Art. 491. — 503. Le Projet s'écarte un peu de l'ordre suivi par les Codes français et italien, en plaçant l'Imputation des payements et les Offres suivies de la Consignation avant le Payement avec Subrogation: il a paru plus naturel, en effet, de présenter dans leur ensemble les règles du payement ordinaire, c'est-à-dire du payement fait par le débiteur lui-même, et de rejeter à la fin de la matière le payement fait par un tiers.
L'imputation des payements est faite par le débiteur ou par le créancier ou par la loi. On dit quelquefois qu'elle est de trois sortes: arbitraire, conventionnelle ou légale; mais il y a un peu d'exagération, comme on va le voir, à dire que l'imputation par le débiteur est arbitraire, puisqu'elle a plusieurs limites; il est difficile aussi de dire que l'imputation par le créancier n'a sa force que dans le consentement du débiteur.
504. Dans l'article 491, la loi a soin d'indiquer avec précision que, pour qu'il soit question d'imputation, il faut que le débiteur ait envers le m,ême créancier plusieurs dettes de même nature, c'est-à-dire de même objet, et qu'il fasse, à titre de payement, un versement qui ne peut les éteindre toutes. C'est alors qu'il importe de savoir laquelle est éteinte; car, bien qu'ayant des objets de même nature, elles. peuvent peser sur le débiteur d'une façon plus ou moins lourde: les unes peuvent porter des intérêts et les autres non, les unes être garanties par une hypothèque et les autres être purement chirographaires (a), les unes être sanctionnées par une clause pénale ou par une menace de résolution ou de déchéance, les autras n'avoir pour sanction que le droit de. poursuite ordinaire.
Sur la condition d'identité d'objet de diverses dettes avec la nature de la chose payée, il n'y a pas besoin d'insister: il est clair que si le débiteur doit, d'une part, des denrées ou marchandises et, d'autre part, de l'argent, et qu'il donnè de l'argent en payement, il ne sera pas possible d'imputer ce payement sur la dette de denrées, et réciproquement. Du reste, en fait, c'est presque toujours entra diverses dettes d'argent que la question d'imputation du payement se présente; il est rare que des dettes d'autres choses fongibles soient tellement semblables entre elles et avec la chose payée qu'il y ait incertitude sur le point de savoir à quelle dette s'nppliquent les choses données en payement.
Lors donc que le débiteur paye une somme ou valeur qui pourrait, par sa nature, éteindre une dette ou une autre, la loi lui permet d'en faire l'imputation au moment du payement, par conséquent, de requérir du créancier qu'ilja mentionne dans la quittance. Si celuici s'y refusait et que le débiteur persistât dans sa prétention, ou bien il refuserait le payement et attendrait des poursuites, ou bien il ferait les offres et la consignation dont il sera parlé ci-après et il y reproduirait l'imputation..
505. Il est naturel que le droit d'imputation appartienne au débiteur de préférence au créancier; c'est une nouvelle application de la juste protection que la loi lui accorde en général.
Mais son droit d'imputation n'est pas illimité, ni touta-fait " arbitraire," comme on l'a dit: la loi lui impose trois limites.
1" Si l'une des (lettes est à terme et que le terme soit dans l'intérêt du créancier, le débiteur ne peut, par son imputation, devancer l'échénnee du terme; au contraire, si le terme est dans son propre intérêt (et c'est le cas présumé), il peut, par son imputation, renoncer au bénéfice du terme.
2° Si une ou plusieurs des dettes portent intérêt ou ont occasionné (les frais au créancier, le débiteur (loit d'abord faire l'imputation sur les frais, puis sur les intérêts, et c'est seulement l'excédant qu'il imputera, à son gré, sur le capital de l'une ou l'autre des dettes: le motif est qu'il ne (loit pas diminuer le capital productif d'intérêts avant d'avoir payé les frais et intérêts qui eux-mêmes n'en portent pas ou n'en portent qu'à (les conditions spéciales (v. art. 414).
Un cas aurait pu faire doute: le débiteur doit des intérêts échus sur une dette encore non échue, il a de plus une autre dette non productive d'intérêts, ou dont les intérêts sont déjà payés: il fait un payement qu'il prétend imputer sur le capital de cette dernière dette, sans payer d'abord les intérêts échus de l'autre; cette prétention qui serait peut-être soutenable en France, avec le texte de l'article 1254, ne sera pas admise avec les termes du présent article qui donne la priorité aux frais et intérêts échus sur tous " les capitaux."
3° Si l'imputation peut se faire intégralement sur une ou plusieurs dettes, le débiteur De peut la faire sur d'autres, de façon à effectuer des payements partiels, ce qui lui est défendu par l'article 459; ainsi, s'il doit 2000 yens d'une part, 1000 yens d'une autre, et qu'il paye 100.0 yens, il ne peut en faire l'imputation sur les deux dettes, mais seulement sur celle de 1000 y., laquelle se trouvera éteinte en entier; s'il doit 2000 y., 1200 y. et 900 y. et qu'il donne 1000 y., il devra d'abord imputer sur la dette de 900 y.; mais il reste libre d'imputer les 100 y. d'excédant sur celle des deux autres dettes qu'il préfère diminuer; à moins que le créancier ne refuse de recevoir l'excédant de 100 y., ce qui est son droit.
Du reste, les limites qui précèdent cessent, si le créancier consent à une imputation défendue au débiteur: elle devient alors conventionnelle.
Enfin, la liberté d'imputation par le débiteur n'est pas modifiée par la cause des dettes, ni par leur ancienneté en date ou en échéance (comp. art. 493).
506. Une dernière question reste à examiner ici. D'après les termes mêmes du 1er alinéa, l'imputation doit être faite par le débiteur, au moment où il paye ou, au plus tard, au moment où il demande et obtient la quittance; c'est la conséquence naturelle de ce que l'imputation détermine l'effet extinctif du payement; si donc le débiteur n'a pas fait l'imputation à ce moment, le droit de la faire passe au créancier, comme le dit l'article suivant, et, si ce dernier manque également à la faire, elle est faite par la loi. La question est de savoir si, après l'imputation du créancier ou celle de la loi, les parties pourraient, d'un commun accord, revenir sur ce qui a été fait et faire une nouvelle imputation qui serait conventionnelle. La même question pourrait se poser s'il y avait eu une première imputation par le débiteur et que les parties fussent d'accord pour la changer.
Au premier abord, l'affirmative ne semble pas douteuse, puisque l'ordre public n'est pas intéressé dans l'imputation; mais il ne faut admettre cette convention que si aucune tierce-personne n'est intéressée à maintenir la précédente imputation: autrement, celle-ci ne doit pas perdre un droit acquis. Ainsi, la première imputation a porté sur une (lette garantie par une caution, laquelle s'est trouvée libérée; celle-ci ne pourra, parl'accord des parties, être replacée dans les liens de son obligation. De même, la dette éteinte par l'imputation était hypothécaire: l'hypothèque s'étant trouvée éteinte en même temps, les créanciers hypothécaires subséquents ou les créanciers chirographaires en ont profité (b); dès lors, il est impossible aux parties de faire revivre la dette hypothécaire au préjudice de ceux-ci, lors même qu'ils auraient ignoré l'extinction au moment où elle a eu lieu.
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(a) Sur cette expression et son emploi moins exact que consacré, voir T. Ier, u° 249, note b.
(b) Au Japon, jusqu'à la 5° année de Meiji, (1872), il était défendu d'hypothéquer le même fonds à différents créanciers, successivement, tant que la première dette n'était pas éteinte.