Art. 507. — 544. Il existe un axiome célèbre des anciens auteurs, formulé en latin, c'est que "personne n'est présumé avoir subrogé contre soi-même” (nemo contra se subrogasse censetur). Le Code français (art. 1252) l'a reproduit et, sous prétexte d'en faire l'application, au lieu de préserver le créancier d'un dommage, il lui a conféré un avantage exorbitant que le Projet lui refuse formellement dans l'article suivant: c'est là qu'on exposera et qu'on réfutera la théorie française.
Le principe toutefois était à conserver dans le Projet, à cause de sa célébrité, et, pour qu'il n'eût pas l'obscurité d'une théorie abstraite, la loi en fait elle-même l'application à une hypothèse délicate, mais très-vraisemblable en pratique (n). Tel est l'objet du présent article.
On remarquera d'abord qu'il n'est pas dit ici qu'on ne peut subroger "contre soi-même," mais qu'on ne peut subroger contre “le créancier primitif, c'est-àdire de façon à lui nuire. En effet, il y a un cas où la subrogation a lieu nécessairement contre le subrogeant, c'est le cas de subrogation par le débiteur qui emprunte pour payer sa dette: il est clair qu'il subroge “contre lui-même.” Mais la subrogation donnée par le créancier, par le débiteur ou par la loi “ne doit pas noire au créancier primitif:” dans le premier cas, le créancier ne peut être présumé avoir voulu se vuire en recevant le payement, même partiel; dans les deux autres cas, le débiteur, ni le tiers qui paye, n'ont pu avoir le droit de lui nuire et la loi doit s'en garder.
545. L'article 507, en posant le principe, en fait l'application par voie de conséquence: on suppose que le créancier a plusieurs créances contre le même débi. teur et que le payement avec subrogation ne lui est offert que pour l'une d'elles; mais si la subrogation ainsi acquise au tiers doit nuire aux autres créances, le créancier exigera le payement de toutes. Cette disposition, bien entendu, est faite pour la subrogation légale et pour celle conférée par le débiteur, car si elle était conférée par le créancier, il est clair qu'il y mettrait les conditions qu'il jugerait à propos et que la loi n'aurait pas y à intervenir dans son intérêt.
Le cas d'application du texte a évidemment besoin d'être éclairé par un exemple et il est nécessairement compliqué; car il faut supposer: lo que le débiteur a, an moins, deux créanciers hypothécaires; 2° que l'un d'eux a, au moins, deux créances; 3° que le débiteur a aussi deux immeubles hypothéqués, au moins; 4° qu'on seul est hypothéqué à toutes les dettes; enfin, 5° que, sur l'autre, les hypothèques ont des rangs différents.
Les deux créanciers sont Primus et Secundus;
Les deux immeubles sont: A, valant 18,000 yens, et B, valant 10,000 yens;
La 1re créance de Primus est de 15,000 yens; elle est hypotbéquée, au 1er rang, sur les deux immeubles;
Secundus a une créance de 10,000 yens, avec hypothèque sur l'immeuble A seulement et au second rang;
Enfin, la 2° créance de Primus est aussi de 10,000 yens; elle porte, de même que la 1", sur les deux immeubles; mais elle n'a plus que le 3e rang sur l'immeuble A et le 2° sur l'immeuble B.
Il est évident que les trois dettes (35,000 yens) ne peuvent être payées sur la valeur des deux immeubles (28,000 yens): il y a 7000 yens à perdre.
S'il n'intervenait pas de payement avec subrogation, Primus, ayant le choix des immeubles à saisir pour ses créances, ferait vendre d'abord l'immeuble A, pour sa 1re créance (15,000 yens): elle serait payée intégralement et, l'immeuble valant 18,000 yens, il resterait 3,000 yens pour Secundus qui y occupe le 2e rang; puis, il ferait vendre, pour sa seconde créance (10,000 yens), l'immeuble B qui n'est pas hypothéqué à Secundus; ou bien même, il pourrait faire d'abord saisir l'immeuble B, mais pour sa créance de 10,000 yens seulement, et ensuite l'immeuble A, pour sa créance de 15,000 yens. De cette façon, Secundus ne toucherait jamais que les 3,000 yens restant libres au second rang sur l'immeuble A: il perdrait ainsi les 7000 yens pour lesquels les fonds manquent.
Si, au contraire, Secundus paye avec subrogation la 1" créance de Primus, il prétendra faire vendre l'immeuble B, sur lequel elle a le 1er rang; il en obtiendra ainsi 10,000 yens qui dégrèveront d'autant l'immeuble A au 1er rang. Puis, il fera vendre l'immeuble A: il prendra alors les 5,000 yens formant le reste de la créance de 15,000 yens qu'il a payée; ensuite, il prendra, au second rang, sur ledit immeuble, le montant intégral de sa créance personnelle de 10,000 yens. Il ne restera plus sur ledit immeuble que 3000 yens à prendre, lesquels reviendront à Primus pour sa seconde créance et c'est sur lui que les fonds manqueront pour 7,000 yens. C'est ce résultat que la loi ne permet pas, en vertu du principe que "la subrogation ne peut nuire au créancier primitif.” Secundus devra donc, ou renoncer à la subrogation, ou acquitter les deux dettes du débiteur envers Primus: il y trouvera encore l'avantage d'être seul maître de faire vendre les immeubles au temps qui lui paraîtra le plus opportun.
A l'appui de la décision de la loi, on pourrait encore invoquer le dauger du circuit d'actions; car, si Secundus était appelé à la subrogation pour une seule des créances de Primus, celui-ci pourrait, à son tour, payer à Secundus la même dette, avec subrogation, et l'on se trouverait dans un cercle sans issue.
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(n) Le Cole français aussi a fait l'application du principe; mais c'est cette application même qui prête à la critique annoncée.