Ce n'est donc que pour l'acquisition par l'inventeur étranger que la condition de hasard est requise et c'est ce que notre article 606 a soin d'exprimer, reproduisant en cela la théorie romaine, suivie elle-même par le Code italien (art. 714).
Mais, pour le propriétaire de la chose principale et pour l'inventeur, les deux autres conditions doivent étre exigées: il faut lo que la chose découverte soit enfonie ou cachée, 2° que le vrai propriétaire en soit inconnu.
Si donc la chose trouvée était à la surface du sol ou de l'eau, ou égarée dans une maison ou dans un meuble, mais accessible aux yeux, sans travail, ce pourrait être un objet perdu, mais ce ne serait pas un trésor.
De même, si c'était une mine ou une carrière inconnue jusque-là, ce ne serait pas un trésor, mais une partie du sol, et l'inventeur n'y aurait aucune part, d'après notre article, sauf les avantages particuliers qui peuvent être accordés par les lois sur les mines à celui qui le premier découvre une mine.
Quant à la seconde condition, on ne doit pas la croire remplie par cela seul que le vrai propriétaire ne se fait connaître que tardivement et après l'attribution des parts respectives: il suffit qu'il fasse sa réclamation avant le temps de la prescription fixée par l'article suivant pour que l'objet trouvé cesse d'être considéré comme un trésor.
17. L'invention ou découverte d'un trésor est, pour l'inventeur, un cas d'occupation, mais un peu différent des précédents: les conditions n'en sont pas tout-à-fait les mêmes.
Ainsi, au lieu d'une prise effective de possession, il suffit que l'objet soit découvert, c'est-à-dire rendu visible, fût-ce même pour une minime partie, et cela, lors même que la disposition des lieux, le volume de l'objet, la profondeur de son eufvuissement, les dangers de l'extraction, devraient retarder plus ou moins longtemps la prise de possession réelle. Cependant, c'est toujours la possession qui doit étre considérée ici comme le principe et la cause de l'acquisition: les Romains auraient dit que la prise de possession a lieu par les yeux (oculis). Il faudrait même considérer comme découvert un trésor dont la présence n'aurait été révélée que par le son produit sur une caisse de bois ou de métal par une pioche ou un autre outil: lors même que plusieurs personnes attirées par la curiosité ou l'intérêt seraieut venues aider l'inventeur, il n'en serait pas moins considéré comme l'unique acquéreur.
Il n'est pas nécessaire non plus que la chose soit sans maître: elle ne l'est pas de sa nature et, généralement, le fait qu'elle a été enfouie ou cachée, loin de faire croire à un abandon volontaire du propriétaire, donne lieu de croire, au contraire, qu'il attachait uu grand prix à sa conservation; mais, le maître étant inconnu et sans doute impossible à connaître désormais, la loi assimile le trésor à une chose sans maître; sanf le droit déjà réservé à son propriétaire de se faire connaître avant que la prescription soit accomplie.
Enfin, c'est évideminent une dérogation que fait la loi aux règles de l'occupation, en n'accordant à l'inventeur que la moitié du trésor, lorsqu'il est découvert dans la chose d'autrui.
A la différence du Code français, on ne détermine pas ici les droits du propriétaire de la chose dans laquelle le trésor est découvert, parce que, pour celui-ci, l'acquisition n'exigeant pas la prise de possession et pouvant avoir lieu même à son insu, ne repose plus sur l'occupation, mais sur l'accession; il est donc plus logique de renvoyer ce point au Chapitre suivant. On y verra, d'ailleurs,que le droit du propriétaire n'est pas touji urs limité à la moitié, mais qu'il peut s'étendre au tout.
18. On n'a pas cru nécessaire de résoudre dans le texte un certain noinbre de questions qui peuvent être soulevées au sujet du trésor, mais dont la solution est facile, d'après les principes de la matière.
1. Ainsi, il ne faut pas hésiter à reconnaître que le trésor caché dans un muuhle serait soumis aux mémus règles que celui qui est enfoui dans le sol; c'est mêine par allusion à ces deux cas que la loi emploie les deux mots "enfoui ou cache”. Le Code français, en parlant deux fois de fonds, semblerait avoir exclu la trouvaille faite dans un meuble; mais on doit croire qu'il n'a employé ce mot que coniue désignant le cas le plus fréquent (quod ilerumque fit) et il y a unanimité, tant dans la doctrine que dans la jurisprudence, pour généraliser l'application de la loi.
II. Il y a plus de difficulté quand, plusieurs ouvriers étant occupés à creuser le sol, pour les fonda. tions d'une maison, pour un puits ou pour une route, le trésor a été découvert par celui d'entre eux qui se sert de la pioche, en présence de ceux qui enlèvent la terre détachée. On décide généralement que le seul inventeur, le seul bénéficiaire est celui qui a rencontré l'objet avec la pioche. Cette solution est peut-être trop exclusive: sans doute, il n'est pas possible d'admettre au bénéfice de l'invention toute la brigade d'ouvriers qui ont pu, tour à tour, sur le même emplacement, prendre la pioche et la pelle; il faut admettre que le hasard joue ici un rôle essentiel; mais il arrivera souvent, en fait, que l'attention de plusieurs ouvriers aura été simultanément attirée sur l'objet enfoui; presque toujours aussi, ils seront seuls et sans témoins désintéressés, et leurs prétentions seront contradictoires; dans le doute sur la priorité réelle, il faudra bien les admettre au partage de la moitié attribuée à l'invention. Si, au contraire, ce sont les ouvriers occupés au transport de la terre qui, en la déchargeant, ont trouvé le trésor resté inaperçu lors du premier travail (par exemple, une pièce de monnaie ou un bijon), celui qui tenait la pioche n'y aura aucun droit, car il avait désormais perdu l'occasion de la découverte.
III. On a quelquefois soulevé la question de savoir si l'on peut considérer comme trésor un tombeau ancien découvert par hasard dans un sol qui n'était pas consacré aux sépultures. Par cela seul qu'on exclut de la question l'hypothèse d'un ancien cimetière, où il n'y a certainement pas trésor, la solution doit être affirmative. Il sera bien rare d'ailleurs, si la tombe a un peu d'importance comme valeur, qu'elle ne porte pas quelque indice extérieur ou intérieur de la personalité du mort, lequel pourrait permettre de retrouver sa famille, si l'inhumation ne remonte pas à une époque trop reculée. Dans le cas où celle-ci serait introuvable, il n'y aurait vraiment aucun inconvénient à admettre les droits de l'inventeur: autrement, la découverte profiterait toute entière au propriétaire du sol, lequel n'est pas plus intéressant que l'inventeur (e).
IV. On peut encore soulever une question au sujet de celui qui a découvert un trésor dans le fonds d'autrui, par suite de travaux qu'il n'avait pas le droit d'y faire, comme un possesseur de mauvaise foi ou un voisin qui serait venu frauduleusement prendre du sable ou de la terre sur le fonds contigu. Sans doute, cet inventeur paraît peu intéressant, mais, en réservant la réparation qu'il doit pour sa faute, il n'en est pas moins vrai que cette faute n'a été que l'occasion de sa découverte et n'en change pas le caractère: le propriétaire du fonds n'avait aucun droit au trésor avant qu'il fût découvert, ce n'était pas une partie de son fonds. Mais il ne serait que juste de tenir compte, dans la fixation de l'indemnité, des chances qu'avait le propriétaire du sol de découvrir un jour le trésor, par luimême ou par quelqu'un de sa maison.
V. Nous examinerons, au sujet de l'accession du trésor au profit du propriétaire de la chose principale, la question (qui n'en devrait pas être une) de savoir, lorsqu'un trésor est découvert dans les murs ou les fondations d'une maison vendue pour être démolie, si c'est le propriétaire du sol ou celui de la maison en démolition qui a la seconde moitié du trésor.
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(e) On nous a affirmé qu'il existe au Japon une disposition con. traire, au sujet des tombeaux des anciens membres de la famille impériale, dont la trace aurait été perdue par l'effet des guerres civiles on des accidents naturels; mais l'exception même confirme la règle pour les tombes qui n'ont pas ce caractère; d'ailleurs, la dynastie impériale japonaise n'ayant pas changé depuis vingt. cinq siècles, l'unité de famille permet de dire que le propriétaire des anciennes tombes impériales est toujours l'Empereur régnant.